Archives pour la catégorie Oeuvre Rinsho

Un bon claquement de porte au nez

Il me semble que je vous ai déjà parlé de cette fabuleuse période du Japon médiéval, n’est-ce pas ? Cette période où le Japon connut un apogée dans la création poétique ainsi qu’une grande liberté en ce qui concerne les relations amoureuses.. et sexuelles !

Récemment, j’ai découvert qu’il y avait aussi des belles histoires basées sur des rapports de simple amitié entre les hommes et les femmes de l’époque. Enfin au moins j’ai trouvé UNE histoire d’échanges platoniques que je vais vous conter dans le post d’aujourd’hui.

Une courtisane japonaise version Heian Jidai
Une courtisane japonaise version Heian Jidai

Dans cette histoire, entre tout d’abord en scène une éminente personne : Dame Sei Shônagon (966?-1025?) une très grande écrivaine et très grande poétesse, auteure d’écrits classés aujourd’hui dans les chefs d’oeuvre de la littérature japonaise : le « Makura no Soshi » (枕草子) littéralement « Ecrits d’oreiller ». La traduction française de ce livre porte aussi le nom « Notes de chevet », un sens qui permet de comprendre facilement qu’il s’agit d’une sorte de journal intime. Il manque malheureusement le double sens japonais de « Makura », l’oreiller : au delà de l’objet physique, il désigne aussi une figure de style en poésie.

Tout cela pour vous dire : Dame Sei Shônagon était non seulement une femme de lettres très intelligente et très cultivée mais elle avait également beaucoup d’esprit.

Dans ses notes d’oreiller, elle raconte à deux reprises les échanges qu’elle a eu avec le grand calligraphe Fujiwara Yukinari (972-1027). De parole de ce blog (de calligraphie japonaise), Yukinari était un calligraphe exceptionnel et il est monté sur le podium dans le classement officiel des plus grands calligraphes de la période Heian.

Une copie d'un manuscrit de Fujiwara Yukinari, excécutée de la blanche main de votre hôte, l'auteure du blog.
Une copie d’un manuscrit de Fujiwara Yukinari, exécutée de la blanche main de votre hôte, l’auteure du blog.

Yukinari n’était pourtant pas un jeune homme très populaire à son époque, il avait la réputation d’être plutôt barbant. Ce n’était sûrement pas un adepte des divertissement « à la mode Heian » ; par exemple, on ne lui connait pas de prestigieux tableau de chasse amoureux.

La première idée qui m’a traversé l’esprit fût que Yukinari n’avait peut être pas été gâté par la nature et qu’à défaut de plaire aux filles, il s’était donc rabattu sur la calligraphie. Cette hypothèse est toutefois réfutée par les notes de Dame Shônagon : Yukinari n’était pas si mal fait de sa personne quand même. Et surtout, il été doté d’un très bel organe… c’est-à-dire une très belle voix, restez corrects s’il vous plait !

Venons-en plutôt au cœur de l’intrigue : un soir, alors qu’ils échangent poèmes et histoires littéraires dans la villa de Dame Shônagon, Yukinari prend congé brusquement, prétextant qu’il ne peut s’attarder plus. C’est un départ impromptu et plutôt inélégant pour cette grande époque de raffinement qu’est l’époque Heian.

Qu’à cela ne tienne, attendez la suite.

Le lendemain, une lettre arrive au domicile de Dame Shônagon, une lettre de plates excuses de Yukinari qui, de sa plus belle écriture, s’explique sur les raisons de son empressement de la veille. Il avait entendu le chant d’un coq et pensant que le jour était prêt à se lever, il était hâtivement rentré chez lui car un travail important l’attendait au palais impérial. Ce n’est qu’en sortant de la villa qu’il avait alors réalisé que c’était encore le milieu de la nuit.

Et oui ! On a vite oublié ce que c’était de vivre dans une époque sans montre à quartz mais cela pouvait générer de nombreux malentendus en tout genre.

Quoiqu’il en soit, à cette gentille lettre d’excuse se doit une réponse ; Dame Shônagon prend son pinceau et, à la hauteur de sa très grande réputation (non usurpée) de femme d’esprit, elle choisit d’ironiser l’histoire. « Un coq qui chante en plein milieu de la nuit ? De quel coq s’agissait-il donc ? N’auriez-vous pas plutôt recours au subterfuge du seigneur Mengchang devant la porte de Hangu ? (A la défense de Yukinari, je me permets de préciser que si votre voisin a soudain l’idée saugrenue de faire de son jardin un poulailler comme cela est arrivé à mes parents par exemple, vous l’entendrez bien ce fameux chant du coq, au moins cinq à six fois avant que le petit matin se lève vraiment).

Dans les grands classiques chinois, on relate l’histoire du seigneur Mengchang et de ses trois mille hommes qui se retrouvèrent devant la grande porte qui bloquait l’accès au col de Hangu. C’était un point stratégique dans l’ancienne Chine car il permettait d’entrer dans le pays de Qi où sourdait la rébellion. La porte était bien gardée et il y avait un couvre-feu, les gardes postés avaient pour ordre de fermer la porte le soir et de ne la rouvrir qu’au petit matin. Là, on était en plein milieu de la nuit, le seigneur Mengchang et ses hommes étaient poursuivis et ils ne pouvaient guère se permettre de perdre de précieuses heures à attendre l’aube ! Le seigneur eut alors l’idée d’utiliser le talent d’un de ses hommes à imiter le chant du coq ; c’est ainsi qu’il dupa les gardes et qu’il provoqua l’ouverture prématurée de la porte. Ils purent alors s’échapper et chercher refuge dans leur pays natal.

Voilà comment étaient construites les vannes de l’époque Heian ! Il me semble qu’elles étaient bien plus difficiles à placer que celles d’aujourd’hui, vous ne trouvez-pas ? Elles faisaient appel à la culture générale de l’individu et les meilleures étaient envoyées par ceux qui avaient une très bonne éducation et une grande sagacité (comme ce fut le cas de notre Dame Shônagon, entre autres). Enfin, il fallait être constamment sur ses gardes car si on plaçait une vanne à votre encontre, il fallait être prêt à renvoyer la balle aussitôt !!! Par exemple, si vous ne connaissiez pas l’histoire de ce seigneur chinois, comment auriez-vous été capable de trouver la bonne répartie ?

Pas d’inquiétudes en ce qui concerne Yukinari, lui aussi est un homme de lettres et la référence ne lui a pas échappée. Dans une nouvelle missive, il se permet d’objecter : l’imitation du chant du coq était destiné à ouvrir la porte à une armée rebelle en déroute… la comparaison ne peut pas tenir ! Yukinari est venu voir Dame Shônagon avec de bien différentes intentions et s’il avait été question de franchir une porte, cela aurait été… la porte d’Osaka.

