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Un peu de correction si vous le voulez bien…

Dans une ancienne version de ce blog, nous vous avions déjà parlé du grand bananier, vous vous souvenez ? Et bien aujourd’hui on y revient encore.

J’arrête ici les petits nouveaux ou les lecteurs amnésiques : aucun rapport avec une boisson chocolatée en poudre (oui je sais, elle était facile celle là), il s’agit de Bashô (芭蕉 1644-1694), une sorte de Baudelaire nippon sans l’absinthe, l’opium ni les femmes. Car si l’avis de ce blog vous intéresse, les artistes japonais semblent avoir en règle générale une vie bien plus saine que leurs homologues occidentaux. En tout cas, nous retiendrons que l’inspiration principale de Bashô, ce sont les choses de la nature, les beaux paysages et le passage des saisons… le tout en état de parfaite sobriété, s’il vous plait.

Une des nombreuses statues de commémoration du passage de Bashô dans la région Tohoku (Ishinomaki)
Une des nombreuses statues de commémoration du passage de Bashô (devant) et son fidèle disciple Sora dans la région du Tohoku (Ishinomaki)

Bashô, c’était un homme qui a révolutionné la poésie japonaise et un vrai artiste engagé comme ce blog les aime !

Alors attention sur ce que nous entendons par « engagé ». En réalité, il est resté célibataire jusqu’à sa mort même si selon certains témoignages, il « aurait » entretenu pendant de nombreuses années une relation avec une femme qui « serait » devenue mère célibataire dans la période… Le mystère restera entier sur sa descendance ; officiellement, notre poète a entièrement dédié sa vie au célibat et à la bonne cause : la poésie. Il est tout de même le papa reconnu du haiku, une version très courte de poème japonais en trois vers de 5-5 et 7 syllabes. Ou 7-5-5. Ou 5-7-5 (contrairement au tiercé, dans le haiku l’ordre importe peu tant que vous avez la combinaison « deux cinq / un sept »).

Dans sa dernière décennie, alors qu’il s’était fait un petit nom dans le milieu et qu’il aurait pu en profiter pour se la couler douce, Bashô ne s’est pas reposé sur son bananier (ha ha ha elle est bien bonne n’est-ce pas ?), il s’est mis à parcourir le Japon de long en long (la forme de l’île principale) à la recherche perpétuelle d’inspiration pour ses poèmes… tout en tentant de recruter de nouveaux disciples.

Oui mais attention ! C’était une grande prise de risque… Le voyage au Japon du 17ie siècle était bien loin de la franche rigolade d’aujourd’hui dans les trains grande vitesse avec la clim et les sièges inclinables. A l’époque, c’était un véritable défi physique et beaucoup de personnes y ont laissé leur vie… ce fut le cas pour Bashô car la maladie l’a emporté lors de ce qui devait n’être qu’une escale de son (tout dernier) voyage.

Matsushima, classé un des plus beaux paysage du Japon. Bashô a été totalement subjugué par la beauté du lieu qu'il en a eu le ver coupé... Seul ce haiku très facile à retenir lui est sorti de la bouche : Matsushima ya Ah Ah Matsushima Matsushima ya
Matsushima, classé un des plus beaux paysage du Japon. Bashô a été totalement subjugué par la beauté du lieu qu’il en a eu le ver coupé… Seul ce haiku (très facile à retenir) lui est sorti de la bouche : Matsushima ya / Ah Ah Matsushima ya / Matsushima ya

Pour ce qui concerne ce post, nous allons parler d’un autre voyage qu’il a bien fini et dont il a fait le récit dans son très célèbre journal « Oku no hoso michi« . L’étroit chemin du fond. Depuis Edo (l’ancien nom de Tokyo), il est parti dans le grand nord du Japon, cette région rendue tristement célèbre par le tsunami de 2011 mais qui, bien avant ça, contenait un nombre important de sites magnifiques dont les charmes avaient été moult fois vantés par les grands poètes classiques.

Ensuite, il est redescendu vers le sud en longeant le bord de la mer du Japon jusqu’aux environs du lac Biwako. Au total, à peu près… 2400 km !!! Et oui, c’est pourquoi ce blog se permet des prises de position sur l’hygiène de vie des artistes japonais, figurez-vous.

