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It’s A Man’s, Man’s, Man’s World…

Ou derrière chaque grand homme, se cache une femme dit-on en français. En ce qui concerne les japonais, qu’en est-il donc ???

fleurs

Et bien, par exemple, si vous prenez le haiku très célèbre du poète Kobayashi Issa :

ともかくも/ Tomokakumo / Quoiqu’il arrive

あなたまかせの/ Anata makase no / Je m’en remets à vous

年の暮れ / Toshi no kure / Pour les années qui passent

A la première lecture, j’ai (et la plupart des japonais aussi) pensé que ces quelques vers étaient dédiés à la femme du poète ; en japonais, on utilise couramment le pronom personnel « Anata » (« vous ») pour s’adresser à son épouse. Le mot de saison « Toshi no Kure » renvoie à la fin de l’année, l’hiver, et par extension on peut dire aussi qu’il fait référence à l’hiver de l’existence humaine. Issa s’en serait remis à son épouse pour les dernières années qui lui restaient à vivre… Si vous vous intéressez un peu à la biographie de ce poète, vous constaterez que s’il a consacré la première partie de sa vie à la poésie et qu’arrivé à la cinquantaine, il a tenté à plusieurs reprises de fonder une famille… sans grand succès malheureusement et soi-dit en passant. Victor Hugo n’aurait probablement pas imaginé meilleur personnage qu’un type comme Issa s’il avait eu à écrire une version nippone des misérables ! Sa première femme ainsi que les trois enfants issus de cette union sont morts en l’intervalle d’à peine quelques années ; il a divorcé de sa deuxième femme au bout d’à peine trois mois de mariage et pour couronner le tout : il meurt peu de temps avant que sa troisième femme donne naissance à une petite fille (qui elle, survivra jusqu’à l’âge adulte normal).

Pour en revenir à la signification de ce poème, en réalité… la formule « Anata-makase » est aussi une prière traditionnelle s’adressant à la déité Amitābha. Issa étant un fervent pratiquant bouddhiste, le haïku aurait un sens très spirituel de « quoiqu’il arrive j’accepte la destinée que Amitābha m’a donné ». Effectivement, si on regarde la vie de Issa sous cet angle, cela tombe sous le sens également et les biographes du poète qui réfutent la dédicace à son épouse ont probablement raison ! Remise de cette déception (je suis trop fleur bleue, c’est vrai !), voici quelques pensées qui me sont venues suite à cette confusion.

bouddha

La première, c’est qu’elle donne un assez bon témoignage de la situation concernant la poésie japonaise. Après la fabuleuse époque moyen-âgeuse Heian où les grandes effusions de sentiments étaient monnaie courante dans les poèmes d’amour, on retrouve l’époque d’Edo (17ie au 19ie siècle) où les japonais sont tout autant créatifs dans le domaine poétique mais bien plus pudiques concernant leurs émotions. Dans les haïku (poésie apparue au milieu du 17ie siècle) des trois grands maîtres, Basho-Buson et Issa, vous ne trouverez aucune mention d’aucune sorte à l’amour… sauf pour effectivement un cas : le chagrin d’amour du pauvre Buson qui regarde tristement le ciel gris et la petite pluie froide d’automne. L’exception qui confirme la règle dira-t-on. Avec cette forme de poésie devenue « traditionnelle », on fait principalement les louanges de la nature et des changements de saison, des scènes de la vie quotidienne et… c’est tout !

Contrairement à l’époque Heian, aucune femme poète n’est passée à la postérité à l’époque Edo. Entre ces deux périodes, les guerriers samuraï ont pris les rênes du pouvoir et ont imposé au Japon une société à tendance phallocratique où les femmes ont été reléguées aux rôles secondaires de mères ou d’épouses. Il était sûrement difficile d’afficher ouvertement ses sentiments envers le sexe « faible » même dans le processus de création poétique. Enfin nous nous abstiendrons de faire la leçon aux japonais ; vous, chers compatriotes et hommes français, vous avez été miraculeusement sauvés par le siècle des lumières mais à part ça, vous n’avez guère été plus brillants dans la période d’hégémonie de l’Eglise catholique (par exemple).