Et voilà, joli retour de vanne !!!

La porte d’Osaka marque la frontière entre deux provinces du Japon et par un jeu subtile sur les caractères chinois, elle est devenue dans les classiques de poésie japonaise l’endroit où, le soir venu, se rencontrent les amoureux.

Dame Shônagon n’est pas en reste pour autant, détrompez-vous. Pour le final, elle claquera joliment la porte au nez de ce pauvre Yukinari :

 夜をこめて鳥の空音は 謀るとも / Yo o komete Tori no sorane wa Hakaru tomo

よに逢坂の関は許さじ / Yo ni Osaka no Seki wa yurusaji

Le chant du coq en pleine nuit pourrait en tromper plus d’un,

Mais s’il s’agit des gardes de la porte d’Osaka, ils ne seront jamais dupes !

C’est par ce waka que Dame Shônagon s’est retrouvée immortalisée dans l’anthologie des cents poètes Hyakunin-isshu. Il faut reconnaître qu’il témoigne parfaitement des traits de caractère de cette grande Dame pleine d’intelligence et de sagacité !

Les deux cartes du Haykunin-isshu relatives à Sei Shônagon
Les deux cartes du Haykunin-isshu relatives à Sei Shônagon

Ah comme c’est triste !

Ganshinke
顔真卿, un haut-fonctionnaire modèle

Ce blog qui aime toujours vous surprendre a l’intention de vous présenter dans ce post le fonctionnaire Ganshinke 顔真卿 (ou Yan Zhenqing) un fonctionnaire plus-loyal-on-ne-fait-pas-mieux de la dynastie Tang. Ce n’est pas au Japon, ce n’est pas une femme, ce n’est pas un poète et pourtant… c’est un modèle que l’on admire beaucoup ici.

Car Ganshinke (702-785) était un type vraiment très brillant, vous savez ! Dès son plus jeune âge, il a empilé tout un tas de diplômes et semblait promis à une belle carrière dans l’administration. C’était aussi un fonctionnaire sacrément bien droit dans ses bottes ! Si ce genre de personnage plaisait au petit peuple, dans les coulisses du pouvoir c’était bien différent. Dans l’empire chinois décadent et croulant sous la corruption, la rectitude et le franc-parler n’étaient pas considérés comme des qualités dignes d’un haut fonctionnaire. Elles lui voudront d’être nommé gouverneur d’une petite province très très éloignée de la cour impériale.

A peine une ou deux années passent dans cette petite province et se produit alors un événement important pour l’histoire de la Chine car il mènera à la chute de la dynastie Tang. En 755, le général An Lushan se révolte. Son grief ? Ce n’est pas qu’il ait quelque chose à reprocher directement à l’Empereur d’autant qu’il entretient de très bonnes relations avec la concubine de ce dernier dont il est devenu le fils adoptif ; c’est surtout que le général n’arrive pas à s’entendre avec le premier chancelier. En levant son armée, il cherche tout simplement à débarrasser l’empire de ce misérable individu corrompu. Et il prend vite l’avantage car, face à lui, il y a une armée impériale en pleine décadence qui a bien peine à défendre ses territoires. Par ailleurs, il est malin et traite tous les gouverneurs impériaux avec grand respect en leur assurant l’amnistie en cas de reddition.

Pour notre grand modèle de rectitude, un tel compromis serait bien sûr une véritable infamie ! Ganshinke organise la défense de sa propre province et s’allie à son cousin Gankoukei, lui-même gouverneur d’une autre province, pour attaquer les rebelles et les combattre… jusqu’à la mort s’il le faut ! Les deux Gan « 顔 » tiennent tête au général et deviennent l’emblème d’une loyauté sans faille à l’Empereur alors que cette qualité se fait si rare à l’époque. Ganshinke prend du galon, il est rappelé à la cour impériale et va jusqu’à obtenir le poste de Ministre de la Justice… puis le reperd aussitôt car son acharnement à dénoncer systématiquement la corruption de ses pairs en énerve bien plus d’un, notamment le fameux grand chancelier.

Il en est ainsi pour notre grand modèle, c’est comme une fatalité, il ne peut s’empêcher d’être incorruptible. S’agissait-il d’une caractéristique de son ADN ? Dans la grande famille Gan « 顔 » où l’on devient traditionnellement haut-fonctionnaire au service de l’Empereur, on fait preuve d’honnêteté et de droiture jusqu’au bout. Ainsi, quand le frère et le neveu de Ganshinke tombent aux mains du général rebelle, même sous la plus ignoble des séances de torture, ils ne céderont pas. Qu’on leur casse les os ou qu’on leur coupe la langue : la rébellion du général restera acte de traîtrise et rien d’autre ! Ils seront finalement exécutés.

triste
« Ah comme c’est triste »

Lorsque notre ex-ministre revenu au bas de l’échelle de la fonction publique apprend la mort de son oncle et de son neveu, il n’est que colère, indignation et tristesse ! C’est ainsi qu’il prend son pinceau et qu’il tente de rédiger une éloge funèbre digne des deux martyres. En terme de résultat, c’est une belle éloge gravée sur la stèle familiale mais aussi et surtout… le brouillon de cette oeuvre est devenu un très célèbre modèle de calligraphie permettant, entre autre, d’apprendre le style semi-cursif Gyosho. Et oui, c’est là où ce blog voulait en venir, il vous a bien eu, non ?

GanShinke_Stele
Un extrait un peu lourd de Kaisho

Chose amusante, Ganshinke est un calligraphe chinois très renommé mais la première fois que j’ai vu ses caractères, je n’ai vraiment pas aimé et j’ai pensé que c’était une belle tromperie ! Je trouve son style en script (non-cursif) Kaisho trop lourd et trop compact. Je me suis dit alors que c’est bien d’être dans la rectitude en permanence mais point trop n’en faut. C’est un peu trop rigide et… barbant comme peuvent être les gens qui n’arrêtent pas de faire tout le temps la morale à tout le monde ! Mais je reconnais que cela relève d’un problème de goût personnel aussi.

Gyosho
Un extrait du Gyosho de Ganshinke

En donnant un peu plus de vitesse à son pinceau pour écrire un simple brouillon sans vraiment s’appliquer, les caractères de Ganshinke se sont révélés de bien plus belle manière. Peut être est-ce aussi sous le coup de cette grande tristesse qu’ils se sont déliés ? En tout cas, avec un tracé moins travaillé, ses caractères gagnent en souplesse et en légèreté tout en gardant la composition quasi-parfaite du Kaisho. Pour ceux qui ne pratiquent pas, sachez que c’est quelque chose de très difficile à conserver quand on prend de la vitesse en écrivant et que c’est une preuve irréfutable que vous maîtrisez parfaitement le pinceau.

