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Âmes pudiques s’abstenir… ou comment la calligraphie peut vous mettre à nu !

michiS’il y a bien une chose que ce blog trouve dommage, c’est qu’il n’y ait pas de traduction appropriée pour son domaine de prédilection Shodo « 書道 ». Pour être exact, on devrait dire « la voie de l’écriture » mais en français, on traduit généralement le terme par « calligraphie japonaise ». Peu importe me direz-vous, lorsque l’on consulte le dictionnaire, on trouve dans le Larousse :

Calligraphie : art de former d’une façon élégante et ornée les caractères de l’écriture ; écriture formée selon cet art.

et on s’en satisfait, non ? L’art de former d’une façon élégante les caractères de l’écriture japonaise, ce qui est le but de la discipline Shodo, c’est vrai. Sauf que le terme ramène beaucoup à la conception traditionnelle très occidentale de ce qu’est « former des caractères élégant » mais la mise en pratique de l’écriture au Japon est (il me semble) sensiblement différente.

Un ami japonais m’avait dit un jour qu’il avait abandonné la voie du Shodo parce qu’il pensait que sa personne se révélait dans les caractères qu’il écrivait et que l’idée d’offrir ce spectacle à tout le monde ou rien qu’à lui-même, lui était inconfortable… je n’avais pas très bien saisi à l’époque de cette conversation et je m’étais dit qu’il était bien trop japonais cet ami (c’est-à-dire beaucoup trop sérieux sur des sujets qui ne méritent pas de l’être autant) mais avec les années de recul maintenant, je crois un peu mieux comprendre son problème.

Voilà, c’est donc parti pour aujourd’hui : je vais tenter de vous l’expliquer en esquissant les différences dans la calligraphie occident-extrême orient dans le post de cette semaine.

Un soir d'été à tendance orageuse (Kyoto - Août 2014)
Un soir d’été à tendance orageuse (Kyoto – Août 2014)

D’où vient la différence entre la calligraphie occidentale et la calligraphie chinoise ? (note : je me limiterais à la partie commune à la Chine et au Japon de tracer les idéogrammes et je botte en touche pour l’instant concernant les caractères 100% japonais).

Trouver l’origine et les raisons des différences est d’une grande complexité mais on peut au moins en observer dans la nature des caractères (i.e. lettres) ainsi que de l’outil utilisé pour écrire.

Pour commencer, concernant la nature des caractères, on pourrait croire d’emblée qu’il y a une différence fondamentale entre représenter un caractère phonétique qui n’est associé qu’à un son et représenter un idéogramme qui porte une signification. En réalité, je peux en témoigner pour vous : au début, je pouvais éventuellement y trouver une différence « un idéogramme, c’est un joli dessin ! » mais avec quelques années de pratique, je ne fais plus aucune distinction à ce niveau-là ! Un caractère est une représentation abstraite et rien d’autre. La différence se situe principalement dans la complexité du tracé : plus le caractère est complexe, plus vous disposez de degrés de liberté pour le tracer… et donc pour y ajouter une petite touche personnelle de créativité également.

Dans notre bon vieux alphabet, il faut reconnaître que la forme des caractères est assez simple et qu’ils s’écrivent tout ou plus en 2 ou 3 traits ce qui ne vous laisse pas beaucoup de liberté pour une petite touche toute personnelle… Cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas faire dans le créatif original dans la calligraphie occidentale mais il n’y a pas beaucoup d’opportunités qui se présentent sur le tracé en lui-même. Par exemple, dans les grandes œuvres artistiques de calligraphie occidentale, on trouve tout particulièrement la technique d’enluminure où l’on travaille l’apparence de la première lettre. C’est un peu comme si on se devait de complexifier le tracé de base afin de « libérer un espace » d’expression personnelle. Sinon, on rajoutera aux lettres des fioritures et tout un tas de boucles aussi, c’est un autre moyen.

Dans le cas des idéogrammes, pour avoir de la complexité dans la géométrie du caractère, il y en a de la complexité ! Une dizaine de traits en moyenne et ça peut aller jusqu’à 30 traits sur un même caractère. On comprend ainsi que, par rapport au style de base d’écriture des idéogrammes le « Kaisho », les autres styles existants consistent avant tout à simplifier le tracé ! On trouve naturellement une très grande liberté de création personnelle dans le simple tracé d’un idéogramme : que ce soit en variant la longueur d’un trait ou de son orientation par exemple, le résultat est sensiblement différent. Face à une telle complexité, il est impossible de reproduire exactement le caractère écrit par quelqu’un d’autre et les caractères que vous avez écrits sont très personnels.

Pour continuer notre jeu des différences, vient se rajouter une composante importante selon l’outil utilisé pour l’écriture. D’un côté, vous avez un stylet / une plume rigide avec une faible déformation même si vous appuyez comme une brute (je schématise sûrement) ; de l’autre côté, un pinceau en poil souple qui peut s’aplatir comme une crêpe si vous ne faites pas preuve d’assez de délicatesse dans sa tenue. L’écriture d’un caractère s’obtient par deux techniques bien différentes et de là aussi en découle des principes bien différents. Dans un cas, on doit exprimer une certaine force de pression alors que dans l’autre, on se doit de la réduire au strict minimum.

Dans l’ancienne Chine des Han (ceux qui ont inventé les idéogrammes kanji), les calligraphes pensaient que l’on pouvait entrevoir dans les caractères tracés l’âme de celui qui les avait écrits. De manière pragmatique et un peu moins spirituelle, on pourra dire que la pointe du pinceau est sensible à tous les mouvements jusqu’au plus subtile, tous laisseront une « trace » dans le trait. L’écriture au pinceau souple est un art d’une très grande transparence ; c’est ainsi que dans la calligraphie chinoise sont mis en exergues les notions de rythme, spontanéité, posture et état d’esprit etc. tout un nombre de facteurs à l’origine de mouvements conscients et inconscients du calligraphe qui se répercuteront sur le tracé.

Qu’en est-il donc de la calligraphie occidentale sur ce point ? Mes connaissances actuelles ne me permettent pas d’être catégorique à ce sujet et j’imagine qu’il existe également une dimension aussi spirituelle que celles des premiers grands calligraphes chinois ! L’état d’esprit se reflète obligatoirement sur l’œuvre d’un artiste de quelques manières qu’il soit. Toutefois, comme on doit exercer une pression importante et volontaire pour déformer la pointe de la plume, les mouvements subtils n’ont pas d’incidence directe sur le trait… Le résultat est a priori bien moins ouvert à l’âme de l’auteur.

Des jolies petites fleurs pas très pudiques !
Des jolies petites fleurs pas très pudiques pour le bonheur de nos yeux !

Voici donc comment la calligraphie chinoise (et japonaise par conséquence) serait un miroir de l’âme particulièrement bien lustré fortement déconseillé aux personnes sensibles trop pudiques !

Le boeuf contre la tortue (où l’on traite des neurosciences appliquées à l’écriture chinoise)

Cette semaine, dans ce blog, nous allons devenir un peu plus intelligents en apprenant (notamment) un nouveau mot : boustrophédon ! Vous savez ce que ça veut dire ?

Les nuages d'été à Kyoto (version 2014)
Y a pas que les petites fleurs dans la vie, il y a aussi les nuages d’été à Kyoto

Quand on écrit en boustrophédon, on écrit alternativement une ligne de gauche vers la droite puis une autre de la droite vers la gauche… à la manière du bœuf (bous en grec) pour le labour à qui on fait faire un demi-tour (trophedon en grec) à la fin du sillon pour attaquer le suivant dans le sens inverse.

Exemple

Alors attention, on n’inverse pas seulement le sens d’écriture d’une ligne à l’autre mais également l’écriture des caractères est inversée, comme si on regardait dans un miroir.  C’est ainsi qu’écrivaient les Grecs au tout début ! Enfin pour être exact et reprendre l’histoire par le début : tout d’abord (8ie siècle avant J.C.) ils ont récupéré l’alphabet Phénicien qui s’écrivait de la droite vers la gauche, ensuite ils se sont amusés à écrire en boustrophédon  (5ie siècle avant J.C.) et finalement, ils ont décidé de ne garder que le sens allant de la gauche vers la droite. Malheureusement, l’histoire n’explique pas les raisons de ce choix ; toujours est-il qu’en 403, le dirigeant Archinos impose à Athènes l’usage d’une version précise d’un alphabet et du seul sens gauche-droite.

