Un bon claquement de porte au nez

Il me semble que je vous ai déjà parlé de cette fabuleuse période du Japon médiéval, n’est-ce pas ? Cette période où le Japon connut un apogée dans la création poétique ainsi qu’une grande liberté en ce qui concerne les relations amoureuses.. et sexuelles !

Récemment, j’ai découvert qu’il y avait aussi des belles histoires basées sur des rapports de simple amitié entre les hommes et les femmes de l’époque. Enfin au moins j’ai trouvé UNE histoire d’échanges platoniques que je vais vous conter dans le post d’aujourd’hui.

Une courtisane japonaise version Heian Jidai
Une courtisane japonaise version Heian Jidai

Dans cette histoire, entre tout d’abord en scène une éminente personne : Dame Sei Shônagon (966?-1025?) une très grande écrivaine et très grande poétesse, auteure d’écrits classés aujourd’hui dans les chefs d’oeuvre de la littérature japonaise : le « Makura no Soshi » (枕草子) littéralement « Ecrits d’oreiller ». La traduction française de ce livre porte aussi le nom « Notes de chevet », un sens qui permet de comprendre facilement qu’il s’agit d’une sorte de journal intime. Il manque malheureusement le double sens japonais de « Makura », l’oreiller : au delà de l’objet physique, il désigne aussi une figure de style en poésie.

Tout cela pour vous dire : Dame Sei Shônagon était non seulement une femme de lettres très intelligente et très cultivée mais elle avait également beaucoup d’esprit.

Dans ses notes d’oreiller, elle raconte à deux reprises les échanges qu’elle a eu avec le grand calligraphe Fujiwara Yukinari (972-1027). De parole de ce blog (de calligraphie japonaise), Yukinari était un calligraphe exceptionnel et il est monté sur le podium dans le classement officiel des plus grands calligraphes de la période Heian.

Une copie d'un manuscrit de Fujiwara Yukinari, excécutée de la blanche main de votre hôte, l'auteure du blog.
Une copie d’un manuscrit de Fujiwara Yukinari, exécutée de la blanche main de votre hôte, l’auteure du blog.

Yukinari n’était pourtant pas un jeune homme très populaire à son époque, il avait la réputation d’être plutôt barbant. Ce n’était sûrement pas un adepte des divertissement « à la mode Heian » ; par exemple, on ne lui connait pas de prestigieux tableau de chasse amoureux.

La première idée qui m’a traversé l’esprit fût que Yukinari n’avait peut être pas été gâté par la nature et qu’à défaut de plaire aux filles, il s’était donc rabattu sur la calligraphie. Cette hypothèse est toutefois réfutée par les notes de Dame Shônagon : Yukinari n’était pas si mal fait de sa personne quand même. Et surtout, il été doté d’un très bel organe… c’est-à-dire une très belle voix, restez corrects s’il vous plait !

Venons-en plutôt au cœur de l’intrigue : un soir, alors qu’ils échangent poèmes et histoires littéraires dans la villa de Dame Shônagon, Yukinari prend congé brusquement, prétextant qu’il ne peut s’attarder plus. C’est un départ impromptu et plutôt inélégant pour cette grande époque de raffinement qu’est l’époque Heian.

Qu’à cela ne tienne, attendez la suite.

Le lendemain, une lettre arrive au domicile de Dame Shônagon, une lettre de plates excuses de Yukinari qui, de sa plus belle écriture, s’explique sur les raisons de son empressement de la veille. Il avait entendu le chant d’un coq et pensant que le jour était prêt à se lever, il était hâtivement rentré chez lui car un travail important l’attendait au palais impérial. Ce n’est qu’en sortant de la villa qu’il avait alors réalisé que c’était encore le milieu de la nuit.

Et oui ! On a vite oublié ce que c’était de vivre dans une époque sans montre à quartz mais cela pouvait générer de nombreux malentendus en tout genre.