Moralité : ne vous laissez pas tromper par les japonais qui proclament fièrement que les haïku reflètent à merveille l’âme japonaise ! En réalité, c’est vrai mais c’est un petit peu réducteur, les japonais sont capables de bien plus de romantisme que ça aussi, ils l’ont prouvé à l’époque Heian.  Enfin, pour en revenir au poème d’Issa, je suis fleur bleue et têtue, je persiste et je signe ! Ce possible double sens – épouse et déïté – fait toute la beauté du poème. Par ailleurs, je pense que cela n’a pas pu échapper à ce grand poète qu’était Issa et qu’il l’a peut être fait en connaissance de cause… mais techniquement, l’histoire n’en a gardé aucune trace et cela ne restera qu’un avis qui n’engage que ce blog : c’est vrai !

Souvenirs d’été

Petites fleurs d'été
Petites fleurs d’été

Ca y est : nous sommes entrés dans le cœur de l’été japonais cette semaine, c’est à dire un température avoisinant 35° dans les bons jours (le mercure peut monter jusqu’à 38°C au mois d’Août) avec une chaleur humide qui vous liquéfie sur place. A cela se rajoute le problème de la géographie particulière de Kyoto, un plateau entouré de montagne où l’air stagne et avec très peu de courant d’air. La chaleur perdure même la soirée : c’est donc l’enfer tout le temps ! Il n’y aura que l’arrivée de l’automne pour nous sauver.

Chouette programme d’été en perspective, non ?

Pour voir le bon côté des choses, nous dirons que c’est une période propice aux activités telles que la lecture, la calligraphie ou la sieste… soit des activités d’intérieur… sous réserve que l’intérieur soit équipé par de solides systèmes de climatisation ou de ventilation !

Ce blog pourrait s’en réjouir s’il n’était pas d’avis que la climatisation est une consommation d’énergie importante, que ce n’est pas très bon pour l’environnement et pour la santé non plus. On préférera donc l’utiliser le soir avec parcimonie (sinon avec la chaleur étouffante, c’est impossible de trouver le sommeil) ; le ventilateur et les bords de la rivière Kamogawa seront les seuls moyens à consommer sans modération pour affronter la chaleur du jour.

Les bords de la Kamogawa
Les bords de la Kamogawa

Pour rajouter de la conviction à ce discours jusqu’au boutisme, l’été n’est par ailleurs pas une invention de nos temps modernes : les japonais d’autrefois aussi devaient supporter la chaleur sans avoir recours aux merveilles technologiques qu’offre la fée Electricité alors pourquoi n’en serions nous pas capables aujourd’hui encore ?

Savez-vous ce que faisaient donc nos japonais de l’ancien temps pour supporter la chaleur et surtout pour trouver le sommeil alors que leur maison bien chauffée par le soleil d’un beau jour d’été était devenue une vraie fournaise dans la soirée ?

Une astuce des plus remarquables a été trouvée par les japonais de l’époque Edo (17ie – 19ie siècle ) : le soir, ils se réunissaient et se racontaient… des histoires d’horreur !!! Ils avaient remarqué que, sous le coup de la peur, la décharge d’adrénaline fait diminuer la température corporelle. Vous n’aviez pas remarqué ? Et pourtant on dit bien « sueur froide », « faire froid dans le dos », « le grand frisson »… non ?

Mis à part cela, lorsqu’on regarde la poésie et la littérature japonaise d’autrefois, il semble que les japonais se contentaient avant tout… de supporter l’enfer !!!

A l’image du pauvre Basho à l’affût de la moindre sensation de fraîcheur qui lui permettrait de se reposer enfin :

Un autre moyen pour garder les pieds au frais
Un autre moyen pour garder les pieds au frais

ひやひやと Hiyahiyato

壁にふまへ Kabe ni fuma he

昼寝かな         Hirune kana

« Les deux pieds au frais posés sur le mur, c’est peut être enfin le moment de la sieste »

Dans le journal de Dame Sei Shonagon, dont ce blog vous parlait il y a quelques semaines, on trouve ce témoignage très parlant sur l’été au temps de l’époque de Heian :

« Aux alentours du mois de Juillet, les jours où le vent est violent et le bruit de la pluie est presque assourdissant, le temps se rafraîchit au point qu’on en oublie l’éventail et c’est agréable de revêtir le tissu léger du wataire qui sent légèrement la transpiration et de goûter à nouveau au plaisir du sommeil en plein jour… « 

Ce ne sont que quelques lignes et pourtant de quoi – là, tout de suite – faire rêver ce blog, je peux vous en assurer !