Mais il n’y a pas que les Grecs, figurez-vous que les jeunes enfants (vers l’âge de 5-6 ans) aussi présentent tout naturellement cette capacité à écrire à la manière boustrophédon ou alors de se tromper en inversant certaines lettres du mot. Généralement, cette étrange « capacité d’inversion » disparaît alors qu’ils commencent à maîtriser la lecture des caractères…

Pourquoi donc ? La neuroscience (en la personne du professeur au Collège de France, Stanislas Dehaene, un très bon orateur pédagogue) vous l’explique ICI en détail.

Pour résumer, les dernières expériences d’imagerie cerveau ont permis de mettre en évidence la présence d’une aire cérébrale dédiée à la lecture. Lorsque vous apercevez une image qui contient une chaîne de caractères que vous connaissez, cette partie du cerveau est activée et renvoie vers les réseaux cérébraux du langage parlé pour faire l’association avec le sens et la prononciation du mot. Cette aire cérébrale est située au même endroit chez toutes les personnes quelque soit leur culture ou leur langue maternelle (grecque, chinoise etc.)… sous la condition que ces personnes aient appris à lire. C’est visiblement le résultat d’une adaptation de notre cerveau suite à l’invention de l’écriture, invention en somme toute très récente dans l’histoire de l’humanité. Il était en tout cas nécessaire d’avoir une interface permettant d’assurer la liaison entre une image visuelle et les réseaux cérébraux pré-existants du langage parlé.

Chez les personnes qui n’ont eu aucun apprentissage de la lecture, il s’avère que cette région s’occupe principalement de la reconnaissance visuelle des visages ou des outils (entres autres). En ce qui concerne ces fonctions, il est montré que le cerveau possède naturellement la fonction d’invariance par symétrie miroir ; c’est à dire que nous reconnaîtrons parfaitement une personne même si l’image visuelle qui arrive d’elle est inversée par symétrie miroir. C’est une fonction très pratique en réalité et je vous laisse imaginer la confusion permanente dans laquelle nous vivrions si tel n’était pas le cas (rien que pour nous reconnaître dans un miroir)… sauf que oui, en ce qui concerne la lecture, regardez un peu comme ça peut être embêtant : b d ou d b ?

Dans les faits, il s’avère qu’à un certain niveau d’apprentissage de la lecture et de l’écriture (et de développement de cette interface) le cerveau de l’enfant associe clairement un sens à la lecture des caractères.

tortue

Pour en revenir aux sujets qui concernent plus directement ce blog et comme il vous l’avait raconté il y a quelques temps, les premières traces d’écriture chinoise (1400 avant JC) ont été retrouvés sur des carapaces de tortues, il s’agissait d’une écriture « testudinidae-trophédon » (sous réserve que les dictionnaires de traduction sur internet m’aient donné la bonne traduction de tortue en grec).

Exemple2Sur cette carapace est écrit le même texte deux fois : une première fois en partant du milieu de la carapace de la droite vers la gauche (sens actuel de l’écriture) et une deuxième fois, toujours en partant du milieu de la carapace mais cette fois de la gauche vers la droite et avec des caractères miroirs.

Pour la petite précision, les Chinois écrivent du haut vers le bas et c’est l’ordre de succession des lignes qui va soit de la gauche vers la droite, soit de la droite vers la gauche.

On retrouve encore cette même tendance d’invariance par inversion. Comme il s’agit des tous premiers pas de l’écriture chinoise, on peut supposer que le pré-calligraphe de cette époque était probablement au tout premier stade de développement de son interface cérébrale de lecture et qu’il avait encore pleinement la capacité d’invariance par symétrie miroir comme nos petits enfants… Et quelques centaines d’années d’apprentissage de la lecture plus tard, on ne trouve plus qu’un seul sens de lecture aux caractères gravés sur les bronzes chinois !

 

Calligraphie et anti-aging effect

Le journal intime de Izumi Shikibu commence par une très belle phrase où elle se lamente sur notre monde qui est bien plus éphémère et fugace qu’un simple rêve…

Izumi Shikibu
Izumi Shikibu

Pourquoi ? Car cela fait bientôt un an qu’elle pleure la mort de son amant, emporté par la maladie alors qu’il venait à peine d’avoir 26 ans. L’histoire ne s’arrête malheureusement pas là pour elle : l’homme qui va faire son apparition dans le chapitre suivant du journal et qui deviendra son nouvel amant, mourra trois ans plus tard alors que lui aussi est à la fleur de l’âge. Par ailleurs, s’il reste peu de traces ou de témoignages sur la fin de vie de notre courtisane préférée, on sait que le dernier de ses poèmes rendus publiques a été composé à l’occasion de l’enterrement de sa fille, décédée à l’âge de 28 ans.

S’il s’agissait d’une période de paix et de stabilité politique, l’époque Heian portait néanmoins son cortège d’épidémies mortelles et de catastrophes naturelles ; les gens en règle générale ne vivaient pas vieux. On dit que l’espérance de vie à cette période était d’à peine 35 ans… Cette moyenne d’âge a été probablement tirée vers le bas avec la mortalité infantile mais malgré tout, il est aujourd’hui difficile d’imaginer de telles conditions de vie, n’est-ce pas ? A cette époque, ces choses qui nous semblent si évidentes, comme fêter sa quarantaine ou mourir avant ses enfants, n’étaient pas accordées à la plupart des gens !

Mais il y avait aussi quelques exceptions à la règle.

Un extrait de la manière très caractéristique d'écrire de Fujiwara Shunzei
Un extrait de la manière très caractéristique d’écrire de Fujiwara Shunzei

Par exemple, il y a eu Fujiwara no Shunzei (1114 – 1204), une sorte de Léonard de Vinci de la calligraphie japonaise, un homme assez exceptionnel qui a révolutionné l’écriture des kana en donnant un rythme inédit à son pinceau et qui a vécu jusqu’à l’âge de… 90 ans !!! Par-delà de sa forte constitution, c’était aussi un très bon vivant à qui on a reconnu plus de vingt enfants et parmi ses nombreux fils, on compte Fujiwara no Sadaie (1162-1241), le poète-calligraphe à l’origine de l’anthologie de poésie Hyakunin-isshu… qui s’est éteint à l’âge de 79 ans. Dans les trois calligraphes qui ont reçu le titre honorifique « sanseki 三跡 » (les trois plus grand pinceaux du Japon médiéval), le premier Ono no Michikaze (894-967) est mort à 86 ans, le second et le troisième font un peu moins fort, ils restent bien au-dessus de la moyenne : Fujiwara no Sukemasa (944-998) à 54 ans et Fujiwara no Yukinari (972-1027) à 55 ans. Un autre grand classique dans son genre, Ki no Tsurayuki (872-945), dont les écrits sont devenus les standards de l’écriture kana, a vécu jusqu’à l’âge de 79 ans.

Un vieux calligraphe
Un vieux calligraphe

Et voilà où ce blog voulait en venir : de toute évidence calligraphie (et/ou poésie) japonaise et longévité font très bon ménage ! Alors assumons pleinement notre âge en nous munissant d’un bon pinceau !!!

Par petit souci d’objectivité tout de même, soulignons un fait important : dans le domaine de la calligraphie, c’est grâce au cumul des heures d’entraînement sur de longues années que l’on acquiert une maîtrise exceptionnelle du pinceau ; c’est donc d’une sorte de nécessité que découle le fait que  les grands maîtres de calligraphie sont âgés. Un calligraphe, tout talentueux qu’il soit mais qui disparaît « prématurément », aura fort peu de chance de rester dans les annales à cause d’un manque de maturité principalement.