Quoiqu’il en soit, à cette gentille lettre d’excuse se doit une réponse ; Dame Shônagon prend son pinceau et, à la hauteur de sa très grande réputation (non usurpée) de femme d’esprit, elle choisit d’ironiser l’histoire. « Un coq qui chante en plein milieu de la nuit ? De quel coq s’agissait-il donc ? N’auriez-vous pas plutôt recours au subterfuge du seigneur Mengchang devant la porte de Hangu ? (A la défense de Yukinari, je me permets de préciser que si votre voisin a soudain l’idée saugrenue de faire de son jardin un poulailler comme cela est arrivé à mes parents par exemple, vous l’entendrez bien ce fameux chant du coq, au moins cinq à six fois avant que le petit matin se lève vraiment).

Dans les grands classiques chinois, on relate l’histoire du seigneur Mengchang et de ses trois mille hommes qui se retrouvèrent devant la grande porte qui bloquait l’accès au col de Hangu. C’était un point stratégique dans l’ancienne Chine car il permettait d’entrer dans le pays de Qi où sourdait la rébellion. La porte était bien gardée et il y avait un couvre-feu, les gardes postés avaient pour ordre de fermer la porte le soir et de ne la rouvrir qu’au petit matin. Là, on était en plein milieu de la nuit, le seigneur Mengchang et ses hommes étaient poursuivis et ils ne pouvaient guère se permettre de perdre de précieuses heures à attendre l’aube ! Le seigneur eut alors l’idée d’utiliser le talent d’un de ses hommes à imiter le chant du coq ; c’est ainsi qu’il dupa les gardes et qu’il provoqua l’ouverture prématurée de la porte. Ils purent alors s’échapper et chercher refuge dans leur pays natal.

Voilà comment étaient construites les vannes de l’époque Heian ! Il me semble qu’elles étaient bien plus difficiles à placer que celles d’aujourd’hui, vous ne trouvez-pas ? Elles faisaient appel à la culture générale de l’individu et les meilleures étaient envoyées par ceux qui avaient une très bonne éducation et une grande sagacité (comme ce fut le cas de notre Dame Shônagon, entre autres). Enfin, il fallait être constamment sur ses gardes car si on plaçait une vanne à votre encontre, il fallait être prêt à renvoyer la balle aussitôt !!! Par exemple, si vous ne connaissiez pas l’histoire de ce seigneur chinois, comment auriez-vous été capable de trouver la bonne répartie ?

Pas d’inquiétudes en ce qui concerne Yukinari, lui aussi est un homme de lettres et la référence ne lui a pas échappée. Dans une nouvelle missive, il se permet d’objecter : l’imitation du chant du coq était destiné à ouvrir la porte à une armée rebelle en déroute… la comparaison ne peut pas tenir ! Yukinari est venu voir Dame Shônagon avec de bien différentes intentions et s’il avait été question de franchir une porte, cela aurait été… la porte d’Osaka.

Et voilà, joli retour de vanne !!!

La porte d’Osaka marque la frontière entre deux provinces du Japon et par un jeu subtile sur les caractères chinois, elle est devenue dans les classiques de poésie japonaise l’endroit où, le soir venu, se rencontrent les amoureux.

Dame Shônagon n’est pas en reste pour autant, détrompez-vous. Pour le final, elle claquera joliment la porte au nez de ce pauvre Yukinari :

 夜をこめて鳥の空音は 謀るとも / Yo o komete Tori no sorane wa Hakaru tomo

よに逢坂の関は許さじ / Yo ni Osaka no Seki wa yurusaji

Le chant du coq en pleine nuit pourrait en tromper plus d’un,

Mais s’il s’agit des gardes de la porte d’Osaka, ils ne seront jamais dupes !

C’est par ce waka que Dame Shônagon s’est retrouvée immortalisée dans l’anthologie des cents poètes Hyakunin-isshu. Il faut reconnaître qu’il témoigne parfaitement des traits de caractère de cette grande Dame pleine d’intelligence et de sagacité !

Les deux cartes du Haykunin-isshu relatives à Sei Shônagon
Les deux cartes du Haykunin-isshu relatives à Sei Shônagon

Un peu de correction si vous le voulez bien…

Dans une ancienne version de ce blog, nous vous avions déjà parlé du grand bananier, vous vous souvenez ? Et bien aujourd’hui on y revient encore.