Un peu de correction si vous le voulez bien…

Dans une ancienne version de ce blog, nous vous avions déjà parlé du grand bananier, vous vous souvenez ? Et bien aujourd’hui on y revient encore.

J’arrête ici les petits nouveaux ou les lecteurs amnésiques : aucun rapport avec une boisson chocolatée en poudre (oui je sais, elle était facile celle là), il s’agit de Bashô (芭蕉 1644-1694), une sorte de Baudelaire nippon sans l’absinthe, l’opium ni les femmes. Car si l’avis de ce blog vous intéresse, les artistes japonais semblent avoir en règle générale une vie bien plus saine que leurs homologues occidentaux. En tout cas, nous retiendrons que l’inspiration principale de Bashô, ce sont les choses de la nature, les beaux paysages et le passage des saisons… le tout en état de parfaite sobriété, s’il vous plait.

Une des nombreuses statues de commémoration du passage de Bashô dans la région Tohoku (Ishinomaki)
Une des nombreuses statues de commémoration du passage de Bashô (devant) et son fidèle disciple Sora dans la région du Tohoku (Ishinomaki)

Bashô, c’était un homme qui a révolutionné la poésie japonaise et un vrai artiste engagé comme ce blog les aime !

Alors attention sur ce que nous entendons par « engagé ». En réalité, il est resté célibataire jusqu’à sa mort même si selon certains témoignages, il « aurait » entretenu pendant de nombreuses années une relation avec une femme qui « serait » devenue mère célibataire dans la période… Le mystère restera entier sur sa descendance ; officiellement, notre poète a entièrement dédié sa vie au célibat et à la bonne cause : la poésie. Il est tout de même le papa reconnu du haiku, une version très courte de poème japonais en trois vers de 5-5 et 7 syllabes. Ou 7-5-5. Ou 5-7-5 (contrairement au tiercé, dans le haiku l’ordre importe peu tant que vous avez la combinaison « deux cinq / un sept »).

Dans sa dernière décennie, alors qu’il s’était fait un petit nom dans le milieu et qu’il aurait pu en profiter pour se la couler douce, Bashô ne s’est pas reposé sur son bananier (ha ha ha elle est bien bonne n’est-ce pas ?), il s’est mis à parcourir le Japon de long en long (la forme de l’île principale) à la recherche perpétuelle d’inspiration pour ses poèmes… tout en tentant de recruter de nouveaux disciples.

Oui mais attention ! C’était une grande prise de risque… Le voyage au Japon du 17ie siècle était bien loin de la franche rigolade d’aujourd’hui dans les trains grande vitesse avec la clim et les sièges inclinables. A l’époque, c’était un véritable défi physique et beaucoup de personnes y ont laissé leur vie… ce fut le cas pour Bashô car la maladie l’a emporté lors de ce qui devait n’être qu’une escale de son (tout dernier) voyage.

Matsushima, classé un des plus beaux paysage du Japon. Bashô a été totalement subjugué par la beauté du lieu qu'il en a eu le ver coupé... Seul ce haiku très facile à retenir lui est sorti de la bouche : Matsushima ya Ah Ah Matsushima Matsushima ya
Matsushima, classé un des plus beaux paysage du Japon. Bashô a été totalement subjugué par la beauté du lieu qu’il en a eu le ver coupé… Seul ce haiku (très facile à retenir) lui est sorti de la bouche : Matsushima ya / Ah Ah Matsushima ya / Matsushima ya

Pour ce qui concerne ce post, nous allons parler d’un autre voyage qu’il a bien fini et dont il a fait le récit dans son très célèbre journal « Oku no hoso michi« . L’étroit chemin du fond. Depuis Edo (l’ancien nom de Tokyo), il est parti dans le grand nord du Japon, cette région rendue tristement célèbre par le tsunami de 2011 mais qui, bien avant ça, contenait un nombre important de sites magnifiques dont les charmes avaient été moult fois vantés par les grands poètes classiques.