Que la pratique de la calligraphie ait concrètement un effet bénéfique pour la santé… cela reste à prouver effectivement. Tout du moins, on sait que prendre de l’âge (sous réserve de vieillir normalement, entendons-nous bien) n’a pas d’incidence sur la maîtrise du pinceau ; vous progresserez jusqu’à vos derniers instants si vous ne lâchez pas la pratique. J’aurais aussi tendance à penser qu’il y a aussi une sorte d’effet « placebo » très efficace : un calligraphe un tant soit peu ambitieux qui veut faire carrière aura vite compris l’importance d’un entraînement régulier à mener sur plusieurs décennies et d’une certaine hygiène de vie à maintenir également… Tout est permis mais il vaut mieux éviter de boire trop d’alcool pour continuer à manier le pinceau avec dextérité ou pour ne pas oublier le texte que vous voulez écrire par exemple. Ce genre de motivation peut vraisemblablement contribuer à maintenir une personne en bonne santé pendant plusieurs décennies.

Pour reprendre l’exemple de nos seniors calligraphes de la période Heian, c’est un peu l’impression qui en ressort : c’étaient en règle général des personnes qui ont eu une activité calligraphique et poétique soutenue jusqu’à la fin de leur vie… à l’image du doyen, Fujiwara no Shunzei, mort de la malaria qu’il aurait probablement attrapée en assistant à un concours de poésie dans lequel il présidait le jury… c’étaient malheureusement les « risques du métier » à cette époque et je vous rassure tout de suite : aujourd’hui la calligraphie japonaise ne présente pas plus de risques qu’un traitement hormonal au DHEA.

La calligraphie japonaise tout en abstraction

Il me semble que je vous ai déjà dit que l’époque Heian était ma période préférée dans l’histoire du Japon, mais vous-ai-je déjà raconté pourquoi j’adore la calligraphie japonaise représentative de cette époque ? Non ?

Tant mieux car c’est le sujet de notre post d’aujourd’hui et je m’en voudrais de radoter et de vous raconter tout le temps les mêmes histoires (enfin du moins, je m’y efforce à défaut d’y arriver).

A l’époque Heian, on trouve les plus belles œuvres de calligraphie en kana, les caractères crées par les japonais (par opposition aux caractères kanji qui ont été  empruntés aux chinois).

Les premières traces d’écrit japonais datent du 5ie siècle, à cette époque-là, on utilisait exclusivement les idéogrammes chinois (un caractère = un concept). Ces caractères n’étaient pas vraiment adaptés à la transcription de la langue japonaise. Que ce soit pour les concepts abstraits ou rien qu’en ce qui concerne les formes grammaticales, transmettre un message uniquement à l’aide de concepts s’avère bien vite limité !

Pour pallier à ce problème, les japonais ont commencé par détourner l’utilisation des idéogrammes chinois c’est-à-dire qu’au lieu d’utiliser le concept du kanji pour la transcription, on utilisait sa sonorité. Le premier recueil de poème japonais, le Manyoshu (8ie siècle) était écrit de cette manière. Par exemple, le kanji du nombre quatre « 四 » se prononce « Shi », on écrivait donc « 四 » pour la

sonorité « Shi » sans qu’il n’y ait aucun rapport avec le sens quatre. Cela pouvait être un peu plus tarabiscoté par moment : le kanji « 蟻 » veut dire fourmi et en japonais, une fourmi se prononce « ARI »… Ari est un homonyme de l’existence. On écrivait donc « 蟻 » pour écrire le mot existence. C’étaient en réalité les mêmes principes que le rébus.

Un petit rébus pour voir si vous me suivez bien...
Un petit rébus pour voir si vous me suivez bien…

Petit à petit, les japonais sont passés à une simplification de l’écriture rébus en gardant la forme mono-syllabe uniquement, un caractère = une syllabe, on garde le quatre et on abandonne la fourmi. Ensuite, le processus de simplification s’est opéré également sur la forme du caractère ; au lieu d’écrire tous les traits du kanji un par un, ce qui peut s’avérer particulièrement long dans certains cas (19 traits pour la fourmi !), ils ont cherché à obtenir plus rapidement une forme, en un ou deux coups de pinceau. C’est ainsi que sont nés les kanas :

La naissance des kana  か"KA" et な"NA"
La naissance des deux kana か »KA » et  な »NA » à partir des kanji 加 et 奈

Au début de l’époque Heian, les japonais se sont mis à écrire de la poésie japonaise exclusivement avec les kana. Dans cette période de paix où l’on jouissait d’une stabilité propice au développement des arts, les calligraphes de la cour Heian ont ouvert de nombreuses voies de recherche esthétique.

Quelques exemples pour écrire "HITO", la combinaison des deux kanas ひ+と
Quelques exemples pour écrire « HITO », la combinaison des deux kanas ひ+と

La plus évidente des voies consista à s’efforcer de donner une belle forme au kana, et, dans la suite logique de cela, de chercher à les lier gracieusement les uns aux autres. Il n’y a rien de très mystérieux dans cette voie-là, n’est-ce pas ? Nous autres occidentaux, nous comprenons bien que pour écrire un beau mot, il faut aller au-delà d’un beau « m » suivi d’un beau « o » suivi d’un beau « t », il est tout aussi crucial (voire même bien plus important) de trouver le bon enchaînement et la bonne balance des trois lettres.

Une autre voie, qui vous semblera peut être un peu plus originale car très spécifique à la calligraphie japonaise, fut de rechercher l’esthétisme en travaillant la composition générale du manuscrit. Pour citer quelques « classiques » dans les calligraphies de l’époque Heian : les lignes verticales (on lit de haut en bas et de droite à gauche) ne sont jamais tout à fait droites mais légèrement incurvées vers la droite.

Ce n'est pas droit mais c'est fait exprès (pour une plus jolie composition visuelle)
Ce n’est pas droit mais c’est fait exprès pour obtenir une plus jolie composition visuelle (un écrit du 11-1éie siècle de Ki no Tsurayuki)

Ou les longueurs des lignes sont ajustées sur l’effet visuel de la composition finale, on pourra donc passer à une nouvelle ligne même si on est au milieu d’un vers !

Ou alors, on a longuement plongé son pinceau dans l’encre avant d’écrire certains passages et on fait des gros « pâtés » à certains endroits alors qu’à d’autres, il reste à peine d’encre si bien que les caractères en deviennent presque invisibles.

Des gros pâtés (A), des caractères qu'on ne voit pratiquement pas (B) ou des vers coupés en plein milieu... Et non, on ne se moque de personne, c'est fait exprès !
Des gros pâtés (A), des caractères qu’on ne voit pratiquement pas (B) ou des retours de ligne qui ne correspondent pas à l’endroit où l’on aurait du couper les vers du poème… Et non, on ne se moque de personne, c’est fait exprès (un écrit du 11-1éie siècle de Ki no Tsurayuki).

Ces choses ne sont pas le fait du hasard, de la maladresse ou de l’étourderie du calligraphe mais bien le résultat d’une exploration volontaire artistique, d’une recherche d’esthétisme. Ces pratiques étaient aussi des manières pour mieux exprimer et mettre en valeur le contenu du poème.

Quelque fois aussi, ces pratiques prenaient une tournure philosophique ! On commençait à dérouler les vers normalement au début de la page, c’est-à-dire en commençant en haut à droite vers le bas à gauche… puis en cours de route, on revenait sur ses premiers pas pour écrire la suite du poème. Les japonais d’autrefois, probablement sous l’influence du bouddhisme, avaient acquis l’idée d’un ordre cyclique temporaire sans réelle distinction entre le début et la fin.

L'ordre d'écriture est un peu bouleversé mais là encore, c'est fait exprès !
L’ordre d’écriture est un peu bouleversé, on est revenu sur nos pas pour écrire la 8ie et 9ie ligne… mais là encore, c’est fait exprès (un écrit du 11-1éie siècle de Ki no Tsurayuki)

Les japonais ne se sont pas seulement limités à copier le système d’écriture chinois, ils l’ont amélioré et ont surpassé le concept. D’aucuns disent que dans les premiers temps, les japonais qui ont été confrontés aux écrits chinois ne comprenaient rien de ce qu’ils écrivaient (pour le coup, c’était vraiment du chinois !!!) ; c’est ainsi qu’ils ont pu porter l’aspect visuel et esthétique au premier plan et donner à la calligraphie un caractère abstrait, chose que n’ont pas su faire leurs homologues chinois emprisonnés par le souci de transmettre avant tout le sens de ce qu’ils écrivaient.