J’arrête ici les petits nouveaux ou les lecteurs amnésiques : aucun rapport avec une boisson chocolatée en poudre (oui je sais, elle était facile celle là), il s’agit de Bashô (芭蕉 1644-1694), une sorte de Baudelaire nippon sans l’absinthe, l’opium ni les femmes. Car si l’avis de ce blog vous intéresse, les artistes japonais semblent avoir en règle générale une vie bien plus saine que leurs homologues occidentaux. En tout cas, nous retiendrons que l’inspiration principale de Bashô, ce sont les choses de la nature, les beaux paysages et le passage des saisons… le tout en état de parfaite sobriété, s’il vous plait.

Une des nombreuses statues de commémoration du passage de Bashô dans la région Tohoku (Ishinomaki)
Une des nombreuses statues de commémoration du passage de Bashô (devant) et son fidèle disciple Sora dans la région du Tohoku (Ishinomaki)

Bashô, c’était un homme qui a révolutionné la poésie japonaise et un vrai artiste engagé comme ce blog les aime !

Alors attention sur ce que nous entendons par « engagé ». En réalité, il est resté célibataire jusqu’à sa mort même si selon certains témoignages, il « aurait » entretenu pendant de nombreuses années une relation avec une femme qui « serait » devenue mère célibataire dans la période… Le mystère restera entier sur sa descendance ; officiellement, notre poète a entièrement dédié sa vie au célibat et à la bonne cause : la poésie. Il est tout de même le papa reconnu du haiku, une version très courte de poème japonais en trois vers de 5-5 et 7 syllabes. Ou 7-5-5. Ou 5-7-5 (contrairement au tiercé, dans le haiku l’ordre importe peu tant que vous avez la combinaison « deux cinq / un sept »).

Dans sa dernière décennie, alors qu’il s’était fait un petit nom dans le milieu et qu’il aurait pu en profiter pour se la couler douce, Bashô ne s’est pas reposé sur son bananier (ha ha ha elle est bien bonne n’est-ce pas ?), il s’est mis à parcourir le Japon de long en long (la forme de l’île principale) à la recherche perpétuelle d’inspiration pour ses poèmes… tout en tentant de recruter de nouveaux disciples.

Oui mais attention ! C’était une grande prise de risque… Le voyage au Japon du 17ie siècle était bien loin de la franche rigolade d’aujourd’hui dans les trains grande vitesse avec la clim et les sièges inclinables. A l’époque, c’était un véritable défi physique et beaucoup de personnes y ont laissé leur vie… ce fut le cas pour Bashô car la maladie l’a emporté lors de ce qui devait n’être qu’une escale de son (tout dernier) voyage.

Matsushima, classé un des plus beaux paysage du Japon. Bashô a été totalement subjugué par la beauté du lieu qu'il en a eu le ver coupé... Seul ce haiku très facile à retenir lui est sorti de la bouche : Matsushima ya Ah Ah Matsushima Matsushima ya
Matsushima, classé un des plus beaux paysage du Japon. Bashô a été totalement subjugué par la beauté du lieu qu’il en a eu le ver coupé… Seul ce haiku (très facile à retenir) lui est sorti de la bouche : Matsushima ya / Ah Ah Matsushima ya / Matsushima ya

Pour ce qui concerne ce post, nous allons parler d’un autre voyage qu’il a bien fini et dont il a fait le récit dans son très célèbre journal « Oku no hoso michi« . L’étroit chemin du fond. Depuis Edo (l’ancien nom de Tokyo), il est parti dans le grand nord du Japon, cette région rendue tristement célèbre par le tsunami de 2011 mais qui, bien avant ça, contenait un nombre important de sites magnifiques dont les charmes avaient été moult fois vantés par les grands poètes classiques.

Ensuite, il est redescendu vers le sud en longeant le bord de la mer du Japon jusqu’aux environs du lac Biwako. Au total, à peu près… 2400 km !!! Et oui, c’est pourquoi ce blog se permet des prises de position sur l’hygiène de vie des artistes japonais, figurez-vous.