L’histoire de notre modèle de fonctionnaire se termine tragiquement… vous vous en seriez doutés, n’est-ce pas ? En 785, le grand chancelier (rancunier) envoie Ganshinke négocier une trêve avec le général. Autant dire que c’était l’équivalent d’une mise à mort ! Evidemment, Ganshinke n’a pas faillit à sa réputation : il a fait preuve de grande bravoure et n’a pas plié devant le général qui exigeait sa reddition. Evidemment, il a été fait prisonnier et a fini par être exécuté.

Sa mort a provoqué un grand émoi, auprès du peuple et auprès de l’Empereur également ; de grandes cérémonies ont été organisées pour son deuil.

Des petites fleurs que l'on offre à notre fonctionnaire incorruptible.
Des petites fleurs que l’on offre à notre fonctionnaire incorruptible.

Dans ce blog on l’on aime les petites fleurs mais pas les histoires qui finissent trop mal, on est convaincu aussi qu’à son arrivée, Ganshinke sera rentré au paradis des calligraphes par la grande porte et sans qu’on ne lui ai posé aucune question.

Il aura aussi reçu tous les honneurs à titre posthume dont celui de devenir un incontournable en calligraphie même à notre époque d’aujourd’hui.

Fin de l’histoire.

Ca s’écoule de source !

Des jolies petites fleurs de toutes les couleurs sur le même arbre !!!
Des jolies petites fleurs de toutes les couleurs et pourtant sur le même arbre !!!

Les beaux jours d’Avril défilent à Kyoto version 2014 et toujours pas de pluie. Ce qui n’est pas sans conséquence sur le contenu de ce blog qui aime les petites fleurs, je vous avais prévenu ! C’est encore un post à l’arraché que j’écris en me promettant quelque chose de plus conséquent pour la prochaine fois… Enfin cette fois, bonne nouvelle !

Il va pleuvoir demain !

L’occasion aujourd’hui de mettre notre ami le kanji 水 (eau) au centre de nos préoccupations. Histoire d’être dans le bain. Ca coule de source, non ? Car dans ce blog instructif on ne se cache pas pour autant d’aimer placer des (mauvais) jeux de mots un peu partout.

Si vous avez un sens de l’abstraction, vous avez peut être fait le lien entre la forme de notre ami le kanji 水 et de l’eau qui coule mais ce n’est pas forcement de la première évidence, je vous l’accorde.

De la transformation d'un pictogramme en un ami kanji.
De la transformation d’un pictogramme en un ami kanji.

Si vous voulez mon avis, notre ami kanji 水 est constitué en grande partie d’eau douce ! Car que se passe-t-il lorsque vous mélangez notre ami kanji 水 avec d’autres kanji ? En société, notre ami est des plus conciliables avec ses congénères et ne fait pas beaucoup de vague !!!

Dans la plupart des cas, il marque son passage en laissant trois petites gouttes placées systématiquement sur la gauche du kanji ; ces trois petites gouttes forment le radical appelé communément et fort logiquement 三水 « sanzui » (三 « san » veut dire trois).

Trois exemples du radical  des trois gouttes d'eau.
Trois exemples du radical des trois gouttes d’eau.
Un kanji qui coule de source (ha ha ha !)
Un kanji qui coule de source (ha ha ha !)

Dans quelques autres cas, il restera en gardant sa forme d’origine à peu près intacte et se placera systématiquement dans la partie du bas… forme qu’on appellera communément et fort logiquement した水 « shitamizu » (した veut dire en bas).

Vous voyez notre ami 水 n’est pas très contrariant en soi.

Attention toutefois dans l’écriture du radical « sanzui » qui est bien plus complexe à réaliser qu’il n’y parait !

Quelques points techniques à respecter.

  • Concernant l’ordre de tracé du kanji : on commence toujours par écrire d’abord les trois gouttes du sanzui et après on s’attaque au reste du kanji où l’on applique la bonne vieille règle du haut gauche vers le bas droit.
  • Quelques points techniques pour assurer un joli profil à notre radical Sanzui.
    Quelques points techniques pour assurer un joli profil à notre radical Sanzui.

    Concernant le sens du tracé des trois gouttes : la première est en quelque sorte indépendante des deux autres. On la trace avec un mouvement du pinceau du haut gauche vers le bas droit ; quand on a fini, on se déplace vers la gauche à l’endroit où l’on tracera la deuxième goutte. La deuxième goutte, à l’instar de la première, respecte le sens haut gauche – bas droit, on se dirige ensuite dans la même verticale vers la troisième goutte que l’on trace du bas gauche vers le haut droit. Vous pouvez voir qu’il y a une forte connexion entre les deux dernières gouttes que l’on imprime quelque fois en traînant la pointe du pinceau sur le papier (mais ce n’est pas obligatoire). Dans la liste des options avec le sanzui, il y a aussi celle d’avoir à peu près le même espace entre les trois gouttes… dans beaucoup de cas, on a tendance à réduire l’écart entre la deuxième-troisième gouttes et ce n’est pas plus mal.

Et ce sera tout pour aujourd’hui, en attendant de nouvelles aventures trépidantes (enfin ???) dans un prochain post.

L'horizon de la kamogawa (Kyoto) qui nous annonce de la pluie pour demain !
L’horizon de la kamogawa (Kyoto) qui nous annonce de la pluie pour demain !

Gauche-Droite, un débat sur fond de cerisiers en fleur…

Le bord de la kamogawa (Kyoto) version cerisiers 2014
Le bord de la kamogawa (Kyoto) version cerisiers 2014

Ca y est nous sommes en Avril, les fleurs de cerisiers sont là et c’est la rentrée des classes. Savez-vous pourquoi à cette période, les japonais respectent cette tradition des pique-nique sous les cerisiers en fleur et s’entassent à une bonne cinquantaine de personnes sur une bâche d’à peine deux centimètres carré ?

Sur ce blog drôle et instructif où souvent le pragmatisme l’emporte, je dirais qu’à la sortie de l’hiver, lorsqu’il commence à faire agréable dehors… il faut profiter des joies du plein air immédiatement ! Que ce soit la chaleur et l’humidité de l’été au Japon et/ou les hordes de moustiques en furie qui font leur apparition dès le mois de Mai, les coups coude d’un voisin un peu envahissant sont de bien moindre maux en réalité.