C’est pourquoi aussi chacun (et vous bien sûr, très chers lecteurs) devrait être en mesure d’apprécier une belle calligraphie japonaise même sans être capable d’en déchiffrer le contenu.

Du moins en théorie…

Un bon claquement de porte au nez

Il me semble que je vous ai déjà parlé de cette fabuleuse période du Japon médiéval, n’est-ce pas ? Cette période où le Japon connut un apogée dans la création poétique ainsi qu’une grande liberté en ce qui concerne les relations amoureuses.. et sexuelles !

Récemment, j’ai découvert qu’il y avait aussi des belles histoires basées sur des rapports de simple amitié entre les hommes et les femmes de l’époque. Enfin au moins j’ai trouvé UNE histoire d’échanges platoniques que je vais vous conter dans le post d’aujourd’hui.

Une courtisane japonaise version Heian Jidai
Une courtisane japonaise version Heian Jidai

Dans cette histoire, entre tout d’abord en scène une éminente personne : Dame Sei Shônagon (966?-1025?) une très grande écrivaine et très grande poétesse, auteure d’écrits classés aujourd’hui dans les chefs d’oeuvre de la littérature japonaise : le « Makura no Soshi » (枕草子) littéralement « Ecrits d’oreiller ». La traduction française de ce livre porte aussi le nom « Notes de chevet », un sens qui permet de comprendre facilement qu’il s’agit d’une sorte de journal intime. Il manque malheureusement le double sens japonais de « Makura », l’oreiller : au delà de l’objet physique, il désigne aussi une figure de style en poésie.

Tout cela pour vous dire : Dame Sei Shônagon était non seulement une femme de lettres très intelligente et très cultivée mais elle avait également beaucoup d’esprit.

Dans ses notes d’oreiller, elle raconte à deux reprises les échanges qu’elle a eu avec le grand calligraphe Fujiwara Yukinari (972-1027). De parole de ce blog (de calligraphie japonaise), Yukinari était un calligraphe exceptionnel et il est monté sur le podium dans le classement officiel des plus grands calligraphes de la période Heian.

Une copie d'un manuscrit de Fujiwara Yukinari, excécutée de la blanche main de votre hôte, l'auteure du blog.
Une copie d’un manuscrit de Fujiwara Yukinari, exécutée de la blanche main de votre hôte, l’auteure du blog.

Yukinari n’était pourtant pas un jeune homme très populaire à son époque, il avait la réputation d’être plutôt barbant. Ce n’était sûrement pas un adepte des divertissement « à la mode Heian » ; par exemple, on ne lui connait pas de prestigieux tableau de chasse amoureux.

La première idée qui m’a traversé l’esprit fût que Yukinari n’avait peut être pas été gâté par la nature et qu’à défaut de plaire aux filles, il s’était donc rabattu sur la calligraphie. Cette hypothèse est toutefois réfutée par les notes de Dame Shônagon : Yukinari n’était pas si mal fait de sa personne quand même. Et surtout, il été doté d’un très bel organe… c’est-à-dire une très belle voix, restez corrects s’il vous plait !

Venons-en plutôt au cœur de l’intrigue : un soir, alors qu’ils échangent poèmes et histoires littéraires dans la villa de Dame Shônagon, Yukinari prend congé brusquement, prétextant qu’il ne peut s’attarder plus. C’est un départ impromptu et plutôt inélégant pour cette grande époque de raffinement qu’est l’époque Heian.

Qu’à cela ne tienne, attendez la suite.

Le lendemain, une lettre arrive au domicile de Dame Shônagon, une lettre de plates excuses de Yukinari qui, de sa plus belle écriture, s’explique sur les raisons de son empressement de la veille. Il avait entendu le chant d’un coq et pensant que le jour était prêt à se lever, il était hâtivement rentré chez lui car un travail important l’attendait au palais impérial. Ce n’est qu’en sortant de la villa qu’il avait alors réalisé que c’était encore le milieu de la nuit.

Et oui ! On a vite oublié ce que c’était de vivre dans une époque sans montre à quartz mais cela pouvait générer de nombreux malentendus en tout genre.

Quoiqu’il en soit, à cette gentille lettre d’excuse se doit une réponse ; Dame Shônagon prend son pinceau et, à la hauteur de sa très grande réputation (non usurpée) de femme d’esprit, elle choisit d’ironiser l’histoire. « Un coq qui chante en plein milieu de la nuit ? De quel coq s’agissait-il donc ? N’auriez-vous pas plutôt recours au subterfuge du seigneur Mengchang devant la porte de Hangu ? (A la défense de Yukinari, je me permets de préciser que si votre voisin a soudain l’idée saugrenue de faire de son jardin un poulailler comme cela est arrivé à mes parents par exemple, vous l’entendrez bien ce fameux chant du coq, au moins cinq à six fois avant que le petit matin se lève vraiment).

Dans les grands classiques chinois, on relate l’histoire du seigneur Mengchang et de ses trois mille hommes qui se retrouvèrent devant la grande porte qui bloquait l’accès au col de Hangu. C’était un point stratégique dans l’ancienne Chine car il permettait d’entrer dans le pays de Qi où sourdait la rébellion. La porte était bien gardée et il y avait un couvre-feu, les gardes postés avaient pour ordre de fermer la porte le soir et de ne la rouvrir qu’au petit matin. Là, on était en plein milieu de la nuit, le seigneur Mengchang et ses hommes étaient poursuivis et ils ne pouvaient guère se permettre de perdre de précieuses heures à attendre l’aube ! Le seigneur eut alors l’idée d’utiliser le talent d’un de ses hommes à imiter le chant du coq ; c’est ainsi qu’il dupa les gardes et qu’il provoqua l’ouverture prématurée de la porte. Ils purent alors s’échapper et chercher refuge dans leur pays natal.

Voilà comment étaient construites les vannes de l’époque Heian ! Il me semble qu’elles étaient bien plus difficiles à placer que celles d’aujourd’hui, vous ne trouvez-pas ? Elles faisaient appel à la culture générale de l’individu et les meilleures étaient envoyées par ceux qui avaient une très bonne éducation et une grande sagacité (comme ce fut le cas de notre Dame Shônagon, entre autres). Enfin, il fallait être constamment sur ses gardes car si on plaçait une vanne à votre encontre, il fallait être prêt à renvoyer la balle aussitôt !!! Par exemple, si vous ne connaissiez pas l’histoire de ce seigneur chinois, comment auriez-vous été capable de trouver la bonne répartie ?

Pas d’inquiétudes en ce qui concerne Yukinari, lui aussi est un homme de lettres et la référence ne lui a pas échappée. Dans une nouvelle missive, il se permet d’objecter : l’imitation du chant du coq était destiné à ouvrir la porte à une armée rebelle en déroute… la comparaison ne peut pas tenir ! Yukinari est venu voir Dame Shônagon avec de bien différentes intentions et s’il avait été question de franchir une porte, cela aurait été… la porte d’Osaka.

Et voilà, joli retour de vanne !!!

La porte d’Osaka marque la frontière entre deux provinces du Japon et par un jeu subtile sur les caractères chinois, elle est devenue dans les classiques de poésie japonaise l’endroit où, le soir venu, se rencontrent les amoureux.

Dame Shônagon n’est pas en reste pour autant, détrompez-vous. Pour le final, elle claquera joliment la porte au nez de ce pauvre Yukinari :

 夜をこめて鳥の空音は 謀るとも / Yo o komete Tori no sorane wa Hakaru tomo

よに逢坂の関は許さじ / Yo ni Osaka no Seki wa yurusaji

Le chant du coq en pleine nuit pourrait en tromper plus d’un,

Mais s’il s’agit des gardes de la porte d’Osaka, ils ne seront jamais dupes !

C’est par ce waka que Dame Shônagon s’est retrouvée immortalisée dans l’anthologie des cents poètes Hyakunin-isshu. Il faut reconnaître qu’il témoigne parfaitement des traits de caractère de cette grande Dame pleine d’intelligence et de sagacité !

Les deux cartes du Haykunin-isshu relatives à Sei Shônagon
Les deux cartes du Haykunin-isshu relatives à Sei Shônagon

Un peu de correction si vous le voulez bien…

Dans une ancienne version de ce blog, nous vous avions déjà parlé du grand bananier, vous vous souvenez ? Et bien aujourd’hui on y revient encore.