Il existe plusieurs versions de « Oku no hoso michi » car Bashô ne s’acharnait pas seulement sur les kilomètres mais également sur ses écrits qu’il travaillait, retravaillait et re-retravaillait… pour mieux les re-travailler ensuite ! Dans la dernière version du journal, manuscrit réalisée de sa belle main avec son plus beau pinceau, six ans après son retour de voyage, sur les 32 pages, on en compte 24 qui sont retouchées avec des patch pas très discrets… Regardez :

Le manuscrit de Oku no Hoso Michi
Un passage du manuscrit de Oku no Hoso Michi
oknohosomichi2
Un autre passage du manuscrit de Oku no Hoso Michi

Un manuscrit qui a de la correction donc !!!

Ou qui était bourré d’erreurs diront les plus pessimistes de nos lecteurs.

On trouve plusieurs sortes de corrections. Pour commencer, celles qui viennent probablement de petites fautes d’attention en recopiant son brouillon. Dans ce cas, Bashô tentait tout d’abord de les effacer en utilisant un petit bout de bois pour gratter le papier, un peu comme le principe d’une gomme. Quand le seul grattage ne suffisait pas pour masquer l’erreur ou quand le papier s’était déchiré dans la manœuvre, il collait un petit morceau de papier sur lequel il ré-écrivait le ou les bons caractères.

Dans d’autres cas, ce sont carrément des passages entiers qui ont été l’objet d’un bon copier coller à l’ancienne. Pour finir, avec des analyses poussées de radiographie et en vérifiant notamment les fils et les trous d’aiguilles sur la reliure du manuscrit, on a également découvert que cela ne coïncidait pas toujours et que certaines pages avaient été déchirées alors que d’autres avaient été rajoutées après.

Vous allez donc monter au créneau pour protester car merci mais bon on n’apprend pas grand chose de révolutionnaire : vous aussi vous faisiez ça avec votre cahier d’école sous le regard désespéré de votre maîtresse (faut dire que le tipex d’autrefois, c’était du travail de cochon garanti).

Pour la défense de ce blog, je me suis dit qu’à notre époque numérique où l’on ne garde plus aucune trace de nos corrections, un petit rappel sur les fondamentaux du couper-copier-coller ne ferait jamais de mal. Ensuite, permettez-moi de conclure que le génie ça se travaille, il n’y a pas lieu de faire de complexes ou de tergiversions « ai-je suffisamment de talent ou non ? » mais bien de relever ses manches et de se mettre au boulot.

C’est peut être aussi un mythe qui tombe pour ceux d’entre vous qui pensaient que, de part le caractère indélébile de l’encre de Chine, les calligraphes avaient pour obligation d’écrire avec beaucoup de soin sans ne commettre aucune erreur sous peine de devoir tout recommencer depuis le début ! Mais si vous voulez l’avis de ce blog qui décidément aime trancher dans le vif : Bashô avait bien plus de déontologie poétique que calligraphique.

Ah comme c’est triste !

Ganshinke
顔真卿, un haut-fonctionnaire modèle

Ce blog qui aime toujours vous surprendre a l’intention de vous présenter dans ce post le fonctionnaire Ganshinke 顔真卿 (ou Yan Zhenqing) un fonctionnaire plus-loyal-on-ne-fait-pas-mieux de la dynastie Tang. Ce n’est pas au Japon, ce n’est pas une femme, ce n’est pas un poète et pourtant… c’est un modèle que l’on admire beaucoup ici.

Car Ganshinke (702-785) était un type vraiment très brillant, vous savez ! Dès son plus jeune âge, il a empilé tout un tas de diplômes et semblait promis à une belle carrière dans l’administration. C’était aussi un fonctionnaire sacrément bien droit dans ses bottes ! Si ce genre de personnage plaisait au petit peuple, dans les coulisses du pouvoir c’était bien différent. Dans l’empire chinois décadent et croulant sous la corruption, la rectitude et le franc-parler n’étaient pas considérés comme des qualités dignes d’un haut fonctionnaire. Elles lui voudront d’être nommé gouverneur d’une petite province très très éloignée de la cour impériale.