Ensuite, il est redescendu vers le sud en longeant le bord de la mer du Japon jusqu’aux environs du lac Biwako. Au total, à peu près… 2400 km !!! Et oui, c’est pourquoi ce blog se permet des prises de position sur l’hygiène de vie des artistes japonais, figurez-vous.

Il existe plusieurs versions de « Oku no hoso michi » car Bashô ne s’acharnait pas seulement sur les kilomètres mais également sur ses écrits qu’il travaillait, retravaillait et re-retravaillait… pour mieux les re-travailler ensuite ! Dans la dernière version du journal, manuscrit réalisée de sa belle main avec son plus beau pinceau, six ans après son retour de voyage, sur les 32 pages, on en compte 24 qui sont retouchées avec des patch pas très discrets… Regardez :

Le manuscrit de Oku no Hoso Michi
Un passage du manuscrit de Oku no Hoso Michi
oknohosomichi2
Un autre passage du manuscrit de Oku no Hoso Michi

Un manuscrit qui a de la correction donc !!!

Ou qui était bourré d’erreurs diront les plus pessimistes de nos lecteurs.

On trouve plusieurs sortes de corrections. Pour commencer, celles qui viennent probablement de petites fautes d’attention en recopiant son brouillon. Dans ce cas, Bashô tentait tout d’abord de les effacer en utilisant un petit bout de bois pour gratter le papier, un peu comme le principe d’une gomme. Quand le seul grattage ne suffisait pas pour masquer l’erreur ou quand le papier s’était déchiré dans la manœuvre, il collait un petit morceau de papier sur lequel il ré-écrivait le ou les bons caractères.

Dans d’autres cas, ce sont carrément des passages entiers qui ont été l’objet d’un bon copier coller à l’ancienne. Pour finir, avec des analyses poussées de radiographie et en vérifiant notamment les fils et les trous d’aiguilles sur la reliure du manuscrit, on a également découvert que cela ne coïncidait pas toujours et que certaines pages avaient été déchirées alors que d’autres avaient été rajoutées après.

Vous allez donc monter au créneau pour protester car merci mais bon on n’apprend pas grand chose de révolutionnaire : vous aussi vous faisiez ça avec votre cahier d’école sous le regard désespéré de votre maîtresse (faut dire que le tipex d’autrefois, c’était du travail de cochon garanti).

Pour la défense de ce blog, je me suis dit qu’à notre époque numérique où l’on ne garde plus aucune trace de nos corrections, un petit rappel sur les fondamentaux du couper-copier-coller ne ferait jamais de mal. Ensuite, permettez-moi de conclure que le génie ça se travaille, il n’y a pas lieu de faire de complexes ou de tergiversions « ai-je suffisamment de talent ou non ? » mais bien de relever ses manches et de se mettre au boulot.

C’est peut être aussi un mythe qui tombe pour ceux d’entre vous qui pensaient que, de part le caractère indélébile de l’encre de Chine, les calligraphes avaient pour obligation d’écrire avec beaucoup de soin sans ne commettre aucune erreur sous peine de devoir tout recommencer depuis le début ! Mais si vous voulez l’avis de ce blog qui décidément aime trancher dans le vif : Bashô avait bien plus de déontologie poétique que calligraphique.

Premier rêve !

De retour après 6 mois de blogesque absence… comme si j’avais rien fait pendant toute cette période mais pas du tout !!! J’ai beaucoup bossé et des calligraphies… j’en ai écrit plein !!!

Alors qu’est-ce qui me retient de vous les montrer ???

Mais non, ce n’est pas mon chien qui les a mangées !

Une des premières réactions d’un individu plutôt normal quand il regarde une calligraphie est de se demander ce qu’il y a d’écrit, n’est-ce pas ? Par souci de rendre accessible mes calligraphies à mes concitoyens qui a priori ne parlent pas japonais, je me suis dit qu’il serait judicieux d’ajouter une petite traduction pour faire passer le message. Or, oui et bien donc voilà : la traduction, c’est vraiment mission impossible.

Pourquoi ?

A cause du japonais !

Et pas à cause de mon niveau de japonais (ne soyez pas vexant, merci).