J’arrête ici les petits nouveaux ou les lecteurs amnésiques : aucun rapport avec une boisson chocolatée en poudre (oui je sais, elle était facile celle là), il s’agit de Bashô (芭蕉 1644-1694), une sorte de Baudelaire nippon sans l’absinthe, l’opium ni les femmes. Car si l’avis de ce blog vous intéresse, les artistes japonais semblent avoir en règle générale une vie bien plus saine que leurs homologues occidentaux. En tout cas, nous retiendrons que l’inspiration principale de Bashô, ce sont les choses de la nature, les beaux paysages et le passage des saisons… le tout en état de parfaite sobriété, s’il vous plait.

Une des nombreuses statues de commémoration du passage de Bashô dans la région Tohoku (Ishinomaki)
Une des nombreuses statues de commémoration du passage de Bashô (devant) et son fidèle disciple Sora dans la région du Tohoku (Ishinomaki)

Bashô, c’était un homme qui a révolutionné la poésie japonaise et un vrai artiste engagé comme ce blog les aime !

Alors attention sur ce que nous entendons par « engagé ». En réalité, il est resté célibataire jusqu’à sa mort même si selon certains témoignages, il « aurait » entretenu pendant de nombreuses années une relation avec une femme qui « serait » devenue mère célibataire dans la période… Le mystère restera entier sur sa descendance ; officiellement, notre poète a entièrement dédié sa vie au célibat et à la bonne cause : la poésie. Il est tout de même le papa reconnu du haiku, une version très courte de poème japonais en trois vers de 5-5 et 7 syllabes. Ou 7-5-5. Ou 5-7-5 (contrairement au tiercé, dans le haiku l’ordre importe peu tant que vous avez la combinaison « deux cinq / un sept »).

Dans sa dernière décennie, alors qu’il s’était fait un petit nom dans le milieu et qu’il aurait pu en profiter pour se la couler douce, Bashô ne s’est pas reposé sur son bananier (ha ha ha elle est bien bonne n’est-ce pas ?), il s’est mis à parcourir le Japon de long en long (la forme de l’île principale) à la recherche perpétuelle d’inspiration pour ses poèmes… tout en tentant de recruter de nouveaux disciples.

Oui mais attention ! C’était une grande prise de risque… Le voyage au Japon du 17ie siècle était bien loin de la franche rigolade d’aujourd’hui dans les trains grande vitesse avec la clim et les sièges inclinables. A l’époque, c’était un véritable défi physique et beaucoup de personnes y ont laissé leur vie… ce fut le cas pour Bashô car la maladie l’a emporté lors de ce qui devait n’être qu’une escale de son (tout dernier) voyage.

Matsushima, classé un des plus beaux paysage du Japon. Bashô a été totalement subjugué par la beauté du lieu qu'il en a eu le ver coupé... Seul ce haiku très facile à retenir lui est sorti de la bouche : Matsushima ya Ah Ah Matsushima Matsushima ya
Matsushima, classé un des plus beaux paysage du Japon. Bashô a été totalement subjugué par la beauté du lieu qu’il en a eu le ver coupé… Seul ce haiku (très facile à retenir) lui est sorti de la bouche : Matsushima ya / Ah Ah Matsushima ya / Matsushima ya

Pour ce qui concerne ce post, nous allons parler d’un autre voyage qu’il a bien fini et dont il a fait le récit dans son très célèbre journal « Oku no hoso michi« . L’étroit chemin du fond. Depuis Edo (l’ancien nom de Tokyo), il est parti dans le grand nord du Japon, cette région rendue tristement célèbre par le tsunami de 2011 mais qui, bien avant ça, contenait un nombre important de sites magnifiques dont les charmes avaient été moult fois vantés par les grands poètes classiques.

Ensuite, il est redescendu vers le sud en longeant le bord de la mer du Japon jusqu’aux environs du lac Biwako. Au total, à peu près… 2400 km !!! Et oui, c’est pourquoi ce blog se permet des prises de position sur l’hygiène de vie des artistes japonais, figurez-vous.

Il existe plusieurs versions de « Oku no hoso michi » car Bashô ne s’acharnait pas seulement sur les kilomètres mais également sur ses écrits qu’il travaillait, retravaillait et re-retravaillait… pour mieux les re-travailler ensuite ! Dans la dernière version du journal, manuscrit réalisée de sa belle main avec son plus beau pinceau, six ans après son retour de voyage, sur les 32 pages, on en compte 24 qui sont retouchées avec des patch pas très discrets… Regardez :

Le manuscrit de Oku no Hoso Michi
Un passage du manuscrit de Oku no Hoso Michi
oknohosomichi2
Un autre passage du manuscrit de Oku no Hoso Michi

Un manuscrit qui a de la correction donc !!!

Ou qui était bourré d’erreurs diront les plus pessimistes de nos lecteurs.

On trouve plusieurs sortes de corrections. Pour commencer, celles qui viennent probablement de petites fautes d’attention en recopiant son brouillon. Dans ce cas, Bashô tentait tout d’abord de les effacer en utilisant un petit bout de bois pour gratter le papier, un peu comme le principe d’une gomme. Quand le seul grattage ne suffisait pas pour masquer l’erreur ou quand le papier s’était déchiré dans la manœuvre, il collait un petit morceau de papier sur lequel il ré-écrivait le ou les bons caractères.

Dans d’autres cas, ce sont carrément des passages entiers qui ont été l’objet d’un bon copier coller à l’ancienne. Pour finir, avec des analyses poussées de radiographie et en vérifiant notamment les fils et les trous d’aiguilles sur la reliure du manuscrit, on a également découvert que cela ne coïncidait pas toujours et que certaines pages avaient été déchirées alors que d’autres avaient été rajoutées après.

Vous allez donc monter au créneau pour protester car merci mais bon on n’apprend pas grand chose de révolutionnaire : vous aussi vous faisiez ça avec votre cahier d’école sous le regard désespéré de votre maîtresse (faut dire que le tipex d’autrefois, c’était du travail de cochon garanti).

Pour la défense de ce blog, je me suis dit qu’à notre époque numérique où l’on ne garde plus aucune trace de nos corrections, un petit rappel sur les fondamentaux du couper-copier-coller ne ferait jamais de mal. Ensuite, permettez-moi de conclure que le génie ça se travaille, il n’y a pas lieu de faire de complexes ou de tergiversions « ai-je suffisamment de talent ou non ? » mais bien de relever ses manches et de se mettre au boulot.

C’est peut être aussi un mythe qui tombe pour ceux d’entre vous qui pensaient que, de part le caractère indélébile de l’encre de Chine, les calligraphes avaient pour obligation d’écrire avec beaucoup de soin sans ne commettre aucune erreur sous peine de devoir tout recommencer depuis le début ! Mais si vous voulez l’avis de ce blog qui décidément aime trancher dans le vif : Bashô avait bien plus de déontologie poétique que calligraphique.

Ah comme c’est triste !

Ganshinke
顔真卿, un haut-fonctionnaire modèle

Ce blog qui aime toujours vous surprendre a l’intention de vous présenter dans ce post le fonctionnaire Ganshinke 顔真卿 (ou Yan Zhenqing) un fonctionnaire plus-loyal-on-ne-fait-pas-mieux de la dynastie Tang. Ce n’est pas au Japon, ce n’est pas une femme, ce n’est pas un poète et pourtant… c’est un modèle que l’on admire beaucoup ici.

Car Ganshinke (702-785) était un type vraiment très brillant, vous savez ! Dès son plus jeune âge, il a empilé tout un tas de diplômes et semblait promis à une belle carrière dans l’administration. C’était aussi un fonctionnaire sacrément bien droit dans ses bottes ! Si ce genre de personnage plaisait au petit peuple, dans les coulisses du pouvoir c’était bien différent. Dans l’empire chinois décadent et croulant sous la corruption, la rectitude et le franc-parler n’étaient pas considérés comme des qualités dignes d’un haut fonctionnaire. Elles lui voudront d’être nommé gouverneur d’une petite province très très éloignée de la cour impériale.