A peine une ou deux années passent dans cette petite province et se produit alors un événement important pour l’histoire de la Chine car il mènera à la chute de la dynastie Tang. En 755, le général An Lushan se révolte. Son grief ? Ce n’est pas qu’il ait quelque chose à reprocher directement à l’Empereur d’autant qu’il entretient de très bonnes relations avec la concubine de ce dernier dont il est devenu le fils adoptif ; c’est surtout que le général n’arrive pas à s’entendre avec le premier chancelier. En levant son armée, il cherche tout simplement à débarrasser l’empire de ce misérable individu corrompu. Et il prend vite l’avantage car, face à lui, il y a une armée impériale en pleine décadence qui a bien peine à défendre ses territoires. Par ailleurs, il est malin et traite tous les gouverneurs impériaux avec grand respect en leur assurant l’amnistie en cas de reddition.

Pour notre grand modèle de rectitude, un tel compromis serait bien sûr une véritable infamie ! Ganshinke organise la défense de sa propre province et s’allie à son cousin Gankoukei, lui-même gouverneur d’une autre province, pour attaquer les rebelles et les combattre… jusqu’à la mort s’il le faut ! Les deux Gan « 顔 » tiennent tête au général et deviennent l’emblème d’une loyauté sans faille à l’Empereur alors que cette qualité se fait si rare à l’époque. Ganshinke prend du galon, il est rappelé à la cour impériale et va jusqu’à obtenir le poste de Ministre de la Justice… puis le reperd aussitôt car son acharnement à dénoncer systématiquement la corruption de ses pairs en énerve bien plus d’un, notamment le fameux grand chancelier.

Il en est ainsi pour notre grand modèle, c’est comme une fatalité, il ne peut s’empêcher d’être incorruptible. S’agissait-il d’une caractéristique de son ADN ? Dans la grande famille Gan « 顔 » où l’on devient traditionnellement haut-fonctionnaire au service de l’Empereur, on fait preuve d’honnêteté et de droiture jusqu’au bout. Ainsi, quand le frère et le neveu de Ganshinke tombent aux mains du général rebelle, même sous la plus ignoble des séances de torture, ils ne céderont pas. Qu’on leur casse les os ou qu’on leur coupe la langue : la rébellion du général restera acte de traîtrise et rien d’autre ! Ils seront finalement exécutés.

triste
« Ah comme c’est triste »

Lorsque notre ex-ministre revenu au bas de l’échelle de la fonction publique apprend la mort de son oncle et de son neveu, il n’est que colère, indignation et tristesse ! C’est ainsi qu’il prend son pinceau et qu’il tente de rédiger une éloge funèbre digne des deux martyres. En terme de résultat, c’est une belle éloge gravée sur la stèle familiale mais aussi et surtout… le brouillon de cette oeuvre est devenu un très célèbre modèle de calligraphie permettant, entre autre, d’apprendre le style semi-cursif Gyosho. Et oui, c’est là où ce blog voulait en venir, il vous a bien eu, non ?

GanShinke_Stele
Un extrait un peu lourd de Kaisho

Chose amusante, Ganshinke est un calligraphe chinois très renommé mais la première fois que j’ai vu ses caractères, je n’ai vraiment pas aimé et j’ai pensé que c’était une belle tromperie ! Je trouve son style en script (non-cursif) Kaisho trop lourd et trop compact. Je me suis dit alors que c’est bien d’être dans la rectitude en permanence mais point trop n’en faut. C’est un peu trop rigide et… barbant comme peuvent être les gens qui n’arrêtent pas de faire tout le temps la morale à tout le monde ! Mais je reconnais que cela relève d’un problème de goût personnel aussi.