Si vous prenez le cas du Haiku par exemple, cette poésie qui dépeint une scène en trois vers délicats… composés respectivement de 5-7-5 syllabes ! Impossible d’être aussi concis avec la langue française ; si, au bout du deuxième mot, vous n’avez pas encore dépassé les syllabes allouées pour le premier vers du Haiku, c’est déjà un exploit en soi !

Le Haiku a été crée pour la langue japonaise et la structure 5-7-5 en reflète les caractéristiques. Par rapport au français, le japonais est un langage concis et très vague; il est possible de s’exprimer en japonais en omettant tout un tas d’informations qui seraient pourtant jugées cruciales par les règles de grammaire française… Par exemple, ne pas spécifier le sujet du verbe est très commun dans une phrase japonaise. Par ailleurs, il y a aussi une foule d’expressions ou formules japonaises « toutes faites », qui, en un ou deux mots révèlent tout un pan de la culture japonaise et traduisent bien plus que leur sens premier ! Comme les Haiku en regorgent, il faut donc avoir une très bonne culture générale pour apprécier cette forme de poésie.

Car on fait pas de la poésie bon-marché dans ce blog, qu’on se le dise !

Mais pour résumer, si le Haiku n‘est pas à la portée de n’importe quel japonais, en ce qui concerne les français… 

Prenons un cas concret, par exemple, ce Haiku :

初夢  Hatsu yume  => traduction littérale : premier rêve

話している間に Hanashiteiru aida ni => traduction littérale : pendant raconter

われけり  wasurekeri => traduction littérale : oublier

Vous avez compris ?

On se réveille avec dans la tête un rêve qu’on vient de faire mais alors qu’on s’apprête à vouloir le raconter… on l’a oublié. Notez bien que j’utilise « on » car savoir qui a fait, raconté ou oublier n’est pas le sujet du haiku. L’acteur principal du haiku, c’est ce premier rêve qui se fait, qui se raconte et qui s’oublie.

Pourquoi donc le premier rêve ? En réalité, Hatsu-yume est le premier rêve de l’année, celui que l’on fait dans la nuit du 2 janvier. Une logique un peu impénétrable – qu’en est-il du rêve du 1er janvier au soir ??? – quoiqu’il en soit, dans la tradition japonaise, si le rêve du 2 Janvier est un bon rêve alors la chance sera au rendez-vous pour le reste de l’année.

Pour en revenir au sens du Haiku, cela précise un certain nombre de choses.

Déjà concernant le contexte ; la scène dépeinte n’a pas lieu à n’importe quel moment mais à une période de l’année bien précise. C’est une des caractéristiques premières du Haiku, c’est un poème de saison et il y aura toujours un ou plusieurs mots qui permettront de le situer temporellement. 

Ensuite, s’il n’y a rien d’exceptionnel en soi d’oublier un rêve… Toutefois, on peut imaginer la frustration engendrée lorsqu’il s’agit de ce premier rêve là.   

Alors, hein, expliquez-moi un peu comment je serais susceptible de traduire tout ça pour que vous ne soyez pas frustré en voyant la calligraphie de ne pas pouvoir lire le sens et comprendre la signification.

Premier rêve
Premier rêve

 Vous restez frustrés même avec ces explications ???

Non vraiment, le coup du chien comme excuse m’aurait bien plus arrangé, en fait. 

Vive le printemps !

Un village plein d'enfants !
雪とけて 村いっぱいの 子どもかな / Yuki tokete – Mura ippai no – Kodomo kana

Nous n’y sommes pas tout à fait mais déjà ces derniers jours ont une forte odeur de printemps. Les températures se font plus douces et on envisage mieux de sortir de chez soi ! Les jours de pluie en continu commencent à réapparaître… Attention toutefois, pas de ressentiment inutile contre la pluie : c’est pour la bonne cause (les fleurs de cerisiers) !

Pour ce nouveau passage de saison, je suis très très heureuse de vous présenter le haiku que je viens d’écrire. Pourquoi ? Parce que j’ai choisi un poème de Kobayashi Issa  (小林 一茶 1763-1828) un très grand poète japonais que j’apprécie et que j’admire particulièrement, cela me fait donc particulièrement plaisir de vous parler de lui.