A peine une ou deux années passent dans cette petite province et se produit alors un événement important pour l’histoire de la Chine car il mènera à la chute de la dynastie Tang. En 755, le général An Lushan se révolte. Son grief ? Ce n’est pas qu’il ait quelque chose à reprocher directement à l’Empereur d’autant qu’il entretient de très bonnes relations avec la concubine de ce dernier dont il est devenu le fils adoptif ; c’est surtout que le général n’arrive pas à s’entendre avec le premier chancelier. En levant son armée, il cherche tout simplement à débarrasser l’empire de ce misérable individu corrompu. Et il prend vite l’avantage car, face à lui, il y a une armée impériale en pleine décadence qui a bien peine à défendre ses territoires. Par ailleurs, il est malin et traite tous les gouverneurs impériaux avec grand respect en leur assurant l’amnistie en cas de reddition.

Pour notre grand modèle de rectitude, un tel compromis serait bien sûr une véritable infamie ! Ganshinke organise la défense de sa propre province et s’allie à son cousin Gankoukei, lui-même gouverneur d’une autre province, pour attaquer les rebelles et les combattre… jusqu’à la mort s’il le faut ! Les deux Gan « 顔 » tiennent tête au général et deviennent l’emblème d’une loyauté sans faille à l’Empereur alors que cette qualité se fait si rare à l’époque. Ganshinke prend du galon, il est rappelé à la cour impériale et va jusqu’à obtenir le poste de Ministre de la Justice… puis le reperd aussitôt car son acharnement à dénoncer systématiquement la corruption de ses pairs en énerve bien plus d’un, notamment le fameux grand chancelier.

Il en est ainsi pour notre grand modèle, c’est comme une fatalité, il ne peut s’empêcher d’être incorruptible. S’agissait-il d’une caractéristique de son ADN ? Dans la grande famille Gan « 顔 » où l’on devient traditionnellement haut-fonctionnaire au service de l’Empereur, on fait preuve d’honnêteté et de droiture jusqu’au bout. Ainsi, quand le frère et le neveu de Ganshinke tombent aux mains du général rebelle, même sous la plus ignoble des séances de torture, ils ne céderont pas. Qu’on leur casse les os ou qu’on leur coupe la langue : la rébellion du général restera acte de traîtrise et rien d’autre ! Ils seront finalement exécutés.

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« Ah comme c’est triste »

Lorsque notre ex-ministre revenu au bas de l’échelle de la fonction publique apprend la mort de son oncle et de son neveu, il n’est que colère, indignation et tristesse ! C’est ainsi qu’il prend son pinceau et qu’il tente de rédiger une éloge funèbre digne des deux martyres. En terme de résultat, c’est une belle éloge gravée sur la stèle familiale mais aussi et surtout… le brouillon de cette oeuvre est devenu un très célèbre modèle de calligraphie permettant, entre autre, d’apprendre le style semi-cursif Gyosho. Et oui, c’est là où ce blog voulait en venir, il vous a bien eu, non ?

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Un extrait un peu lourd de Kaisho

Chose amusante, Ganshinke est un calligraphe chinois très renommé mais la première fois que j’ai vu ses caractères, je n’ai vraiment pas aimé et j’ai pensé que c’était une belle tromperie ! Je trouve son style en script (non-cursif) Kaisho trop lourd et trop compact. Je me suis dit alors que c’est bien d’être dans la rectitude en permanence mais point trop n’en faut. C’est un peu trop rigide et… barbant comme peuvent être les gens qui n’arrêtent pas de faire tout le temps la morale à tout le monde ! Mais je reconnais que cela relève d’un problème de goût personnel aussi.

Gyosho
Un extrait du Gyosho de Ganshinke

En donnant un peu plus de vitesse à son pinceau pour écrire un simple brouillon sans vraiment s’appliquer, les caractères de Ganshinke se sont révélés de bien plus belle manière. Peut être est-ce aussi sous le coup de cette grande tristesse qu’ils se sont déliés ? En tout cas, avec un tracé moins travaillé, ses caractères gagnent en souplesse et en légèreté tout en gardant la composition quasi-parfaite du Kaisho. Pour ceux qui ne pratiquent pas, sachez que c’est quelque chose de très difficile à conserver quand on prend de la vitesse en écrivant et que c’est une preuve irréfutable que vous maîtrisez parfaitement le pinceau.

L’histoire de notre modèle de fonctionnaire se termine tragiquement… vous vous en seriez doutés, n’est-ce pas ? En 785, le grand chancelier (rancunier) envoie Ganshinke négocier une trêve avec le général. Autant dire que c’était l’équivalent d’une mise à mort ! Evidemment, Ganshinke n’a pas faillit à sa réputation : il a fait preuve de grande bravoure et n’a pas plié devant le général qui exigeait sa reddition. Evidemment, il a été fait prisonnier et a fini par être exécuté.

Sa mort a provoqué un grand émoi, auprès du peuple et auprès de l’Empereur également ; de grandes cérémonies ont été organisées pour son deuil.

Des petites fleurs que l'on offre à notre fonctionnaire incorruptible.
Des petites fleurs que l’on offre à notre fonctionnaire incorruptible.

Dans ce blog on l’on aime les petites fleurs mais pas les histoires qui finissent trop mal, on est convaincu aussi qu’à son arrivée, Ganshinke sera rentré au paradis des calligraphes par la grande porte et sans qu’on ne lui ai posé aucune question.

Il aura aussi reçu tous les honneurs à titre posthume dont celui de devenir un incontournable en calligraphie même à notre époque d’aujourd’hui.

Fin de l’histoire.

Le secret de la beauté japonaise est ici.

Alors attention !!! Ce blog est prêt à vous en mettre plein la vue avec le post d’aujourd’hui !!!

Des petites fleurs (rhododendron japonais) bien roses comme je les aime !
Des petites fleurs (rhododendron japonais) bien roses comme je les aime !

Mesdames, Mesdemoiselles, vous qui aimeriez tant avoir une peau de pêche, des beaux cheveux noirs et épais qui tiennent si bien la longueur et des yeux en profil d’amande pour faire tourner la tête des hommes ? Pas de problème, dans ce blog on trouve la solution à tous vos problèmes, pour le cas présent, je vous conseille d’aller faire un tour au sanctuaire 河合神社, le temple des Bi-jin (美  人) qui se situe juste à côté du Shimogamo-jinja.

Le temple des Bijin ou de son vrai nom 河合神社 (Kawaijinja)
Le temple des Bijin ou de son vrai nom 河合神社 (Kawaijinja)

Que veut donc dire Bi-jin (美  人) me demanderez-vous ? C’est une très bonne question que vous faites bien de poser et pas seulement car cela me permet de dérouler le fil du post.

Regardons tout ça d’un peu plus près. Dans 美 人, il y a en première place notre ami le kanji Bi  » 美 », qui désigne la beauté mais attention, pas dans le petit sens un peu étroit de mignon ou joli, c’est dans le très grand sens d’esthétique.

Nous avons ensuite l’ami kanji hito « 人 » qui signifie homme / être humain. Par un phénomène curieux que ce blog n’arrivera pas à vous expliquer, le terme de Bi-jin devrait ne faire aucune préférence pour un sexe en particulier et pourtant… il ne s’applique généralement qu’aux femmes. Ce serait un équivalent de « bombasse » en gros.

Et dans ce blog, nous irons même plus loin que ça ! Si on décompose notre ami le kanji Bi, on découvre qu’il est constitué de deux autres connaissances : sur le bloc du haut, vous trouverez l’ami hitsuji « 羊 » qui signifie mouton, et sur le bloc du bas l’ami dai « 大 »  qui signifie grand. Pour les chinois de l’époque, rien n’était plus beau qu’un bon gros mouton bien gras qu’on allait vendre une fortune au marché du coin. Depuis cette époque, les standards de l’esthétisme ont changé, effectivement. On notera que ça a l’avantage de donner un fort bon moyen mnémotechnique pour retenir la composition de notre ami Bi, n’est-ce pas ?

Et ce n’est pas tout ! Quand on l’écrit au pinceau, notre ami Bi est sacrément élégant, vous ne trouvez pas ? Quel est donc son secret de beauté ??? Ce sera un avis qui n’engagera que ce blog mais nous trouvons ici que cela vient de sa belle forme féminine et élancée. Par exemple, si vous joignez les extrémités des traits horizontaux, regardez moi donc un peu la belle courbe que vous obtenez. On en rêve toutes d’une belle taille comme ça !