Mais sinon, si vous connaissez la vraie raison de ces attroupements, n’hésitez pas à m’en faire part, cela m’intéresse.

sakura_2014_1En accord avec l’air du temps, nous allons aujourd’hui traiter d’un vrai cas d’école. Comme je vous le disais la semaine dernière, écrire les kanji au crayon (et encore plus au pinceau) en respectant l’ordre de tracé est tout un art. Si la plupart des japonais a abandonné cet exercice au profit des software de transcription, il reste tout de même les petits écoliers japonais et les françaises un peu étranges pour s’acharner à retenir les règles.

A gauche, le kanji gauche et à droite, le kanji droite.
A gauche, le kanji gauche et à droite, le kanji droite.

Je rappelle les grandes lignes : on trace les traits en partant du haut gauche vers le bas droit. Attention, même si ce blog est a-politique et se targue donc de ne faire aucune démagogie à visée électorale mais milite pour du 100% instructif… nous allons quand même faire l’analyse détaillée de l’écriture des kanji gauche 左 et droite 右.

Ils se ressemblent beaucoup, vous allez me dire. Et bien oui, c’est normal ! vous répondrai-je.

A gauche l'ancêtre du kanji gauche et à droite, l'ancêtre du kanji droite.
A gauche l’ancêtre du kanji gauche et à droite, l’ancêtre du kanji droite.

Le kanji « gauche » était à l’origine le dessin d’une main gauche à côté duquel on trouve une forme simplifiée représentant un outil. Car le kanji ne porte pas seulement le sens gauche, il peut vouloir dire également manipuler (un outil).

Le kanji « droit » est le pictogramme d’une main droite à côté duquel on trouve le signe représentant une bouche. Le kanji porte aussi le sens « aider, porter secours ».

Et même s’ils se ressemblent beaucoup, ils ne s’écrivent pas dans le même ordre ?!? Le kanji gauche : on trace d’abord le trait horizontal puis le trait vertical de la main. Le kanji droit : on trace le trait vertical et ensuite le trait horizontal de la main. Pour comprendre le pourquoi du comment, il faut remonter aux pictogrammes d’origine des deux mains : le long trait du milieu représente (en quelque sorte) le coude et l’autre trait (approximativement) les doigts.

A gauche, l'ordre de tracé du kanji gauche et à droite, l'ordre de tracé du kanji droite.
A gauche, l’ordre de tracé du kanji gauche et à droite, l’ordre de tracé du kanji droite.

La règle est de tracer d’abord les doigts et ensuite le coude. Pour ceux qui n’ont pas le mal de mer quand ça bouge, c’est bien montré ici. Et pour ceux qui aiment prendre le temps et faire les choses à leur rythme, les explications sont les mêmes mais c’est mieux montré ici.

Vous pouvez croire qu’au fond, ce n’est pas très important et que le petit écolier japonais pourra toujours se tromper de sens avec un risque vraiment minime de se faire attraper par la maîtresse.

C’est vrai.

Mais si l’on y regarde d’un peu plus près dans nos kanji écrits au pinceau, on remarquera que la forme du tracé « main gauche » est différente du tracé « main droite ». La proportion entre les longueurs des traits horizontaux et verticaux, l’inclinaison des traits également sont différentes… Ce sont vraiment les marques de deux mouvements de pinceau bien distincts.

Et si l’on y regarde d’un peu plus près sur nos caractères d’imprimerie standardisés… 左 ou 右, c’est du 100% la même chose. Pourtant, vous pourrez rejeter au besoin un coup d’œil à vos deux mains… elles sont bien a-symétriques.

C’est bien la technologie mais quand même ce qu’on gagne en confort ou en facilité… souvent on le perd dans un autre domaine. Voilà je me devais cette petite remarque réac en guise de conclusion. Et ce sera tout pour aujourd’hui.

sakura_2014_3
Des sakura, des sakura et rien que des sakura…

Car c’est un post un peu léger à l’image des pétales de sakura emportés par le petit vent de cet après-midi.

Car dans ce blog qui aime la nature et les petites fleurs, nous reprendrons un rythme un peu plus soutenu dans nos études… à la saison des pluies !

Une bonne vieille méthode

Résumé des épisodes précédents : bon, on a un peu perdu le fil mais c’est pas grave, on va le retrouver. En attendant, voici un épisode indépendant de l’intrigue générale !

Au Japon, il y a plein de choses qu’on n’a pas en France. Comme ses jolies fleurs par exemple.

Des jolies fleurs qu'on voit souvent au Japon et pas en France.
Des jolies fleurs qu’on voit souvent au Japon et pas en France.

Comme le fait qu’il y a aussi deux mots pour désigner la calligraphie par exemple. Alors qu’en France… et bien oui, il n’y en a qu’un.

Mais ne vous inquiétez pas !!! Grâce à ce blog éducatif qui aime aussi faire le voile sur tous les mystères de la calligraphie japonaise, vous allez comprendre le pourquoi du comment tout de suite.

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Une jolie petite calligraphie, vous ne trouvez pas ?

La première appellation, 習字 « shuji » veut dire littéralement l’apprentissage des caractères. Quel est donc l’esprit de cet apprentissage ? Laissez-moi vous ramener à cette lointaine époque où votre maîtresse vous donnait à recopier sur une ou plusieurs lignes les jolies lettres de l’alphabet qu’elle avait bien soigneusement écrit en modèle. Et si vous faisiez bien les choses soigneusement, c’était le bon point et puis au bout de 10 bons points, il y avait l’image.

Vous remplacez les lettres de l’alphabet par les caractères japonais, les récompenses bon point par les kyu, et les images par les dan… Le tour est joué, vous êtes dans une classe de shuji !

Le deuxième terme, 書道 « Shodo » (avec une majuscule svp), veut dire littéralement la voie de l’écriture. Là, laissez-moi vous dire qu’on passe au calibre supérieur… ou dans la cour des grands ! Si les adeptes du « Shodo » font parfois de la recopie, par ailleurs, ils sont tout à fait capables d’écrire leurs textes sans avoir de modèle du tout !

Ouaaaaah la classe !

Dans ce blog éducatif un peu scolaire mais résolument ambitieux, on est à fond sur la grande voie du « Shodo » ! Il faut reconnaître tout de même que la petite voie du « shuji » était une bonne entrée en matière quand on est débutant car on peut se concentrer uniquement sur l’exercice de bien recopier un caractère, étudier son tracé et comprendre sa composition. Cependant c’est une petite voie sans issue donc qu’il vaut mieux quitter assez rapidement. En effet, c’est gratifiant toutes ses récompenses mais en réalité, les bons points-kyu et les images-dan ne valent pas grand chose (et encore moins que ça dans la cour des grands).