Pourquoi je l’aime et je l’admire tant, me demanderez-vous ? Ne vous inquiétez pas, j’y venais de suite que vous vous posiez ou non la question ! Issa était un fils de paysan, il a longtemps vécu dans un village de l’actuel département de Nagano ; son quotidien en général – et en particulier là-bas où les mètres de neige s’amoncellent l’hiver – n’était probablement pas des plus faciles. A cela s’est rajouté une série sans fin d’évènements dramatiques dans sa vie personnelle ! Cela commence par sa mère qui meurt alors qu’il est encore jeune enfant et puis par la nouvelle épouse de son père qui lui fut très hostile, notamment à cause des problèmes posés par l’héritage paternel qu’elle souhaitait voir entièrement destiné à ses propres rejetons (tant qu’à faire). Issa fut donc dans le sens le plus objectif du terme : un pauvre orphelin ! Ensuite, il s’est marié et a eu quatre enfants … qui sont tous morts en bas âge ; son épouse aussi a fini par mourir avant l’âge. Il s’est marié une seconde fois mais sans gloire (il divorce après trois mois) mais la troisième tentative semble la bonne et… Effectivement, sa troisième épouse lui a donné une petite fille qui a vécu jusqu’à un âge adulte avancé ! Ce fût pourtant sans qu’Issa puisse en témoigner car il mourra juste avant la naissance de l’enfant.

Alors je vous le demande : combien d’entre-nous, après avoir vécu le quart du tiers de ça, auraient fini dans l’aigreur  ou la méchanceté, dans les larmes ou l’apitoiement permanent sur son triste sort ? Et pourtant et malgré tout cela, je ne crois pas que ce fût le cas d’Issa ! Quand on lit ses poèmes, on se dit qu’il n’y a pas eu plus yasashii que lui.

En japonais, yasashii écrit comme ça « 易しい » veut dire simple, aisé, facile.

Sinon, le yasashii écrit comme ça « 優しい » veut dire gentil, doux, tendre. 

Les deux sens s’appliquent dans les poèmes d’Issa et dans celui-là en particulier, regardez :

雪をとけて / Yuki tokete …………… Avec la neige qui fond,

/村いっぱいの / Mura ippai no …………… Le village va sûrement se remplir

子どもかな / Kodomokana …………… (de cris ? d’éclats de rire ?) d’enfants !

Kuchi-taba-he…

 

 

夏近し

その口たばへ

花の風

松尾 芭蕉

Kuchi-taba-he est un haiku écrit par LE maître des haiku, j’ai nommé Matuso Bashô, le grand bananier ! Et  je ne plaisante pas car c’est la traduction littérale de son nom de plume et accessoirement le surnom donné à son ermitage devant lequel il avait planté un bananier (Bashô). Ceci explique donc cela, effectivement, je ne vous le fais pas dire.

Cet homme a littéralement révolutionné la poésie japonaise au début du 17ième siècle en donnant un ton bien plus frais au genre, recherchant une profondeur poétique dans les petites choses de la vie. Moi c’est également dans mon style, alors je cautionne à fond le régime banane japonais.

C’est un personnage d’autant plus admirable qu’il a passé sa dernière décennie à sillonner le Japon en retranscrivant les récits de ses voyages dans des recueils poétiques exceptionnels. Il faut comprendre qu’à cette époque, ce genre d’initiative était particulièrement périlleuse car nombreux étaient les voyageurs qui perdaient la vie en route et d’ailleurs… ce fût finalement son cas à Bashô.

Même les japonais non-initiés au genre seraient bien en mal de comprendre le sens de Kuchi-taba-he alors l’expliquer à un public francophone, c’est un défi de l’impossible… comme je les aime !

En fait non, c’est histoire de dire car je préfère quand c’est simple à expliquer tant qu’à faire.

夏近し … Natsu Chikashi … L’été est proche

その口たばへ … Sono kuchi taba he … Dans cette bouche fermée

花の風 … Hana no kaze … Le vent des fleurs 

Alors que pensez-vous de cela, dites-moi ? Incompréhensible, n’est-ce pas ? Bon c’est partiiiii !