Un portrait de notre ami le kanji "BI"
Un portrait de notre ami le kanji « BI »

D’aucuns disent que cette courbe n’est pas seulement un standard d’esthétisme pour nos amis les kanji, plus généralement, ce serait une forme particulièrement agréable pour l’œil humain… expliquant ainsi ce mystérieux engouement international pour le Mont Fuji. Vous ne voyez pas le rapport ?

Dans ce blog où l’on aime la littérature japonaise aussi, on est très heureux de vous renvoyer à la lecture d’un de nos auteurs japonais fétiche : Dazai Osamu. Dans sa nouvelle sur les cent vues du Mont Fuji, petite merveille littéraire, il expose particulièrement bien la situation tout en donnant de l’eau à notre moulin. Selon Dazai, s’il est impossible d’établir des raisons objectives pour autant d’enthousiasme autour d’une aussi petite montagne (3776 m), il faudrait sûrement y voir le résultat d’une vaste escroquerie publicitaire qui s’est construite tout au long de l’histoire du Japon autour du point culminant de l’archipel ! Pour ne citer que son exemple fort parlant : sur les estampes de Hiroshige, l’angle de notre montagne atteint 85°, un angle totalement improbable qui nous donnerait Mont Fuji en forme de tour Eiffel… Selon les mesures officielles, l’angle réel se situe entre 124°, tout au plus 127°.

Effectivement, c’est un angle peu réaliste mais agréable à regarder pour preuve ci-dessous. Nos lecteurs maintenant avertis établiront le parallèle avec le profil de notre ami le kanji Bi… non ?

La plutôt "belle à regarder" escroquerie de Hiroshige
La plutôt « belle à regarder » escroquerie de Hiroshige

Dans ce blog où l’on aime bien avoir de grands principes, on vous dira que le secret pour bien écrire nos amis kanji réside essentiellement dans la question de trouver le bon angle, celui qui donnera le profil le plus attractif pour l’œil humain. Et le tour sera joué !

Pour en revenir à nos gros moutons et nos lectrices qui trépignent d’impatience depuis une bonne trentaine de ligne, la démarche à suivre pour devenir une Bijin :

Attention, prétendantes au titre de Bijin, avant tout, suivez scrupuleusement les instructions !
Attention, prétendantes au titre de Bijin, avant tout, suivez scrupuleusement les instructions !
  1. Se procurer la petite pièce en bois en forme de visage. Vous remarquerez qu’au dos de la pièce, vous trouvez les inscriptions « 美人になれますように » que l’on traduirait par « Pour que je puisse devenir une Bijin ». Dans ce blog, on se la pète beaucoup mais parfois on assure pas du tout, c’est vrai : on a complètement oublié de s’enquérir du prix, pardon pardon !!! Soyez rassurée tout de même, ce sera probablement moins cher qu’une liposuccion et toujours bien moins dangereux que des implants mammaires.
  2. Avec son nécessaire de maquillage (ou un simple crayon), personnalisez le visage de manière à ce qu’il vous ressemble dans les grands traits.
  3. Posez-le avec les autres et laissez faire les pros.

Les pros, ce sont les tenanciers de l’endroit qui adresseront de votre part une petite prière au grand kami-sama de la Bijin. Il ne vous reste plus qu’à attendre et sûrement que dans un avenir relativement proche, les hommes tomberont comme des mouches.

J’ajouterai en guise de conclusion qu’à défaut d’être une expérience avec des vraies chance de réussite, ce sera un beau geste pour le commerce local de Kyoto, merci !

De pinceau et d’autre…

Aujourd’hui, dans ce blog qui aime les défis de l’extrême, nous avons décidé de revenir à nos moutons et de vous parler à nouveau de pinceau et de calligraphie tout en gardant autant de lecteurs au début qu’à la fin du post… defi qui ne sera donc pas une mince affaire effectivement.

C’est partiiii !

Dans la chèvre, tout est bon pour faire un bon pinceau !
Comme pour le cochon en charcuterie, dans le poil de chèvre, tout est bon pour faire un pinceau !

En calligraphie, des pinceaux, il y a en a de toutes sortes !!! Déjà parce qu’il y en a de tous diamètres avec des pointes de toutes épaisseurs selon la taille des caractères que vous voulez tracer. Il y en a aussi de toutes longueurs de manche selon votre préférence pour la tenue du pinceau.

Pour les poils du pinceau, vous pouvez aller les chercher sur pleins d’animaux différents, principalement sur les chèvres, les chevaux et les belettes. Les plus pragmatiques de nos lecteurs auront vite réalisé qu’il n’y a pas « naturellement » de chèvres au Japon (ce qui est un gros problème pour les amateurs de bons fromages, ce blog peut malheureusement en témoigner). Mais rappelons que la calligraphie et les pinceaux viennent à l’origine de Chine et c’est là où on va chercher les poils de chèvre s’il y en a besoin.

Attention, il est également dit qu’au Japon, on fabrique des pinceaux avec les cheveux des nouveaux nés mais dans ce blog où l’on ne cherchera pas à vous entourlouper rassurez-vous, sachez que c’est pour le folklore ! Comme le coup de conserver le bout desséché de son cordon ombilical… vous êtes au courant de cette tradition japonaise ? Parait-il que si vous le faites infuser dans l’eau chaude, le breuvage ainsi obtenu deviendrait un puissant remède contre les maladies graves. Et puis aussi, la petite marmotte met le chocolat dans le papier d’aluminium.

Et non vous ne rêvez pas, un pinceau 100% cheveux de bébé !
Et non vous ne rêvez pas, un pinceau 100% cheveux de bébé !

Vous l’aurez compris : un pinceau avec ses premiers cheveux, c’est un souvenir qu’on garde précieusement jusqu’à sa mort et qu’on évitera de tâcher avec de l’encre ou d’abîmer en l’utilisant pour écrire (tant qu’à faire).

Donc nous en étions où ? Ah oui ! Selon l’animal que vous aurez dé-poilé, vous obtiendrez un pinceau plutôt souple (dans le cas de la belette) ou plutôt dur (dans le cas du cheval). En fait, il y a beaucoup de variations possibles (mais seulement 50 nuances de gris) donc vous pourrez aussi trouver des mélanges avec du poil souple à l’intérieur et du poil dur à l’extérieur.

Il y a d’autres paramètres importants qui varient avec l’animal, comme la viscosité du poil (utile pour bien retenir l’encre à l’intérieur de la pointe du pinceau) ou alors l’élasticité.

Si vous êtes toujours en train de surfer sur ce blog... vous êtes dingue !
Si vous êtes toujours en train de lire cet article, c’est que vous êtes dingue, je ne vois que cette explication !

Pourquoi l’élasticité est-elle un paramètre important ? Alors, attention, on entre dans le vif du sujet, préparez-vous, ça traite en réalité des lois de la mécanique élémentaire !

Je ne sais pas pour vous mais dans ce blog, là tout de suite, on se demande si on prend la bonne direction pour relever le défi qu’on s’est lancé de ne pas barber les gens. Bon tant pis, on assume.

Quand vous appuyez légèrement la pointe de votre pinceau contre le papier (sans appuyer comme une brute merci), il y a un retour sous la forme d’une force de réaction (en sens opposé à votre force d’action) qui vient du support où vous avez posé votre feuille. C’est à dire que malgré la pression exercée, le pinceau ne s’écrase totalement et conserve à peu près sa forme d’origine. Vous pouvez sentir comme une résistance qui vient de sa pointe, comme un effet ressort en quelque sorte.

Si votre pinceau est en poils durs et avec peu d’élasticité, la pointe du pinceau ne se déforme pas beaucoup quelque soit la pression, un bonheur pour les débutants qui ont la main lourde !!! Ils pourront facilement écrire sans que le pinceau s’ouvre ou que la pointe parte en vrille. En revanche, pour les styles un peu cursifs, on aura un mal fou à faire suivre des courbes à un pinceau qui ne se déforme pas facilement. Un pinceau un peu plus souple sera bien mieux adapté dans ce type d’écriture-là. Ce serait un peu comme pour le ski : le profil de la paire de ski adéquate est différent dans le cas d’une épreuve de descente ou de slalom.