Il existe plusieurs versions de « Oku no hoso michi » car Bashô ne s’acharnait pas seulement sur les kilomètres mais également sur ses écrits qu’il travaillait, retravaillait et re-retravaillait… pour mieux les re-travailler ensuite ! Dans la dernière version du journal, manuscrit réalisée de sa belle main avec son plus beau pinceau, six ans après son retour de voyage, sur les 32 pages, on en compte 24 qui sont retouchées avec des patch pas très discrets… Regardez :

Le manuscrit de Oku no Hoso Michi
Un passage du manuscrit de Oku no Hoso Michi
oknohosomichi2
Un autre passage du manuscrit de Oku no Hoso Michi

Un manuscrit qui a de la correction donc !!!

Ou qui était bourré d’erreurs diront les plus pessimistes de nos lecteurs.

On trouve plusieurs sortes de corrections. Pour commencer, celles qui viennent probablement de petites fautes d’attention en recopiant son brouillon. Dans ce cas, Bashô tentait tout d’abord de les effacer en utilisant un petit bout de bois pour gratter le papier, un peu comme le principe d’une gomme. Quand le seul grattage ne suffisait pas pour masquer l’erreur ou quand le papier s’était déchiré dans la manœuvre, il collait un petit morceau de papier sur lequel il ré-écrivait le ou les bons caractères.

Dans d’autres cas, ce sont carrément des passages entiers qui ont été l’objet d’un bon copier coller à l’ancienne. Pour finir, avec des analyses poussées de radiographie et en vérifiant notamment les fils et les trous d’aiguilles sur la reliure du manuscrit, on a également découvert que cela ne coïncidait pas toujours et que certaines pages avaient été déchirées alors que d’autres avaient été rajoutées après.

Vous allez donc monter au créneau pour protester car merci mais bon on n’apprend pas grand chose de révolutionnaire : vous aussi vous faisiez ça avec votre cahier d’école sous le regard désespéré de votre maîtresse (faut dire que le tipex d’autrefois, c’était du travail de cochon garanti).

Pour la défense de ce blog, je me suis dit qu’à notre époque numérique où l’on ne garde plus aucune trace de nos corrections, un petit rappel sur les fondamentaux du couper-copier-coller ne ferait jamais de mal. Ensuite, permettez-moi de conclure que le génie ça se travaille, il n’y a pas lieu de faire de complexes ou de tergiversions « ai-je suffisamment de talent ou non ? » mais bien de relever ses manches et de se mettre au boulot.

C’est peut être aussi un mythe qui tombe pour ceux d’entre vous qui pensaient que, de part le caractère indélébile de l’encre de Chine, les calligraphes avaient pour obligation d’écrire avec beaucoup de soin sans ne commettre aucune erreur sous peine de devoir tout recommencer depuis le début ! Mais si vous voulez l’avis de ce blog qui décidément aime trancher dans le vif : Bashô avait bien plus de déontologie poétique que calligraphique.

De pinceau et d’autre…

Aujourd’hui, dans ce blog qui aime les défis de l’extrême, nous avons décidé de revenir à nos moutons et de vous parler à nouveau de pinceau et de calligraphie tout en gardant autant de lecteurs au début qu’à la fin du post… defi qui ne sera donc pas une mince affaire effectivement.

C’est partiiii !

Dans la chèvre, tout est bon pour faire un bon pinceau !
Comme pour le cochon en charcuterie, dans le poil de chèvre, tout est bon pour faire un pinceau !

En calligraphie, des pinceaux, il y a en a de toutes sortes !!! Déjà parce qu’il y en a de tous diamètres avec des pointes de toutes épaisseurs selon la taille des caractères que vous voulez tracer. Il y en a aussi de toutes longueurs de manche selon votre préférence pour la tenue du pinceau.

Pour les poils du pinceau, vous pouvez aller les chercher sur pleins d’animaux différents, principalement sur les chèvres, les chevaux et les belettes. Les plus pragmatiques de nos lecteurs auront vite réalisé qu’il n’y a pas « naturellement » de chèvres au Japon (ce qui est un gros problème pour les amateurs de bons fromages, ce blog peut malheureusement en témoigner). Mais rappelons que la calligraphie et les pinceaux viennent à l’origine de Chine et c’est là où on va chercher les poils de chèvre s’il y en a besoin.