Il faut déjà prendre compte un facteur important : l’été au Japon. Il fait une chaleur de dingue, le taux d’humidité grimpe au plafond, tout est fait pour clouer sur place une pauvre française et lui faire bien regretter d’avoir quitté son pays natal. Concernant les japonais du 17ième siècle, probablement qu’ils avaient également des difficultés dans la fournaise estivale. Même à l’ombre d’un bon bananier, il fait une chaleur à crever en été au Japon, qu’on se le dise !

Concernant la végétation japonaise, un effet radical est garanti également. A l’été, fini les jolies fleurs du printemps ! Leurs pétales ont été emportés par le petit vent frais printanier et tout ce beau monde a fui dans un endroit bien éloigné du Japon… Il ne reste plus qu’un  soleil de plomb et une sensation permanente d’étouffement.

Le dieu du vent Fujin
Le dieu du vent Fujin

Kuchi-taba-he était une prière adressée au Dieu Fujin afin qu’il referme l’ouverture de son sac à vent et que l’on puisse ainsi conserver encore un peu plus longtemps la fraîcheur et le parfum fleuri du printemps.

Pour ma calligraphie aussi, j’ai tenté dans la grande bouche 口 fermée d’y faire rentrer les fleurs 花 (jusque là, c’était encore bon) mais quand au vent, pas moyen de lui faire entendre raison et les deux hiragana qui le constituent (Ka-ze かぜ)s’échappent irrémédiablement de kuchi 口…

Aaaaah ! Enfer et damnation !!!

… De l’été qui s’approche !

Haru-no-kaze / 春の風

春の風や

堤長うして

家遠し

与謝 蕪村

Haru-no-kaze (Vent de printemps), est un haïku de Yosa Buson (18ième siècle) qui m’a particulièrement touché. Déjà, c’est un haïku rempli de nostalgie et moi, la nostalgie, c’est mon rayon surtout depuis que je vis au Japon. Ensuite, Buson et moi n’avons pas vécu au même siècle et c’est très dommage car nous nous serions très bien entendu, nous avons beaucoup de points en commun. 

Par exemple, Buson était un très grand artiste-poète talentueux. C’est un sacré point commun 😉

Autre exemple : il était originaire d’un village (fondu dans l’agglomération Osaka aujourd’hui) qui a été détruit par une inondation, il est monté à la capitale pour faire ses études, il a beaucoup voyagé dans tout le Japon et est finalement venu s’installer à Kyoto à l’âge de 36 ans… Pile tout comme moi ! Sauf que je suis originaire de la région de Fontainebleau et qu’aux dernières nouvelles, Thomery va bien. A part ça, tout pareil.

Quand j’ai lu son poème sur le vent de printemps, j’ai tout de suite saisi ce que mon double poétique japonais avait voulu dire dans ces quelques vers.

春の風や – Haru no kaze… le vent de printemps

堤長うして – Tsutsumi nagaushite… la digue est longue

家遠し – Ie tooshi… la maison est loin

Bon d’accord, il a fallu qu’on m’explique un peu mais ensuite, j’ai compris tout de suite… en quelques jours, pas plus.

En écrivant, j’ai accompagné Buson dans sa promenade par ce bel après-midi de printemps, avec ce petit vent frais et cette digue tout en longueur, bordée de cerisiers en fleur, qui s’allonge à perte de vue… Nous avons décidé qu’on allait la suivre pour voir jusqu’où elle nous mènerait. 

Ah la la ! Quelle belle journée ! Les fleurs et leur parfum enivrant, les pétales qui volent au vent, les petits oiseaux qui chantent, le soleil qui réchauffe… Que de merveilles sur la route, on en prend plein les yeux et on en perd toute notion du temps !

Mais l’après-midi se termine alors que la digue n’en finit plus de s’allonger au devant de nous… nous nous arrêtons quelques minutes et histoire de juger le chemin parcouru, je jette un coup d’oeil en arrière. Ah ! Le petit point noir là bas ! C’est avec un pincement au coeur que je réalise qu’on distingue à peine notre petite maison qui est loin, très loin…  

Sacré vent de printemps qui emporte les promeneurs distraits bien loin de chez eux ! Comment va-t-on faire pour rentrer chez nous maintenant ?