Le sens Kin-Gin

Dans les classiques de « je visite Kyoto à la saison des feuilles d’érables rouges », il y a évidemment la journée, petit déjeuner Kinkakuji (le pavillon d’or) et dîner Ginkakuji (le pavillon d’argent). C’est vrai que je me lève tard (10h30) et que je dîne très tôt (15h) mais ce sens de visite est le meilleur et je vous le recommande.

Quoique si on y réfléchit…

Comme le Kinkakuji est à l’ouest de Kyoto, là où le soleil se couche, le Ginkakuji à l’est de Kyoto, là où le soleil se lève… c’est peut être par simple esprit de contradiction (très prononcé chez moi). En tout cas, la lumière au Ginkakuji était fantastique à 15h et je vous préviens c’est vraiment la dernière limite car après elle tombe et tout devient bien moins joli et impossible à prendre en photo.

Historiquement, c’est bien plus correct de le faire dans le sens là ! Si le Kinkakuji a été bâti par un shogun plutôt « rococo » dans l’âme, le Ginkakuji a été conçu par son petit fils… Un shogun à l’esprit plus « zen-épuré » mais avec la ferme intention de coiffer son grand-père au poteau dans les guides touristiques du futur quand même ! Le sens de visite Kin-Gin est donc chronologiquement plus correct (en excluant le fait que le pavillon d’or est une reconstruction moderne du pavillon d’origine).

Un petit déjeuner traditionnel à Kyoto (le Kinkaku-ji)

Il faut reconnaître l’avantage dans le sens Kin-Gin que, la plupart des gens préférant le pavillon d’argent, on se garde le meilleur pour la fin ! Moi avec mon goût prononcé pour prendre de face le soleil, c’était difficile d’avoir une belle photo du dîner Ginkakuji d’hier et je ne vous mettrais peut être pas l’eau à la bouche…

Mais ! Ça permet d’éclaircir un point important…

Un dîner traditionnel à Kyoto, le Ginkakuji.

Vous pouvez voir les reflets argentés du temple sur la photo et je ne pense pas que cela soit dû (uniquement) aux filtres Photoshop. L’origine du nom « Temple d’Argent » proviendrait bien de la peinture qui donne des reflets argentées et non pas car la construction a été achevée sans pouvoir recouvrir le tout de feuilles d’argent par manque de moyen. Cette dernière version est donnée par la brochure distribuée à l’entrée du Ginkakuji et est probablement un test pour savoir jusqu’à quel point il est possible de duper les touristes étrangers qui viennent au Japon.

Enfin, dernier avantage majeur pour le sens Kin-Gin… au vu de là où j’habite, c’est bien plus pratique et ça se trouve rien ne vaut un petit temple d’or au dîner ???

Kuchi-taba-he…

 

 

夏近し

その口たばへ

花の風

松尾 芭蕉

Kuchi-taba-he est un haiku écrit par LE maître des haiku, j’ai nommé Matuso Bashô, le grand bananier ! Et  je ne plaisante pas car c’est la traduction littérale de son nom de plume et accessoirement le surnom donné à son ermitage devant lequel il avait planté un bananier (Bashô). Ceci explique donc cela, effectivement, je ne vous le fais pas dire.

Cet homme a littéralement révolutionné la poésie japonaise au début du 17ième siècle en donnant un ton bien plus frais au genre, recherchant une profondeur poétique dans les petites choses de la vie. Moi c’est également dans mon style, alors je cautionne à fond le régime banane japonais.

C’est un personnage d’autant plus admirable qu’il a passé sa dernière décennie à sillonner le Japon en retranscrivant les récits de ses voyages dans des recueils poétiques exceptionnels. Il faut comprendre qu’à cette époque, ce genre d’initiative était particulièrement périlleuse car nombreux étaient les voyageurs qui perdaient la vie en route et d’ailleurs… ce fût finalement son cas à Bashô.

Même les japonais non-initiés au genre seraient bien en mal de comprendre le sens de Kuchi-taba-he alors l’expliquer à un public francophone, c’est un défi de l’impossible… comme je les aime !

En fait non, c’est histoire de dire car je préfère quand c’est simple à expliquer tant qu’à faire.

夏近し … Natsu Chikashi … L’été est proche

その口たばへ … Sono kuchi taba he … Dans cette bouche fermée

花の風 … Hana no kaze … Le vent des fleurs 

Alors que pensez-vous de cela, dites-moi ? Incompréhensible, n’est-ce pas ? Bon c’est partiiiii !