En empruntant la grande voie « Shodo », on continue les exercices de copie mais dans une autre dimension bien plus noble. Cela s’appelle l’exercice de « Rinsho » (臨書 臨 = regarder, observer, confronter  書= écrire). Une sacré confrontation où on rigole pas, je peux vous l’assurer ! Il s’agit d’écrire les caractères de calligraphes professionnels qui ont fait référence dans l’histoire de la calligraphie. 

Rinsho made by Shirubii (copyright février 2014)
Rinsho made by Shirubii (copyright février 2014)

A ces époques anciennes, on utilisait des dizaines de milliers de caractères chinois (sans ordinateur ou smartphone avec software de transcription en japonais incorporé) et ces grands hommes qui excellaient dans l’écriture avaient une matière grise bien bien développée et ne présentaient probablement aucun risque de finir leur vieux jours par sucrer les fraises en mode Alzheimer

Au niveau tout débutant du Rinsho, on tente juste de reproduire la forme des caractères. Ensuite, quand on progresse dans la grande voie, il faut singer le style d’écriture c’est à dire reproduire l’apparence des caractères dans sa totalité, particulièrement dans le tracé et les différences d’épaisseur. Il faut donc manier le pinceau de manière à retrouver le même angle, la même pression et la même vitesse qu’eurent ces grands hommes à cette lointaine époque ! Un vaste programme qui vous prend… cette existence là et (au moins) les trois qui suivent (selon les crédits qui vous restent). 

Mais terminons sur une note un peu plus légère car dans ce blog ludique qui est à la pointe de l’éducation, on vous dira aussi que le Rinsho est l’occasion de s’adonner à un domaine des sciences humaines très amusant : la psycho-calligraphie. 

Exemples !

Le calligraphe Chosuiryô (596 – 658) écrivant les 1500 caractères d’un texte bouddhiste. Avec le complexe de belle page blanche du début, il était plutôt tendu et s’est efforcé d’écrire de jolis caractères, bien lisibles mais à l’allure un peu crispés. Après plusieurs pages d’écriture, on constate que son tracé s’est délié et a gagné en fluidité !

ganto
Au fil de l’écriture, le tracé des caractères est devenu plus délié et l’allure des caractères bien moins crispée !

Entre le calligraphe Koteiken (1045 – 1105) qui glorifie les réunions entre amis arrosées d’alcool, et le calligraphe Ganshinkei (709-785) qui s’attriste sur le sort de son cousin mort sur le champ de bataille… Etes-vous capable de percevoir la différence dans le style d’écriture et dire lequel est de qui ???

alcool_triste
Attention ne vous trompez pas ! A gauche : une histoire de beuverie avec des amis. A droite : « Ah ah ah comme c’est triste » (la mort de mon regretté cousin).

Bon. S’il fallait faire une rubrique « conclusion » dans ce blog qui aime bien tirer des leçons de toutes choses, je terminerais par dire que dans notre nouvelle époque moderne où on n’arrête pas le progrès et où on pense que l’écriture à la main est juste exercice fastidieux qu’il faut mieux s’épargner ! Sauf que si l’on s’en donnait la peine, c‘était aussi un moyen d’expression à part entière.

C’est alors que je presse la touche « Publier » du post et que je ne peux m’empêcher de sentir comme un goût d’amertume à imaginer mon texte typographié s’imprimer prochainement sur votre écran.

 

Y-a-t-il un pilote dans cet avion ???

Résumé des épisodes précédents : Dans ce blog aux grandes qualités tout court, nous avons approfondi la dernière fois notre connaissance des trois types de caractères qui constituent l’écriture japonaise : les deux alphabets syllabiques les hiragana (ひらがな) et les katakana (カタカナ) et les kanji (漢字), les idéogrammes d’origine chinoise… continuons encore un peu plus loin aujourd’hui !
 

Ma période préférée dans l’histoire du Japon, c’est la période Heian.

Pourquoi donc ? Parce c’est une période faste de développement de la culture japonaise, plus particulièrement dans le domaine de la poésie et de l’écriture japonaise. Parce qu’à cette époque, la capitale du Japon, c’était Kyoto (pour ceux qui n’auraient pas suivi : j’habite à Kyoto).

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Le temple Kyomizudera à Kyoto (la vraie et la seule capitale du Japon pour ce qui me concerne).

A cette époque, les gens n’avaient pas la télé ou internet, ils en avaient du temps à passer !!! Ils le passaient avec des activités ludiques très créatrices c’est à dire… collectionner les aventures amoureuses à gauche à droite sans se soucier des liens familiaux éventuellement existants. C’était un peu les feux de l’amour japonais sauf qu’à cette époque là, ce genre de pratique était bien moins dangereuses (aucune MST n’a été répertoriée à cette époque).

Enfin attention !!!

Ce ne fut pas pour autant que les gens de l’époque Heian tombèrent dans la vulgarité. Il fallait respecter les formes dans la phase d’approche par exemple : composer des jolis poèmes d’amour, les recopier joliment sur du papier et les transmettre joliment à la personne convoitée… les coucheries étaient tout un art !!! Même si les règles étaient codifiées et que c’était l’homme qui devait attaquer le poème d’ouverture… un très grand nombre de femmes entrent dans le top ten des meilleurs poètes de l’époque. Des femmes en haut de l’affiche au moyen âge… c’est-y pas formidable ???

Formidable à condition de faire partie de la crème… la place d’un simple paysan de l’époque Heian n’était vraisemblablement pas des plus enviables, me direz-vous ! Pure spéculation, vous répondrai-je. Pour juger de ce qui se passait à une époque aussi ancienne, une mémoire d’homme ne suffit pas ; il faut une trace écrite. Or, à cette époque, il n’y avait que les gens des grandes familles de nobles qui savaient écrire et ces gens là utilisaient cette précieuse compétence pour transcrire leur quotidien à eux. La vie du tout-venant, ma foi… (probablement qu’ils s’en fichaient un peu). Par ailleurs, il est fort probable qu’ils enjolivaient leurs histoires du mieux possible surtout sur les anecdotes les concernant directement ou leur famille et leurs alliés.

Ce qui n’est en revanche pas le cas dans ce blog éducatif qui se revendique de mon opinion 100 % objective, vous pouvez me faire confiance.