Attention, il est également dit qu’au Japon, on fabrique des pinceaux avec les cheveux des nouveaux nés mais dans ce blog où l’on ne cherchera pas à vous entourlouper rassurez-vous, sachez que c’est pour le folklore ! Comme le coup de conserver le bout desséché de son cordon ombilical… vous êtes au courant de cette tradition japonaise ? Parait-il que si vous le faites infuser dans l’eau chaude, le breuvage ainsi obtenu deviendrait un puissant remède contre les maladies graves. Et puis aussi, la petite marmotte met le chocolat dans le papier d’aluminium.

Et non vous ne rêvez pas, un pinceau 100% cheveux de bébé !
Et non vous ne rêvez pas, un pinceau 100% cheveux de bébé !

Vous l’aurez compris : un pinceau avec ses premiers cheveux, c’est un souvenir qu’on garde précieusement jusqu’à sa mort et qu’on évitera de tâcher avec de l’encre ou d’abîmer en l’utilisant pour écrire (tant qu’à faire).

Donc nous en étions où ? Ah oui ! Selon l’animal que vous aurez dé-poilé, vous obtiendrez un pinceau plutôt souple (dans le cas de la belette) ou plutôt dur (dans le cas du cheval). En fait, il y a beaucoup de variations possibles (mais seulement 50 nuances de gris) donc vous pourrez aussi trouver des mélanges avec du poil souple à l’intérieur et du poil dur à l’extérieur.

Il y a d’autres paramètres importants qui varient avec l’animal, comme la viscosité du poil (utile pour bien retenir l’encre à l’intérieur de la pointe du pinceau) ou alors l’élasticité.

Si vous êtes toujours en train de surfer sur ce blog... vous êtes dingue !
Si vous êtes toujours en train de lire cet article, c’est que vous êtes dingue, je ne vois que cette explication !

Pourquoi l’élasticité est-elle un paramètre important ? Alors, attention, on entre dans le vif du sujet, préparez-vous, ça traite en réalité des lois de la mécanique élémentaire !

Je ne sais pas pour vous mais dans ce blog, là tout de suite, on se demande si on prend la bonne direction pour relever le défi qu’on s’est lancé de ne pas barber les gens. Bon tant pis, on assume.

Quand vous appuyez légèrement la pointe de votre pinceau contre le papier (sans appuyer comme une brute merci), il y a un retour sous la forme d’une force de réaction (en sens opposé à votre force d’action) qui vient du support où vous avez posé votre feuille. C’est à dire que malgré la pression exercée, le pinceau ne s’écrase totalement et conserve à peu près sa forme d’origine. Vous pouvez sentir comme une résistance qui vient de sa pointe, comme un effet ressort en quelque sorte.

Si votre pinceau est en poils durs et avec peu d’élasticité, la pointe du pinceau ne se déforme pas beaucoup quelque soit la pression, un bonheur pour les débutants qui ont la main lourde !!! Ils pourront facilement écrire sans que le pinceau s’ouvre ou que la pointe parte en vrille. En revanche, pour les styles un peu cursifs, on aura un mal fou à faire suivre des courbes à un pinceau qui ne se déforme pas facilement. Un pinceau un peu plus souple sera bien mieux adapté dans ce type d’écriture-là. Ce serait un peu comme pour le ski : le profil de la paire de ski adéquate est différent dans le cas d’une épreuve de descente ou de slalom.

Ouh la la, j'aimerais pas être à sa place !
Ouh la la, j’aimerais pas être à sa place !

Car ce n’est pas que ce blog aime faire dans le parallèle démagogique mais parce que si en fait, on vous le dit : la calligraphie, c’est comme faire du ski et c’est tout aussi fun (voire même bien plus fun) !!!

Que ça vienne d’une paire de ski ou d’un pinceau, c’est une affaire de sensations avant tout. Avec les sensations qui vous viennent des skis qui sont en contact avec la piste, vous sentez que la neige est dure, que vous êtes entré dans la poudreuse, le profil de la pente etc. et vous adaptez votre vitesse ou votre technique en conséquence.

Pour la calligraphie, c’est la même chose : la neige c’est l’encre, la piste le papier et vous avez votre pinceau en guise de paire de ski. Et je dis ça sérieusement en plus, c’est ça le pire !

Comme pour le ski, il est important d’avoir du bon matériel, certes mais, une bonne technique de glisse vous permettra de palier à toute faiblesse. Tâchez de toujours bien garder le contact avec la piste afin d’afin d’assurer au mieux la descente. Tout moniteur de ski vous le dira : ne mettez pas de tension inutile  !!! Quand vous êtes sur votre paire de ski, les genoux sont bien détendus et en légère flexion. En calligraphie, faites en sorte que le ressort de votre pinceau ne soit jamais ni trop tendu ni trop relâché, c’est comme ça que vous écrirez de jolis caractères.