Gyosho
Un extrait du Gyosho de Ganshinke

En donnant un peu plus de vitesse à son pinceau pour écrire un simple brouillon sans vraiment s’appliquer, les caractères de Ganshinke se sont révélés de bien plus belle manière. Peut être est-ce aussi sous le coup de cette grande tristesse qu’ils se sont déliés ? En tout cas, avec un tracé moins travaillé, ses caractères gagnent en souplesse et en légèreté tout en gardant la composition quasi-parfaite du Kaisho. Pour ceux qui ne pratiquent pas, sachez que c’est quelque chose de très difficile à conserver quand on prend de la vitesse en écrivant et que c’est une preuve irréfutable que vous maîtrisez parfaitement le pinceau.

L’histoire de notre modèle de fonctionnaire se termine tragiquement… vous vous en seriez doutés, n’est-ce pas ? En 785, le grand chancelier (rancunier) envoie Ganshinke négocier une trêve avec le général. Autant dire que c’était l’équivalent d’une mise à mort ! Evidemment, Ganshinke n’a pas faillit à sa réputation : il a fait preuve de grande bravoure et n’a pas plié devant le général qui exigeait sa reddition. Evidemment, il a été fait prisonnier et a fini par être exécuté.

Sa mort a provoqué un grand émoi, auprès du peuple et auprès de l’Empereur également ; de grandes cérémonies ont été organisées pour son deuil.

Des petites fleurs que l'on offre à notre fonctionnaire incorruptible.
Des petites fleurs que l’on offre à notre fonctionnaire incorruptible.

Dans ce blog on l’on aime les petites fleurs mais pas les histoires qui finissent trop mal, on est convaincu aussi qu’à son arrivée, Ganshinke sera rentré au paradis des calligraphes par la grande porte et sans qu’on ne lui ai posé aucune question.

Il aura aussi reçu tous les honneurs à titre posthume dont celui de devenir un incontournable en calligraphie même à notre époque d’aujourd’hui.

Fin de l’histoire.

Le secret de la beauté japonaise est ici.

Alors attention !!! Ce blog est prêt à vous en mettre plein la vue avec le post d’aujourd’hui !!!

Des petites fleurs (rhododendron japonais) bien roses comme je les aime !
Des petites fleurs (rhododendron japonais) bien roses comme je les aime !

Mesdames, Mesdemoiselles, vous qui aimeriez tant avoir une peau de pêche, des beaux cheveux noirs et épais qui tiennent si bien la longueur et des yeux en profil d’amande pour faire tourner la tête des hommes ? Pas de problème, dans ce blog on trouve la solution à tous vos problèmes, pour le cas présent, je vous conseille d’aller faire un tour au sanctuaire 河合神社, le temple des Bi-jin (美  人) qui se situe juste à côté du Shimogamo-jinja.

Le temple des Bijin ou de son vrai nom 河合神社 (Kawaijinja)
Le temple des Bijin ou de son vrai nom 河合神社 (Kawaijinja)

Que veut donc dire Bi-jin (美  人) me demanderez-vous ? C’est une très bonne question que vous faites bien de poser et pas seulement car cela me permet de dérouler le fil du post.

Regardons tout ça d’un peu plus près. Dans 美 人, il y a en première place notre ami le kanji Bi  » 美 », qui désigne la beauté mais attention, pas dans le petit sens un peu étroit de mignon ou joli, c’est dans le très grand sens d’esthétique.

Nous avons ensuite l’ami kanji hito « 人 » qui signifie homme / être humain. Par un phénomène curieux que ce blog n’arrivera pas à vous expliquer, le terme de Bi-jin devrait ne faire aucune préférence pour un sexe en particulier et pourtant… il ne s’applique généralement qu’aux femmes. Ce serait un équivalent de « bombasse » en gros.

Et dans ce blog, nous irons même plus loin que ça ! Si on décompose notre ami le kanji Bi, on découvre qu’il est constitué de deux autres connaissances : sur le bloc du haut, vous trouverez l’ami hitsuji « 羊 » qui signifie mouton, et sur le bloc du bas l’ami dai « 大 »  qui signifie grand. Pour les chinois de l’époque, rien n’était plus beau qu’un bon gros mouton bien gras qu’on allait vendre une fortune au marché du coin. Depuis cette époque, les standards de l’esthétisme ont changé, effectivement. On notera que ça a l’avantage de donner un fort bon moyen mnémotechnique pour retenir la composition de notre ami Bi, n’est-ce pas ?