Mais le vrai développement de mon histoire arrive, ne vous impatientez pas ! En fait, les premières traces d’écrit japonais datent du 5ie siècle, ce qui nous situe avant l’époque Heian. Les japonais, dans leurs diverses échanges avec le grand empire Chinois, ont découvert l’écriture chinoise et ont probablement assez vite saisi la force que leur procuraient un tel moyen. Ils ont donc tenté (avec plus ou moins de réussite) de s’approprier l’écriture chinoise.

Une langue orale japonaise existait (il semblait difficile de revenir là dessus) mais cette langue était bien loin de remplir les conditions d’harmonie avec une transcription utilisant des caractères crées pour la langue chinoise. Avec les idéogrammes chinois, je vous rappelle un caractère = un concept… comment allait-on faire notamment pour transcrire les formes grammaticales du japonais ???

Impossible n’est pas japonais !!! Pour le cas où la transcription via un concept n’était pas envisageable, les japonais ont utilisé les caractères chinois en leur associant une prononciation déterminée et en ignorant leur signification ; les premiers écrits japonais étaient donc une sacrée belle pagaille ! Lecture par le concept ou par la prononciation, un peu selon l’humeur du jour… Après quelques générations de calligraphes, l’écriture s’est transformée et les caractères utilisés pour leur prononciation se sont distingués de leur caractères d’origine.

Un exemple d’écrit de la grande époque Heian

Deux cent ans plus tard, alors que s’ouvre la grande période Heian, on utilise principalement les caractères « kana », les ancêtres des hiragana et katakanas ; ce sont des formes graphiques simplifiées des idéogrammes chinois auxquels on a associé une seule et unique sonorité… comme nos bonnes vieilles lettres de l’alphabet.

Les kana étaient aussi appelés « Onna-de » (女手 littéralement main de femmes). Une explication romantique serait que les femmes japonaises aient été à l’origine des kanas… Une explication pragmatique dira plutôt qu’à cette époque, les idéogrammes « Otoko – homme 男 » et « Onna – femme – 女 » permettaient aussi de distinguer les créations de l’Empire chinois de celles des autres pays asiatiques (Japon, Corée, Vietnam…). Les caractères chinois étaient les « Otoko-de », (男手) littéralement main de l’homme et l‘alphabet coréen (hangeul) était aussi désigné par Onna-de. 

568px-Izumi_Shikibu_sylvieVoilà comment sont nés les caractères japonais et qu’ils ont été intensivement utilisés pour écrire de le top du top de la poésie japonaise. Avec leur si charmante apparence tout en rondeur, ils ont été à l’origine de tellement de conquêtes amoureuses que l’on s’accordera en toute objectivité à les trouver super sexy !!!

Ou alors, c’est juste moi qui débloque, c’est possible aussi… mais nous verrons ça au prochain épisode. 

Revisons nos bases !

Pour une fois, j’en viens sans mystère sur le sujet du post : une présentation du style d’écriture que l’on considère communément comme la base de la calligraphie, le kaisho (楷書). Vous connaissez ?

今度は、紛(まぎ)れも無く書道の本題のお話をしましょう。書道の基本となる文字のスタイルです。それは楷書(かいしょ)といいます。

C’est le style où tous les traits du caractère sont écrits proprement et distinctement, dans un ordre défini et avec un rythme dans le maniement du pinceau. Comme la valse, en trois mouvements !

楷書の文字は、決まった手順とスタイルで書かれるためきれいで読みやすい文字になっています。筆で書くときは、ちょうどワルツを踊るときの三拍子のようにリズミカルに筆を運び、楷書の厳密なスタイルを描きます。その書き方は、

  1. On appelle le premier mouvement Kihitsu (起筆), littéralement le réveil du pinceau et en onomatopée japonaise, on l’exprime par le petit son « Tônn ».  Attention, pas un gros « Tônn » assourdissant mais un petit « Tônn » léger pour évoquer le délicat posé du pinceau sur la feuille bien comme il faut.

一文字の書き出しを起筆(きひつ)といいます。一文字を書くときに筆が最初に紙に触れる音を声でイメージして、小声で「トン」といいます。決して耳障り(みみざわり)な「トン!」ではありません。白い紙の上にやさしく静かにゆっくりと筆を置く繊細な感性を音色(ねいろ)にした「トン」です。気をつけてください。

2.  Ensuite, on amorce la phase suivante, la phase dite Sohitsu (送筆) littéralement l’envoi du pinceau, un peu comme au curling quand on fait glisser le palet jusqu’à la cible mais pour la calligraphie, ce sera sans l’aide des balayeurs.  Le son désignant le mouvement est un « Souuuuu » tout en longueur  et c’est une phase que l’on doit exécuter sans réfléchir et en se concentrant uniquement sur l’endroit où l’on va emmener le pinceau.

それから、起筆の次は送筆です。送筆は、起筆から続く線を描きます。このときの筆のはこびを送筆といいます。それはちょうどバレイユール(スウィーパー)のいないカーリングですね。パレ(パック、ストーン)をショットするのが起筆。的に向かうパレの動きが送筆ですね。送筆の一本の線に沿った筆の流れをイメージした音色は「すーーーう」ですね。それは、自分のイメージした線に沿って、一心に筆を走らせる無心の境地を表しています。

3.  Enfin arrive le dénouement, la phase Shuhitsu (終筆), le pinceau de la fin.  Après le petit coup de frein, on retire le pinceau pour se diriger vers le trait suivant.  Pour ce moment là aussi, on utilisera le même son qu’au début un léger petit « Tônn ».

さて、筆が紙を離れるとき、ひとつの形ができあがります。それが終筆です。筆の終点ですね。筆で一瞬紙を押さえ、終筆の形を整えます。そして、次の辺の書き出しに移ります。 蛇だったら尾から書き始めて頭の位置ですね。先ほどの起筆と同じ、優しくなめらかに「とん」という小さな音色で終筆としましょう。

kaisho

Le Kaisho, c’est donc une série de « Tônn – Souuuuu – Tônn » « Tônn – Souuuuu – Tônn » « Tônn – Souuuuu – Tônn » jusqu’à épuisement des traits… Notez que vous pouvez également écrire en gardant le silence, c’est même conseillé surtout si vous n’êtes pas seul et que la personne à côté de vous dans la salle a les nerfs fragiles.

L’exercice de base d’un calligraphe japonais consiste à copier des feuilles et des feuilles de Kaisho car quand on maîtrise les traits fondamentaux du Kaisho, on maîtrise tous les styles d’écriture (parait-il). Et puis si on maîtrise la composition spatiale du caratère en Kaisho, on maîtrise la la composition spatiale dans tous les styles d’écriture (parait-il). 