Ouh la la, j'aimerais pas être à sa place !
Ouh la la, j’aimerais pas être à sa place !

Car ce n’est pas que ce blog aime faire dans le parallèle démagogique mais parce que si en fait, on vous le dit : la calligraphie, c’est comme faire du ski et c’est tout aussi fun (voire même bien plus fun) !!!

Que ça vienne d’une paire de ski ou d’un pinceau, c’est une affaire de sensations avant tout. Avec les sensations qui vous viennent des skis qui sont en contact avec la piste, vous sentez que la neige est dure, que vous êtes entré dans la poudreuse, le profil de la pente etc. et vous adaptez votre vitesse ou votre technique en conséquence.

Pour la calligraphie, c’est la même chose : la neige c’est l’encre, la piste le papier et vous avez votre pinceau en guise de paire de ski. Et je dis ça sérieusement en plus, c’est ça le pire !

Comme pour le ski, il est important d’avoir du bon matériel, certes mais, une bonne technique de glisse vous permettra de palier à toute faiblesse. Tâchez de toujours bien garder le contact avec la piste afin d’afin d’assurer au mieux la descente. Tout moniteur de ski vous le dira : ne mettez pas de tension inutile  !!! Quand vous êtes sur votre paire de ski, les genoux sont bien détendus et en légère flexion. En calligraphie, faites en sorte que le ressort de votre pinceau ne soit jamais ni trop tendu ni trop relâché, c’est comme ça que vous écrirez de jolis caractères.

La où ce blog pêche un peu, c’est pour le planter de bâton car à notre connaissance, il n’y a pas de technique équivalente en calligraphie. En revanche, le verre de vin chaud peut également s’appliquer et d’autant plus si vous optez pour l’alcool de riz plutôt. Après ça, le pinceau a tendance à bien mieux tourner mais attention, c’est surtout dans la tête alors évitez de trop abuser de cette solution qui n’en est pas une.

Je constate avec joie que vous êtes arrivés jusqu’à ces dernières lignes cher lecteur !!! Le défi est relevé, impossible ne correspond pas à la nationalité de ce blog, qu’on se le dise !

Sauf que la tenue du pinceau n'est pas terrible si je puis me permettre Monsieur Bonaparte.
Sauf que la tenue de votre pinceau n’est pas terrible si je puis me permettre Monsieur Bonaparte.

S’il fallait vraiment établir une liste de 100 personnalités…

Quelle ne fut pas la surprise de la semaine de découvrir qu’au top de la célèbre liste des 100 personnalités les plus influentes selon le TIME, cette liste « très attendue » par tous les médias… Beyonce se retrouve en première place ???

Une belle et talentueuse poétesse du Japon (en kimono) la dame Ise
Une belle et talentueuse poétesse du Japon, la dame Ise

Dans ce blog où l’on ne vous cachera jamais la vérité toute crue même si elle pourrait déranger, c’est un fait : on n’apprécie vraiment pas le RnB… mais la déconvenue de voir ce résultat va au delà d’une question de genre musical, je vous assure !

Heureusement, il n’en a pas été ainsi dans toute l’histoire de l’humanité, il y a des époques où l’on savait vraiment établir des listes qui se respectent et c’est de cela dont je vais parler dans le post d’aujourd’hui. C’est un sujet qui a un petit rapport avec la calligraphie mais surtout avec la culture et la poésie japonaise : le classique Hyakunin Isshu 百人一首 (litt. cent personnes un poème).

Comme vous avez du le comprendre tout seul, il s’agit d’une anthologie de poésie. Bravo !

 

Un extrait d'écriture de la main de Fujiwara Sadaie
Un extrait d’écriture de la main de Fujiwara Sadaie

Cette anthologie est composée de tanka (c’est à dire un poème avec une structure imposée de 31 syllabes divisées en vers de 5-7-5-7-7 syllabes) composés par 100 des plus grands noms de la poésie japonaise. La sélection est communément attribuée à l’homme de cour et poète Fujiwara no Sadaie (1162-1241) qui a vécu entre la fin de la fabuleuse époque Heian (il me semble que je vous en ai déjà parlé de cette époque, n’est-ce pas ?) et le début de l’époque Kamakura. En réalité, les origines de sa création restent plutôt obscures et si l’on entre dans les détails… Peut être bien que ce serait aux environs de l’année 1235 alors que le futur beau-père de son fils (ça va, vous me suivez ?), Rensho 蓮生, un poète-ermite qui vivait dans une petit pavillon isolé dans la montagne lui aurait demandé de lui confectionner de jolies petites calligraphies pour refaire les papiers peints de sa villa (note : les portes des maisons japonaises étaient en papier à l’époque). Il faut savoir que l’on reconnaissait à Sadaie un vrai talent pour la poésie et aussi pour la calligraphie.  L’hypothèse que ce futur beau-père aurait proposé la sélection de poème et que Sadaie n’ait juste eu qu’à les copier serait envisageable aussi. On ne pourra jamais vraiment savoir et tant pis, on se contentera du résultat.

Car quel beau résultat !!!

Déjà, dans ce blog à tendance féministe, on a été ravie de trouver plein de poétesses dans cette sélection ! On est loin de la parité certes – 79 hommes contre 21 femmes – mais on parle tout de même du Japon pré-médiéval. Les poètes sélectionnés vont de la période Asuka (6-7 ie siècle) à la fin de la fabuleuse époque Heian (8-10ie siècle). Il me semble que je vous en ai déjà parlé de cette fabuleuse période historique du Japon, n’est-ce pas ?

Il y a un ordre dans cette sélection mais je vais décevoir les lecteurs amateurs de compétition : l’ordre est grosso-modo chronologique selon l’auteur. Car c’est la crème de la crème de la poésie japonaise, il serait impossible d’établir un classement voyons ! Par ailleurs les poèmes traitent de tous sujets : de l’amour, des rapports humains, des petites fleurs, des changements de saison… On ne s’en lasse pas et surtout d’aucuns diront que cela constitue donc un magnifique reflet de l’âme japonaise de l’époque.

Et ce n’est pas tout : il y a même eu des « goodies » ! A l’époque d’Edo (16ie au 19ie siècle), à partir de cette anthologie, on a inventé un jeu de cartes très amusant auquel on jouait traditionnellement aux réunions familiales du premier de l’an. On se divertissait en récitant de la poésie !!! Ca le fait, vous ne trouvez pas ?

Deux exemples de design du jeu de cartes
Deux exemples de design du jeu de cartes

En respectant la structure du tanka, chaque poème est divisé en deux parties auxquelles correspondent deux type de cartes. Une personne tient le rôle d’orateur et prend les 100 carte du premier type (sur lesquelles sont écrites la première moitié des poèmes) ; les 100 autres cartes (sur lesquelles sont écrites la deuxième moitié du poème) sont disposées devant les joueurs. L’orateur tire au hasard une carte dans son paquet et lit la première moitié du poème… le joueur qui retrouve en premier la deuxième moitié du poème récupère la carte. A la fin, celui qui a accumulé le plus de cartes remporte la partie.

Même à notre époque si pressée où l’on a la télé, internet et plus le temps pour rien du tout, ce jeu reste très populaire ! Dans ce blog pas si porté sur les traditions (mais un peu quand même), on a été ultra-content de savoir que les jeunes continuent à y jouer. Lorsque on a découvert que c’était grâce à un manga que le jeu était devenu aussi en vogue en France… « ah bon ? terrible !!! » … mais pratiqué par des gens qui ne comprennent pas un mot de japonais… ah oui d’accord.

On a été un peu déçu car à ce compte, c’est donc juste un jeu de Memory et ça n’a pas plus de rapport avec la poésie. Dans ce blog trop exigeant en règle générale mais résolument optimiste quoiqu’il arrive, on se fera à peine violence pour admettre que c’est toujours mieux qu’une disparition pure et simple du jeu.

Ah la la la ! On aura beau dire, rien ne valait l’bon vieux temps où la culture personnelle et la poésie étaient reconnues et considérées à leur belle et juste valeur… comme cette fabuleuse époque Heian ! Et d’ailleurs, je vous en ai déjà parlé de cette période de l’histoire du Japon ???