La où ce blog pêche un peu, c’est pour le planter de bâton car à notre connaissance, il n’y a pas de technique équivalente en calligraphie. En revanche, le verre de vin chaud peut également s’appliquer et d’autant plus si vous optez pour l’alcool de riz plutôt. Après ça, le pinceau a tendance à bien mieux tourner mais attention, c’est surtout dans la tête alors évitez de trop abuser de cette solution qui n’en est pas une.

Je constate avec joie que vous êtes arrivés jusqu’à ces dernières lignes cher lecteur !!! Le défi est relevé, impossible ne correspond pas à la nationalité de ce blog, qu’on se le dise !

Sauf que la tenue du pinceau n'est pas terrible si je puis me permettre Monsieur Bonaparte.
Sauf que la tenue de votre pinceau n’est pas terrible si je puis me permettre Monsieur Bonaparte.

Le robot Shodo et/ou de la tenue du pinceau.

Aujourd’hui, en faisant une petite recherche internet, quelle n’a pas été ma surprise de tomber sur ça :

Un robot-calligraphe !!!

Enfin, dans ce blog à la pointe de la technologie calligraphique, sachez que nous n’avons pas été si surpris et que nous ne nous sommes pas inquiétés pour notre avenir non plus. Rien de très exceptionnel dans les faits : c’est juste un bras articulé au bout duquel on a accroché un pinceau et qui reproduit l’écriture d’un caractère qu’une personne a réalisé juste avant. Du « motion capture ».

Vous pouvez voir dans la photo finale de cet article le résultat : la photo de droite est le modèle réalisé par le journaliste, la photo de gauche le robot ! Vous voyez une différence ? Non ???

Et bien si j’étais mauvaise langue, je dirais que c’est parce que c’est bien mal écrit de manière identique dans les deux cas ! Mais pour la défense du journaliste (et du robot ?), il faut savoir que tenir un pinceau pour écrire de jolis caractères, c’est en réalité très très compliqué quand on a pas l’habitude et cela demande beaucoup beaucoup d’entraînement et beaucoup beaucoup de technique aussi.

Explications !

S’il y avait un manuel du petit calligraphe, il y aurait probablement trois manières « répertoriées » de tenir le pinceau. Je vous montre celle que ce blog a adopté à l’instar des anciens calligraphes chinois, la tenue 双鈎法 (sokoho) où le pinceau est tenu par les trois doigts index – majeur – annulaire (et puis aussi le pouce qui s’appuie sur le côté). De cette manière, vous avez le meilleur rapport puissance / précision dans le mouvement du pinceau.

Ensuite, il y a une autre manière très similaire, la tenue 単鈎法 (tankoho) où le pinceau est tenu par deux doigts index – majeur (ce qui ressemble beaucoup à la tenue d’un crayon) ; cette manière là est adaptée pour les calligraphies au petit pinceau où l’on doit privilégier la précision avant tout.

Au Japon, un petit rond rouge ça veut dire "maru", c'est la manière correcte de tenir son pinceau !
Le petit rond rouge veut dire que c’est la manière correcte de tenir son pinceau !

Quand vous écrivez, l’axe du pinceau doit être incliné (à peu près de 45°) par rapport à la verticale. Pour cela, il faut former un petit creux dans la paume de la main, creux dans lequel vous imaginerez qu’une petite chose fragile s’est abritée. Un joli petit oiseau par exemple pour les lecteurs un peu fleur bleue dans l’âme. Sinon pour les pragmatiques, on prendra l’exemple d’un œuf. Quoiqu’il en soit de la nature de cette chose, il ne doit y avoir aucune tension dans la main et dans le creux de la paume afin de ne pas l’écraser ou l’abîmer. Plus généralement, le poignet, le bras, l’épaule… tous les muscles doivent être relâchés : on travaille en souplesse et surtout pas en force.

C'est une manière répertoriée mais il vaut mieux ne pas l'adopter, d'où la petite croix rouge qui veut dire que ce n'est pas correct.
C’est une tenue de pinceau répertoriée mais je ne vous la conseille pas.

Qu’en est-il de la troisième manière répertoriée, me demanderez-vous ?