On pourrait donc se dire qu’à la longue, le Kaisho devient sacrément rébarbatif et… ça peut être vrai effectivement. Il y a tout un tas de style de Kaisho qui portent une caractéristique donnée par la personne qui l’a écrit et donc dans le tas…

froid1Par exemple, il y a des styles modernes où on trouve ce genre de design pour le caractère froid「 寒」et on est pas plus heureux que ça de le copier. Il n’y a beaucoup de subtilité dans les traits, c’est bien trop tout droit ! Le maniement du pinceau n’est pas d’une grande finesse et avec un pinceau avec des poils rigides tout en tenant l’axe du manche droit, on arrive à reproduire ce type de traits assez facilement. Par ailleurs, la composition du caractère est construite sur les standards modernes de l’imprimerie : un caractère bien formaté inscrit dans une petite case carrée bien formatée… Ca va pas très loin tout ça !

Heureusement, on peut finir par étudier sérieusement la calligraphie et on apprend que ce n’est pas ça le standard du style Kaisho. Ouf ! Si on ressort les classiques et les anciens écrits chinois, on trouve ce genre de caractères et on est sacrément heureux de les copier.

Les écrits du calligraphe chinois Chosuiryou (598-658) gravés sur la pierre.
Les écrits du calligraphe chinois Chosuiryou (598-658) gravés sur la pierre.

Pour ceux-là, Il faut mieux un pinceau avec des poils souples, bien plus difficile à manier mais qui fait sortir de la subtilité dans le tracé. Et puis, il y a pas à dire, quand on n’oblige pas les caractères chinois à rentrer dans des petits cases, ils sont sacrément élégants !

froid2
Un kanji froid très chaleureux à copier !

Rendez-vos copies !

Quelle belle écriture, vous ne trouvez pas ?
Quelle belle écriture, vous ne trouvez pas ?

Me revoilà, après une absence un peu prolongée pour vous présenter un type d’exercice de calligraphie des plus pratiqués et des plus classiques : la recopie (臨書 Rinsho) des caractères de quelqu’un d’autre. Pour l’exposition de fin d’année de mon cours de calligraphie, il faut obligatoirement rendre une oeuvre Rinsho. Cette année, j’ai recopié un makimono (rouleau) de Koteiken, un célèbre calligraphe chinois de la dynastie Song. C’est un grand « classique » et nous étions au moins une bonne dizaine à avoir choisi le même modèle pourtant… pas une seule des œuvres n’était identique.

Très naturellement, la plupart des gens pensent que la copie est pratiquée par les débutants afin de comprendre et d’assimiler le maniement du pinceau, les styles d’écriture, la composition des caractères etc. et qu’on arrête ce genre d’exercice quand on peut écrire ses propres caractères sans avoir besoin de modèle.  En réalité, le « Rinsho » va bien au delà d’un apprentissage en « recopiant bêtement » et il y a une vraie dimension créatrice dans cet exercice qui est pratiqué par les calligraphes les plus avertis.

Pourquoi ?

Déjà, si vous prenez votre pinceau et que vous recopiez le même caractère plusieurs fois de suite, vous constaterez que les résultats ne sont jamais exactement identiques. On trouvera une même tendance dans les caractéristiques du caractère que vous écrivez mais l’être humain n’étant pas une photocopieuse et ce n’est JAMAIS le même résultat. C’est d’ailleurs plutôt rageant par moment mais on y peut rien, c’est le principe inviolable de la calligraphie. De ce principe découle naturellement aussi que l’humeur ou l’état de santé d’une personne ont une influence importante sur son écriture.

Ensuite, si vous donnez le même modèle à deux personnes différentes, vous constaterez que les résultats ne sont pas les mêmes. La forme des caractères, le dynamisme du trait… Ce sont les mêmes caractères mais ce n’est pas la même chose en résultat. Et comme nous avec la graphologie, les japonais pensent que la personnalité d’une personne se reflète clairement dans les caractères qu’elle écrit. Figurez-vous que j’ai même rencontré quelqu’un qui avait abandonné la calligraphie par peur de ce que ses caractères allaient bien pouvoir refléter !

Voilà pourquoi, au-delà de la difficulté à reproduire correctement le modèle, une simple recopie reste toujours une vraie œuvre très personnelle. Sans compter que si vous changez le papier, le pinceau ou l’encre, le résultat est là encore sensiblement différent !

En conclusion, je m’offre une petite heure de gloire car j’ai reçu un prix pour cette œuvre, le « prix de l’effort ». Evidemment ce ne devrait pas être à moi de le dire mais le contexte blogesque m’oblige à m’auto-congratuler ou à me taire… désolée, j’ai choisi de parler : c’était mérité !!! Cela a été un vrai travail de volonté pour mener à bout l’écriture de ces 150 caractères chinois pour une étrangère qui utilise habituellement seulement 26 lettres de l’alphabet. Pour en arriver à ce résultat, j’ai fait un très grand nombre de tentatives et à chaque fois, c’était deux heures pour préparer l’encre, trois à quatre heure pour copier. Au départ, c’était très difficile, j’étais exténuée à la fin et cela se voyait clairement dans le résultat avec les colonnes qui allaient de plus en plus de traviole… Et puis à force d’acharnement, je me suis habituée et je suis arrivée à trouver ça un peu trop rébarbatif ! C’est à partir de ce moment-là que j’ai sorti la meilleure copie… Alors, à votre avis : cet état d’esprit s’est-il reflété dans mes caractères ???

Parmi les autres rouleaux, mon prix de l’effort (c.f. la petite étiquette en rouge !) dont vous ne voyez en réalité que la moitié par manque de place pour l’exposer en entier…

La touche finale / 最後のトウシュ

Vous pensez que la fin d’une oeuvre de calligraphie vient lors du dernier caractère à écrire et qu’après cela, on est tranquille et on peut reprendre son souffle ? Si c’est ce que vous croyez, ce post est pour vous !

Après avoir écrit le texte, il va falloir signer, c’est à dire : écrire son nom suivi du caractère sho « 書 » pour montrer qu’il s’agit d’une oeuvre de votre composition. Prenons mon exemple : je me suis choisis trois kanji « 詩流美 » qui correspondent à la prononciation de mon prénom en japonais Shi-ru-bii. Pour signer une oeuvre, je vais donc écrire « 詩流美書 »… Shi-ru-bii-sho ! Premier problème en perspective : si on a pas prévu le coup, il ne reste pas forcément la place d’écrire le nom. Face à cela, pas de panique, il y a des solutions alternatives. On n’est pas obligé de marquer la totalité de son nom ; un caractère (le premier du nom en général) suffit, un simple « 詩書 » fera l’affaire pour moi par exemple. Il y a aussi l’option de ne pas signer et de se contenter du sceau puisquetraditionnellement, on inscrit son nom sur le sceau. En résumé, il est toujours plus ou moins possible de se rattraper à cette étape là. 

