Âmes pudiques s’abstenir… ou comment la calligraphie peut vous mettre à nu !

michiS’il y a bien une chose que ce blog trouve dommage, c’est qu’il n’y ait pas de traduction appropriée pour son domaine de prédilection Shodo « 書道 ». Pour être exact, on devrait dire « la voie de l’écriture » mais en français, on traduit généralement le terme par « calligraphie japonaise ». Peu importe me direz-vous, lorsque l’on consulte le dictionnaire, on trouve dans le Larousse :

Calligraphie : art de former d’une façon élégante et ornée les caractères de l’écriture ; écriture formée selon cet art.

et on s’en satisfait, non ? L’art de former d’une façon élégante les caractères de l’écriture japonaise, ce qui est le but de la discipline Shodo, c’est vrai. Sauf que le terme ramène beaucoup à la conception traditionnelle très occidentale de ce qu’est « former des caractères élégant » mais la mise en pratique de l’écriture au Japon est (il me semble) sensiblement différente.

Un ami japonais m’avait dit un jour qu’il avait abandonné la voie du Shodo parce qu’il pensait que sa personne se révélait dans les caractères qu’il écrivait et que l’idée d’offrir ce spectacle à tout le monde ou rien qu’à lui-même, lui était inconfortable… je n’avais pas très bien saisi à l’époque de cette conversation et je m’étais dit qu’il était bien trop japonais cet ami (c’est-à-dire beaucoup trop sérieux sur des sujets qui ne méritent pas de l’être autant) mais avec les années de recul maintenant, je crois un peu mieux comprendre son problème.

Voilà, c’est donc parti pour aujourd’hui : je vais tenter de vous l’expliquer en esquissant les différences dans la calligraphie occident-extrême orient dans le post de cette semaine.

Un soir d'été à tendance orageuse (Kyoto - Août 2014)
Un soir d’été à tendance orageuse (Kyoto – Août 2014)

D’où vient la différence entre la calligraphie occidentale et la calligraphie chinoise ? (note : je me limiterais à la partie commune à la Chine et au Japon de tracer les idéogrammes et je botte en touche pour l’instant concernant les caractères 100% japonais).

Trouver l’origine et les raisons des différences est d’une grande complexité mais on peut au moins en observer dans la nature des caractères (i.e. lettres) ainsi que de l’outil utilisé pour écrire.

Pour commencer, concernant la nature des caractères, on pourrait croire d’emblée qu’il y a une différence fondamentale entre représenter un caractère phonétique qui n’est associé qu’à un son et représenter un idéogramme qui porte une signification. En réalité, je peux en témoigner pour vous : au début, je pouvais éventuellement y trouver une différence « un idéogramme, c’est un joli dessin ! » mais avec quelques années de pratique, je ne fais plus aucune distinction à ce niveau-là ! Un caractère est une représentation abstraite et rien d’autre. La différence se situe principalement dans la complexité du tracé : plus le caractère est complexe, plus vous disposez de degrés de liberté pour le tracer… et donc pour y ajouter une petite touche personnelle de créativité également.

Dans notre bon vieux alphabet, il faut reconnaître que la forme des caractères est assez simple et qu’ils s’écrivent tout ou plus en 2 ou 3 traits ce qui ne vous laisse pas beaucoup de liberté pour une petite touche toute personnelle… Cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas faire dans le créatif original dans la calligraphie occidentale mais il n’y a pas beaucoup d’opportunités qui se présentent sur le tracé en lui-même. Par exemple, dans les grandes œuvres artistiques de calligraphie occidentale, on trouve tout particulièrement la technique d’enluminure où l’on travaille l’apparence de la première lettre. C’est un peu comme si on se devait de complexifier le tracé de base afin de « libérer un espace » d’expression personnelle. Sinon, on rajoutera aux lettres des fioritures et tout un tas de boucles aussi, c’est un autre moyen.

Dans le cas des idéogrammes, pour avoir de la complexité dans la géométrie du caractère, il y en a de la complexité ! Une dizaine de traits en moyenne et ça peut aller jusqu’à 30 traits sur un même caractère. On comprend ainsi que, par rapport au style de base d’écriture des idéogrammes le « Kaisho », les autres styles existants consistent avant tout à simplifier le tracé ! On trouve naturellement une très grande liberté de création personnelle dans le simple tracé d’un idéogramme : que ce soit en variant la longueur d’un trait ou de son orientation par exemple, le résultat est sensiblement différent. Face à une telle complexité, il est impossible de reproduire exactement le caractère écrit par quelqu’un d’autre et les caractères que vous avez écrits sont très personnels.

Pour continuer notre jeu des différences, vient se rajouter une composante importante selon l’outil utilisé pour l’écriture. D’un côté, vous avez un stylet / une plume rigide avec une faible déformation même si vous appuyez comme une brute (je schématise sûrement) ; de l’autre côté, un pinceau en poil souple qui peut s’aplatir comme une crêpe si vous ne faites pas preuve d’assez de délicatesse dans sa tenue. L’écriture d’un caractère s’obtient par deux techniques bien différentes et de là aussi en découle des principes bien différents. Dans un cas, on doit exprimer une certaine force de pression alors que dans l’autre, on se doit de la réduire au strict minimum.

Dans l’ancienne Chine des Han (ceux qui ont inventé les idéogrammes kanji), les calligraphes pensaient que l’on pouvait entrevoir dans les caractères tracés l’âme de celui qui les avait écrits. De manière pragmatique et un peu moins spirituelle, on pourra dire que la pointe du pinceau est sensible à tous les mouvements jusqu’au plus subtile, tous laisseront une « trace » dans le trait. L’écriture au pinceau souple est un art d’une très grande transparence ; c’est ainsi que dans la calligraphie chinoise sont mis en exergues les notions de rythme, spontanéité, posture et état d’esprit etc. tout un nombre de facteurs à l’origine de mouvements conscients et inconscients du calligraphe qui se répercuteront sur le tracé.

Qu’en est-il donc de la calligraphie occidentale sur ce point ? Mes connaissances actuelles ne me permettent pas d’être catégorique à ce sujet et j’imagine qu’il existe également une dimension aussi spirituelle que celles des premiers grands calligraphes chinois ! L’état d’esprit se reflète obligatoirement sur l’œuvre d’un artiste de quelques manières qu’il soit. Toutefois, comme on doit exercer une pression importante et volontaire pour déformer la pointe de la plume, les mouvements subtils n’ont pas d’incidence directe sur le trait… Le résultat est a priori bien moins ouvert à l’âme de l’auteur.

Des jolies petites fleurs pas très pudiques !
Des jolies petites fleurs pas très pudiques pour le bonheur de nos yeux !

Voici donc comment la calligraphie chinoise (et japonaise par conséquence) serait un miroir de l’âme particulièrement bien lustré fortement déconseillé aux personnes sensibles trop pudiques !

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