Et bien c’est celle qui a été adoptée par notre robot Shodo. Cette tenue du pinceau est d’invention récente et s’il semble bien plus facile d’écrire comme ça, c’est parce qu’en réalité c’est une technique bien plus limitée. De cette manière, vous n’obtiendrez pas tous les profils de traits qui existent en calligraphie ; c’est pourquoi je vous la déconseille.

Pourquoi ?

Ecrire joliment n’est pas seulement pouvoir déplacer la pointe du pinceau d’un point A à un point B. Si vous ne considérez que les choses de cette manière, vous obtiendrez un trait monotone et sans relief, regardez ce que donne le tracé vertical en gardant l’axe du pinceau bien droit :

Voilà ce qui arrive quand on tient pas bien son pinceau (je vous avais prévenu pourtant !!!)
Voilà ce qui arrive quand on tient pas bien son pinceau (je vous avais prévenu pourtant !!!)

Si vous écrivez en variant l’inclinaison du pinceau, vous donnez une dimension de liberté supplémentaire au pinceau, le tracé résultat a une apparence différente. Effectivement, vous devez passer beaucoup beaucoup plus de temps à vous entraîner car il est plus difficile de bien saisir le bon mouvement mais voici le genre de trait vertical que vous finirez par obtenir :

Ah, c'est plus joli comme ça !
Ah, c’est plus joli comme ça !

 

Pour conclure, voici deux exemples du même caractère. Un premier modèle qui prône une tenue toute droite du pinceau, un deuxième modèle invoque la liberté d’incliner son pinceau comme bon le semble. Faites-votre choix.

 

Deux kanji Printemps bien différents, vous ne trouvez-pas ?
Deux kanji Printemps bien différents, vous ne trouvez-pas ?

Voilà c’est tout pour aujourd’hui.

Ce fut un post très technique qui manquait un peu de photos de fleurs, je suis bien d’accord ! Mais dans ce blog instructif où l’on est pas contre quelques petites distractions,  on se rattrapera la semaine prochaine, c’est promis !

 

Ca s’écoule de source !

Des jolies petites fleurs de toutes les couleurs sur le même arbre !!!
Des jolies petites fleurs de toutes les couleurs et pourtant sur le même arbre !!!

Les beaux jours d’Avril défilent à Kyoto version 2014 et toujours pas de pluie. Ce qui n’est pas sans conséquence sur le contenu de ce blog qui aime les petites fleurs, je vous avais prévenu ! C’est encore un post à l’arraché que j’écris en me promettant quelque chose de plus conséquent pour la prochaine fois… Enfin cette fois, bonne nouvelle !

Il va pleuvoir demain !

L’occasion aujourd’hui de mettre notre ami le kanji 水 (eau) au centre de nos préoccupations. Histoire d’être dans le bain. Ca coule de source, non ? Car dans ce blog instructif on ne se cache pas pour autant d’aimer placer des (mauvais) jeux de mots un peu partout.

Si vous avez un sens de l’abstraction, vous avez peut être fait le lien entre la forme de notre ami le kanji 水 et de l’eau qui coule mais ce n’est pas forcement de la première évidence, je vous l’accorde.

De la transformation d'un pictogramme en un ami kanji.
De la transformation d’un pictogramme en un ami kanji.

Si vous voulez mon avis, notre ami kanji 水 est constitué en grande partie d’eau douce ! Car que se passe-t-il lorsque vous mélangez notre ami kanji 水 avec d’autres kanji ? En société, notre ami est des plus conciliables avec ses congénères et ne fait pas beaucoup de vague !!!

Dans la plupart des cas, il marque son passage en laissant trois petites gouttes placées systématiquement sur la gauche du kanji ; ces trois petites gouttes forment le radical appelé communément et fort logiquement 三水 « sanzui » (三 « san » veut dire trois).

Trois exemples du radical  des trois gouttes d'eau.
Trois exemples du radical des trois gouttes d’eau.
Un kanji qui coule de source (ha ha ha !)
Un kanji qui coule de source (ha ha ha !)

Dans quelques autres cas, il restera en gardant sa forme d’origine à peu près intacte et se placera systématiquement dans la partie du bas… forme qu’on appellera communément et fort logiquement した水 « shitamizu » (した veut dire en bas).

Vous voyez notre ami 水 n’est pas très contrariant en soi.