Il faut déjà prendre compte un facteur important : l’été au Japon. Il fait une chaleur de dingue, le taux d’humidité grimpe au plafond, tout est fait pour clouer sur place une pauvre française et lui faire bien regretter d’avoir quitté son pays natal. Concernant les japonais du 17ième siècle, probablement qu’ils avaient également des difficultés dans la fournaise estivale. Même à l’ombre d’un bon bananier, il fait une chaleur à crever en été au Japon, qu’on se le dise !

Concernant la végétation japonaise, un effet radical est garanti également. A l’été, fini les jolies fleurs du printemps ! Leurs pétales ont été emportés par le petit vent frais printanier et tout ce beau monde a fui dans un endroit bien éloigné du Japon… Il ne reste plus qu’un  soleil de plomb et une sensation permanente d’étouffement.

Le dieu du vent Fujin
Le dieu du vent Fujin

Kuchi-taba-he était une prière adressée au Dieu Fujin afin qu’il referme l’ouverture de son sac à vent et que l’on puisse ainsi conserver encore un peu plus longtemps la fraîcheur et le parfum fleuri du printemps.

Pour ma calligraphie aussi, j’ai tenté dans la grande bouche 口 fermée d’y faire rentrer les fleurs 花 (jusque là, c’était encore bon) mais quand au vent, pas moyen de lui faire entendre raison et les deux hiragana qui le constituent (Ka-ze かぜ)s’échappent irrémédiablement de kuchi 口…

Aaaaah ! Enfer et damnation !!!

… De l’été qui s’approche !

L’époque des femmes

Un beau jour, je lève le nez et je regarde ce qu’il y a de gravé sur cette pierre devant laquelle je passe tous les jours

Et je me rends compte soudainement que c’est la tombe de Murasaki Shikibu, la « star » de la littérature japonaise.

Pour ceux qui ne connaissent pas Murasaki Shikibu (honte à eux) : c’est la dame qui a écrit le dit du Genji.

Pour ceux qui ne connaissent pas le dit du Genji (honte à eux), c’est le premier roman psychologique japonais. Une sorte de version en japonais des feux de l’amour mais qui se déroulerait au 10ème siècle. Le héro, un beau prince charmant impérial, serait un peu comme Victor Newman mais sans la moustache. Quoiqu’il en soit, la principale occupation du prince Genji est de multiplier les conquêtes féminines.

Moi, c’est ma période préférée de l’histoire japonaise : l’époque Heian qui a été marquée par de très grandes femmes reconnues et respectées pour leur esprit et leur talent littéraire.

Par ailleurs, c’est aussi l’apogée des « kana », un style d’écriture que j’affectionne particulièrement ; on utilise un tout petit pinceau et on trace les caractères avec la pointe uniquement et avec le plus de légèreté possible.

Cette écriture est apparue vers le 8ième siècle ; c’est un style « cursif » où l’on écrit si rapidement les caractères que l’on ne trace pas distinctement tous les traits. En résultat, on obtient ce genre de forme qui ressemble de loin au caractère d’origine… De très loin.

Pour les japonais d’aujourd’hui, il est impossible de déchiffrer quoique ce soit dans la marmelade de caractères de la photo de droite. A l’époque d’Heian pourtant, tous les écrits avaient cette fière allure. Des formes tout en rondeur, tout en légèreté, rien que du raffinement. Il n’y a pas à dire : l‘écriture de l’époque Heian était très féminine dans la forme.

Et surtout : l’écriture de l’époque Heian était très féminine dans le fond également. On disait que Murasaki Shikibu était une femme particulièrement intelligente ; le jour, elle servait à la cour impériale et le soir, à la nuit tombée, elle retranscrivait toutes les intrigues dans son journal. C’est ainsi qu’est né le Dit du Genji, un véritable témoignage des moeurs de l’époque et un trésor littéraire pour l’humanité… 

Sur la pierre est gravé les caractères « Tombe de Murasaki Shikibu » et comme murasaki en japonais veut également dire violet, cette plante est une très belle touche !

Certaines personnes disent également que Murasaki Shikibu était plutôt laide et qu’elle avait donc eu tout le temps d’écrire ! Les multiples histoires d’amour du dit du Genji ne seraient nées que de son imagination ou des récits qu’elle obtenait des jolies filles de son entourage. 

Pendant deux ans, j’ai donc habité à deux pas de sa tombe sans le savoir. Il faut dire que c’est un tout petit cimetière qui ne paye pas de mine et qu’aucun effort n’est fait pour que les touristes ou les étrangers un peu distraits comme moi y prêtent attention… mais ce n’est pas plus mal après tout.

Que Dame Murasaki Shikibu repose en paix à Kyoto !