Et ce n’est pas tout ! Quand on l’écrit au pinceau, notre ami Bi est sacrément élégant, vous ne trouvez pas ? Quel est donc son secret de beauté ??? Ce sera un avis qui n’engagera que ce blog mais nous trouvons ici que cela vient de sa belle forme féminine et élancée. Par exemple, si vous joignez les extrémités des traits horizontaux, regardez moi donc un peu la belle courbe que vous obtenez. On en rêve toutes d’une belle taille comme ça !

Un portrait de notre ami le kanji "BI"
Un portrait de notre ami le kanji « BI »

D’aucuns disent que cette courbe n’est pas seulement un standard d’esthétisme pour nos amis les kanji, plus généralement, ce serait une forme particulièrement agréable pour l’œil humain… expliquant ainsi ce mystérieux engouement international pour le Mont Fuji. Vous ne voyez pas le rapport ?

Dans ce blog où l’on aime la littérature japonaise aussi, on est très heureux de vous renvoyer à la lecture d’un de nos auteurs japonais fétiche : Dazai Osamu. Dans sa nouvelle sur les cent vues du Mont Fuji, petite merveille littéraire, il expose particulièrement bien la situation tout en donnant de l’eau à notre moulin. Selon Dazai, s’il est impossible d’établir des raisons objectives pour autant d’enthousiasme autour d’une aussi petite montagne (3776 m), il faudrait sûrement y voir le résultat d’une vaste escroquerie publicitaire qui s’est construite tout au long de l’histoire du Japon autour du point culminant de l’archipel ! Pour ne citer que son exemple fort parlant : sur les estampes de Hiroshige, l’angle de notre montagne atteint 85°, un angle totalement improbable qui nous donnerait Mont Fuji en forme de tour Eiffel… Selon les mesures officielles, l’angle réel se situe entre 124°, tout au plus 127°.

Effectivement, c’est un angle peu réaliste mais agréable à regarder pour preuve ci-dessous. Nos lecteurs maintenant avertis établiront le parallèle avec le profil de notre ami le kanji Bi… non ?

La plutôt "belle à regarder" escroquerie de Hiroshige
La plutôt « belle à regarder » escroquerie de Hiroshige

Dans ce blog où l’on aime bien avoir de grands principes, on vous dira que le secret pour bien écrire nos amis kanji réside essentiellement dans la question de trouver le bon angle, celui qui donnera le profil le plus attractif pour l’œil humain. Et le tour sera joué !

Pour en revenir à nos gros moutons et nos lectrices qui trépignent d’impatience depuis une bonne trentaine de ligne, la démarche à suivre pour devenir une Bijin :

Attention, prétendantes au titre de Bijin, avant tout, suivez scrupuleusement les instructions !
Attention, prétendantes au titre de Bijin, avant tout, suivez scrupuleusement les instructions !
  1. Se procurer la petite pièce en bois en forme de visage. Vous remarquerez qu’au dos de la pièce, vous trouvez les inscriptions « 美人になれますように » que l’on traduirait par « Pour que je puisse devenir une Bijin ». Dans ce blog, on se la pète beaucoup mais parfois on assure pas du tout, c’est vrai : on a complètement oublié de s’enquérir du prix, pardon pardon !!! Soyez rassurée tout de même, ce sera probablement moins cher qu’une liposuccion et toujours bien moins dangereux que des implants mammaires.
  2. Avec son nécessaire de maquillage (ou un simple crayon), personnalisez le visage de manière à ce qu’il vous ressemble dans les grands traits.
  3. Posez-le avec les autres et laissez faire les pros.

Les pros, ce sont les tenanciers de l’endroit qui adresseront de votre part une petite prière au grand kami-sama de la Bijin. Il ne vous reste plus qu’à attendre et sûrement que dans un avenir relativement proche, les hommes tomberont comme des mouches.

J’ajouterai en guise de conclusion qu’à défaut d’être une expérience avec des vraies chance de réussite, ce sera un beau geste pour le commerce local de Kyoto, merci !