Attention toutefois dans l’écriture du radical « sanzui » qui est bien plus complexe à réaliser qu’il n’y parait !

Quelques points techniques à respecter.

  • Concernant l’ordre de tracé du kanji : on commence toujours par écrire d’abord les trois gouttes du sanzui et après on s’attaque au reste du kanji où l’on applique la bonne vieille règle du haut gauche vers le bas droit.
  • Quelques points techniques pour assurer un joli profil à notre radical Sanzui.
    Quelques points techniques pour assurer un joli profil à notre radical Sanzui.

    Concernant le sens du tracé des trois gouttes : la première est en quelque sorte indépendante des deux autres. On la trace avec un mouvement du pinceau du haut gauche vers le bas droit ; quand on a fini, on se déplace vers la gauche à l’endroit où l’on tracera la deuxième goutte. La deuxième goutte, à l’instar de la première, respecte le sens haut gauche – bas droit, on se dirige ensuite dans la même verticale vers la troisième goutte que l’on trace du bas gauche vers le haut droit. Vous pouvez voir qu’il y a une forte connexion entre les deux dernières gouttes que l’on imprime quelque fois en traînant la pointe du pinceau sur le papier (mais ce n’est pas obligatoire). Dans la liste des options avec le sanzui, il y a aussi celle d’avoir à peu près le même espace entre les trois gouttes… dans beaucoup de cas, on a tendance à réduire l’écart entre la deuxième-troisième gouttes et ce n’est pas plus mal.

Et ce sera tout pour aujourd’hui, en attendant de nouvelles aventures trépidantes (enfin ???) dans un prochain post.

L'horizon de la kamogawa (Kyoto) qui nous annonce de la pluie pour demain !
L’horizon de la kamogawa (Kyoto) qui nous annonce de la pluie pour demain !

Gauche-Droite, un débat sur fond de cerisiers en fleur…

Le bord de la kamogawa (Kyoto) version cerisiers 2014
Le bord de la kamogawa (Kyoto) version cerisiers 2014

Ca y est nous sommes en Avril, les fleurs de cerisiers sont là et c’est la rentrée des classes. Savez-vous pourquoi à cette période, les japonais respectent cette tradition des pique-nique sous les cerisiers en fleur et s’entassent à une bonne cinquantaine de personnes sur une bâche d’à peine deux centimètres carré ?

Sur ce blog drôle et instructif où souvent le pragmatisme l’emporte, je dirais qu’à la sortie de l’hiver, lorsqu’il commence à faire agréable dehors… il faut profiter des joies du plein air immédiatement ! Que ce soit la chaleur et l’humidité de l’été au Japon et/ou les hordes de moustiques en furie qui font leur apparition dès le mois de Mai, les coups coude d’un voisin un peu envahissant sont de bien moindre maux en réalité.

Mais sinon, si vous connaissez la vraie raison de ces attroupements, n’hésitez pas à m’en faire part, cela m’intéresse.

sakura_2014_1En accord avec l’air du temps, nous allons aujourd’hui traiter d’un vrai cas d’école. Comme je vous le disais la semaine dernière, écrire les kanji au crayon (et encore plus au pinceau) en respectant l’ordre de tracé est tout un art. Si la plupart des japonais a abandonné cet exercice au profit des software de transcription, il reste tout de même les petits écoliers japonais et les françaises un peu étranges pour s’acharner à retenir les règles.

A gauche, le kanji gauche et à droite, le kanji droite.
A gauche, le kanji gauche et à droite, le kanji droite.

Je rappelle les grandes lignes : on trace les traits en partant du haut gauche vers le bas droit. Attention, même si ce blog est a-politique et se targue donc de ne faire aucune démagogie à visée électorale mais milite pour du 100% instructif… nous allons quand même faire l’analyse détaillée de l’écriture des kanji gauche 左 et droite 右.

Ils se ressemblent beaucoup, vous allez me dire. Et bien oui, c’est normal ! vous répondrai-je.

A gauche l'ancêtre du kanji gauche et à droite, l'ancêtre du kanji droite.
A gauche l’ancêtre du kanji gauche et à droite, l’ancêtre du kanji droite.

Le kanji « gauche » était à l’origine le dessin d’une main gauche à côté duquel on trouve une forme simplifiée représentant un outil. Car le kanji ne porte pas seulement le sens gauche, il peut vouloir dire également manipuler (un outil).