Le vrai problème qui n’a aucune échappatoire est l’étape suivante : poser son sceau ! C’est la dernière touche et c’est impossible d’y couper. Par exemple sur la photo de gauche, on reconnait que c’est une calligraphie finie car il y a mon sceau en rouge. Il y est marqué « 詩流美 » dans un style de caractères chinois très ancien (Tensho) qu’on utilise spécifiquement pour  les sceaux. 

Généralement, le sceau a été sculpté dans de la pierre et pour l’imprimer sur le papier, on utilise une sorte de pâte rouge qui a la même consistance qu’un caramel mou qui colle bien aux dents. On tapote la pierre plusieurs fois sur cette pâte en priant les dieux de la calligraphie pour que l’application soit à peu près homogène. Au bout d’un certain moment, on prend son courage à deux mains et puis aussi la pierre qu’on applique sur le papier. En retenant son souffle et avec le coeur qui bat la chamade, bien sûr ! On presse bien longuement (toujours sans respirer) et puis on retire la pierre… 

Après de longues années de pratique, on arrive à juger quand il y a une quantité suffisante de pâte rouge sur la pierre pour obtenir un joli résultat. Au début, c’est au petit bonheur la chance alors le résultat est la plupart du temps… un peu loupé ! On peut éventuellement utiliser une équerre qui permet de marquer la position du sceau ; on peut le retirer et en cas de besoin, remettre un peu de pâte rouge aux endroits où ça manque et faire une deuxième tentative de pressage… sous réserve de bien le remettre à sa place d’origine et au quart millimètre près. En réalité, il vaut mieux se contenter d’une seule et unique pression même si elle est a priori un peu médiocre.

Vous êtes en mesure maintenant d’imaginer les cas d’échec qui peuvent ainsi marquer l’étape de la signature ! A noter la plus belle bourde que j’ai testé pour vous : apposer le sceau à l’envers la tête en bas. C’est rageant de tout ré-écrire suite à ça, surtout que c’est une faute d’inattention très classique. Mais le pire…

Sur une oeuvre que je voulais exposer, j’ai demandé à quelqu’un de plus expérimenté d’apposer le sceau à ma place car j’ai eu peur de tout gâcher en le faisant moi même. Malheureusement, cette personne s’est trompée, a mis le sceau de travers et pas assez de pâte rouge. Si je l’avais fait, il y aurait eu toutes les chances que je le fasse bien mieux.  Je ne pouvais rien reprocher à la personne qui m’avait rendu service et même si j’avais pu lui exprimer mes regrets, ça n’aurait pas changé grand chose car le mal était fait. Ne pas prendre le risque de mettre soi-même le sceau est vraiment la pire des erreurs. 

Il n’y a pas à dire, lorsque vient l’heure de poser la dernière touche à son oeuvre, la plus grande des difficultés est de résister à la pression du moment ! 

Ishinomaki / 石巻

<= Résultat de l’atelier calligraphie à Ishinomaki… Après les paniers de légumes, j’ai envoyé ma personne au près des sinistrés du tsunami. アトリエ石巻(書道教室):私は、津波被災地にかご野菜を送り届けてから、現地の仮設住宅で被災者の方たちと書道教室を開きました。

Je fais la maligne sur la photo mais je vous assure que j’ai eu sacrément la trouille d’aller à Ishinomaki… mais j’ai bien fait de ne pas me dégonfler car c’était une sacrée expérience humaine que je recommande à chacun.  Ne pas se contenter de regarder les news à la TV, ou écouter les histoires à gauche à droite… aller en personne rencontrer les gens en vrai !  写真のように石巻書道塾は無事にたのしくできたのですが、 石巻に行くまではとても不安でした。しかし、それでも人間として・・・それは誰にでもいえることですが、困っている人に何かしてあげることはとても大事なことです。ですから、不安や心配を乗り越えて、私の場合は書道塾を開いたことはとてもよかったと思います。

Pourquoi j’étais morte de trouille avant d’y aller ?  C’était le premier cours de calligraphie que je donnais et je ne savais vraiment pas si j’étais à la hauteur. Il fallait prêter le matériel et donc trouver tout (pinceau, encrier etc. etc.) pour 10 personnes et je ne savais pas comment j’allais pouvoir trouver tout ça (en réalité, j’ai tout récupéré grâce à mes amis et mes collègues de calligraphie en moins d’une semaine !). Je ne savais pas quel genre de personne viendraient, des personnes qui habitaient dans des résidences temporaires car leur maison avait été détruite par le tsunami mais à part ça… Enfants, personnes âgées ou autre, je ne savais pas et surtout je ne savais pas dans quel état mental étaient ces gens qui avaient tout perdu. Et puis pour moi, c’est angoissant d’aller dans un endroit que je ne connais pas et où je ne connais personne… donc encore plus quand il s’y est produit cette catastrophe. 

Pour ceux qui ne le savent pas, Ishinomaki est une ville tristement célèbre car son port a été très très durement touché par le tsunami du 11 mars 2011 et a fait de très très nombreuses victimes. Quand j’y suis allée, il s’était passé un peu plus d’un an depuis le désastre et j’ai été très surprise par le centre-ville …

Il y a un manga très célèbre qui a été écrit par un natif de Ishinomaki d’où les statues dans la ville. Evidemment, après un petit tour en bord de mer et près du port, là j’ai trouvé à peu près ce à quoi on s’attendrait pour « le tsunami, un an après ». Mais je ne crois pas que j’ai vraiment réalisé pour autant ce qu’il s’était passé là bas…

Enfin pour revenir à des choses bien plus joyeuses…

L’atelier s’est passé à merveille ! Je n’ai rien compris à ce qu’on me disait (ils ne parlent pas le même japonais qu’à Kyoto, je vous assure !) mais ce n’est pas la peine de comprendre les mots pour communiquer (même si ça aide beaucoup, c’est vrai ;-)). J’ai rencontré beaucoup de personnes avec une joie de vivre incroyable !  C’est un peu triste à dire mais… je crois qu’après avoir tout perdu, on envisage l’existence d’une bien meilleure manière.

Beaucoup de personnes sont venues à l’atelier (une calligraphe française ça vaut le détour, non ?) et même si je n’ai pas tout compris, je crois qu’ils se sont bien amusés. Qu’en pensez-vous ?