Le kanji « droit » est le pictogramme d’une main droite à côté duquel on trouve le signe représentant une bouche. Le kanji porte aussi le sens « aider, porter secours ».

Et même s’ils se ressemblent beaucoup, ils ne s’écrivent pas dans le même ordre ?!? Le kanji gauche : on trace d’abord le trait horizontal puis le trait vertical de la main. Le kanji droit : on trace le trait vertical et ensuite le trait horizontal de la main. Pour comprendre le pourquoi du comment, il faut remonter aux pictogrammes d’origine des deux mains : le long trait du milieu représente (en quelque sorte) le coude et l’autre trait (approximativement) les doigts.

A gauche, l'ordre de tracé du kanji gauche et à droite, l'ordre de tracé du kanji droite.
A gauche, l’ordre de tracé du kanji gauche et à droite, l’ordre de tracé du kanji droite.

La règle est de tracer d’abord les doigts et ensuite le coude. Pour ceux qui n’ont pas le mal de mer quand ça bouge, c’est bien montré ici. Et pour ceux qui aiment prendre le temps et faire les choses à leur rythme, les explications sont les mêmes mais c’est mieux montré ici.

Vous pouvez croire qu’au fond, ce n’est pas très important et que le petit écolier japonais pourra toujours se tromper de sens avec un risque vraiment minime de se faire attraper par la maîtresse.

C’est vrai.

Mais si l’on y regarde d’un peu plus près dans nos kanji écrits au pinceau, on remarquera que la forme du tracé « main gauche » est différente du tracé « main droite ». La proportion entre les longueurs des traits horizontaux et verticaux, l’inclinaison des traits également sont différentes… Ce sont vraiment les marques de deux mouvements de pinceau bien distincts.

Et si l’on y regarde d’un peu plus près sur nos caractères d’imprimerie standardisés… 左 ou 右, c’est du 100% la même chose. Pourtant, vous pourrez rejeter au besoin un coup d’œil à vos deux mains… elles sont bien a-symétriques.

C’est bien la technologie mais quand même ce qu’on gagne en confort ou en facilité… souvent on le perd dans un autre domaine. Voilà je me devais cette petite remarque réac en guise de conclusion. Et ce sera tout pour aujourd’hui.

sakura_2014_3
Des sakura, des sakura et rien que des sakura…

Car c’est un post un peu léger à l’image des pétales de sakura emportés par le petit vent de cet après-midi.

Car dans ce blog qui aime la nature et les petites fleurs, nous reprendrons un rythme un peu plus soutenu dans nos études… à la saison des pluies !

Nos amis les kanji… il y a un sens à tout (part 2)

Résumé de l’épisode précédent : Les kanji officiellement reconnus « d’utilisation commune » au Japon sont au nombre de 2136. Dois-je vraiment vous préciser ce qu’il vous reste à faire maintenant ?

Dans ce blog instructif mais très rigolo et qui vous a rendu complètement japano-phage, après avoir apprivoisé nos amis les kanji, nous nous apprêtons à les dévorer !!! Et pour mieux les digérer, nous allons aussi apprendre à les écrire bien soigneusement.

Mais qui donc est passé par là ? (Honen-in, Kyoto)
Mais qui donc est passé par là ? (Honen-in, Kyoto)

Pour commencer, je me dois de vous révéler une grande vérité qui ne s’applique pas seulement à la calligraphie mais à l’ensemble de notre univers.

Il y a un sens à tout !

Chaque détail, visible ou invisible, chaque moment et chaque situation de notre réalité a un sens bien précis. Si vous ne voyez pas de sens à quelque chose, ce n’est pas parce qu’il n’y en a pas, c’est qu’il n’est pas à votre portée de votre cortex cérébral.

La preuve tout de suite.

Nos amis les kanji sont constitués d’une combinaison de traits de base. Rien de très mystérieux en soi, tout le monde le comprend facilement : un trait de base est le trajet de votre pinceau entre le point d’impact avec la feuille de papier et le point suivant où vous rompez le contact. Dans les classiques du genre, on trouve le trait de base horizontal, qui dans les règles, se trace de la gauche vers la droite.

Le kanji trois... Belle coïncidence, trois traits de base horizontaux tracés de la gauche vers la droite.
Le kanji trois… Belle coïncidence, trois traits de base tracés de la gauche vers la droite.

Alors je vous arrête tout de suite : ce n’est pas que les calligraphes soient des rabat-joies qui aiment créer des règles pour qu’il y ait des règles et qu’ils se refuseraient catégoriquement d’inverser le sens d’un tracé de temps à autre… c’est que ce sens est le plus aisé et le plus naturel à réaliser pour une personne maniant un pinceau de sa main droite.

Parce que vous pouvez faire les malins avec votre stylo bic mais quand vous passerez à un pinceau à la pointe déformable, ce sera une autre histoire !!! Par exemple, un beau tracé de base horizontal – un trait montant vers la droite – s’obtiendra plus facilement par un mouvement dans le sens d’ouverture de l’aisselle, avec le coude qui s’éloigne du flanc (d’où la condition de tenir le pinceau de la main droite).

Le kanji rivière, trois traits verticaux tracés du haut vers le bas !
Le kanji rivière, trois traits verticaux tracés du haut vers le bas !

Pour le trait vertical, le sens est tout ce qu’il y a de plus conventionnel en réalité : du haut vers le bas. Quelque soit son pays ou sa culture, c’est le sens adopté pour l’écriture… un peu comme si nos caractères étaient eux aussi soumis à la pesanteur.

Ensuite, passons aux règles déterminant l’ordre de tracé des traits de base au sein kanji… ça va vous me suivez encore ???

A l’origine, cela part d’un très bon sentiment de déterminer des règles : l’ordre ainsi défini devait faciliter la tâche afin d’écrire au mieux la composition souvent complexe d’un caractère kanji. Quelque fois c’est un peu difficile de s’y retrouver, c’est vrai… De plus, à l’instar de nos règles d’orthographe, il y a des tas exceptions aux règles, exceptions qui pourraient sembler incompréhensibles sous la bille à encre de votre stylo… mais que l’on comprendra bien mieux en utilisant un pinceau. Exemple :

Deux kanjis qui se ressemblent étrangement mais qui pourtant se tracent bien différemment ! En utilisant un pinceau, on comprend qu’avec cet ordre, les déformations de la pointe vont de pair avec le trajet « invisible » du pinceau (en rouge).

Dans le style Kaisho où l’on trace proprement et distinctement les traits de base les uns après les autres, le ministère de l’éducation japonaise a imposé des règles à la fin des années 50 afin que l’enseignement soit le même dans toutes les écoles… sachant que pour quelques uns de nos amis kanji, l’ordre japonais n’est pas forcement le même que celui appliqué en Chine ou à Taiwan !?!

En règle générale, l’ordre de tracé suit sans surprise les règles haut vers le bas et de la gauche vers la droite. Dans quelques cas de figure où il y a un trait central vertical, on commencera plutôt par le milieu.

Le kanji eau, un bon cas d'école pour enseigner le tracé d'un kanji avec un trait vertical au centre.
Le kanji eau, un bon cas d’école pour enseigner le tracé d’un kanji avec un trait vertical au centre.

Est-ce si important de respecter l’ordre de tracé me demanderez-vous ?

Pour la calligraphie avec un pinceau : oui oui oui et encore trois fois oui !

Mais ne soyons pas stupides non plus : pas vu, pas pris ! On peut ne pas respecter l’ordre de tracé si ça ne se voit dans le résultat final, bien sûr. Mais il faut bien comprendre que dans la plupart des cas, cela facilite grandement les choses de tracer le caractère en respectant les règles. Pour un kanji avec une structure comme l’eau 水, il est bien plus naturel de commencer par le centre et de continuer par les côtés comme les règles le définissent.

Cela n’empêche pas que l’on peut se tromper et rattraper le coup, on est bien d’accord ! Dans ce cas, faites bien attention : quand on a un peu d’expérience, en regardant une calligraphie, on finit par visualiser la totalité du mouvement du pinceau… c’est à dire que le cerveau devient capable de reconstruire les parties « invisibles » du trajet où le pinceau n’est pas en contact avec la feuille. Pour le kanji  水 par exemple, il y a un lien très fort entre la sortie du trait vertical et l’entrée du tracé de gauche. Si vous trichez « mal » et que vous ne raccordez pas bien les deux tracés, quelqu’un d’expérimenté ressentira que le trajet de votre pinceau est délié et qu’il s’est passé quelque chose en cours de route.

Vous comprenez le problème ??? Oui ??? Et bien félicitations !

Vous venez d’avancer à grand pas dans la magnifique voie de l’écriture… où même l’invisible finit par prendre sens.