Archives pour la catégorie Gyosho

Ah comme c’est triste !

Ganshinke
顔真卿, un haut-fonctionnaire modèle

Ce blog qui aime toujours vous surprendre a l’intention de vous présenter dans ce post le fonctionnaire Ganshinke 顔真卿 (ou Yan Zhenqing) un fonctionnaire plus-loyal-on-ne-fait-pas-mieux de la dynastie Tang. Ce n’est pas au Japon, ce n’est pas une femme, ce n’est pas un poète et pourtant… c’est un modèle que l’on admire beaucoup ici.

Car Ganshinke (702-785) était un type vraiment très brillant, vous savez ! Dès son plus jeune âge, il a empilé tout un tas de diplômes et semblait promis à une belle carrière dans l’administration. C’était aussi un fonctionnaire sacrément bien droit dans ses bottes ! Si ce genre de personnage plaisait au petit peuple, dans les coulisses du pouvoir c’était bien différent. Dans l’empire chinois décadent et croulant sous la corruption, la rectitude et le franc-parler n’étaient pas considérés comme des qualités dignes d’un haut fonctionnaire. Elles lui voudront d’être nommé gouverneur d’une petite province très très éloignée de la cour impériale.

A peine une ou deux années passent dans cette petite province et se produit alors un événement important pour l’histoire de la Chine car il mènera à la chute de la dynastie Tang. En 755, le général An Lushan se révolte. Son grief ? Ce n’est pas qu’il ait quelque chose à reprocher directement à l’Empereur d’autant qu’il entretient de très bonnes relations avec la concubine de ce dernier dont il est devenu le fils adoptif ; c’est surtout que le général n’arrive pas à s’entendre avec le premier chancelier. En levant son armée, il cherche tout simplement à débarrasser l’empire de ce misérable individu corrompu. Et il prend vite l’avantage car, face à lui, il y a une armée impériale en pleine décadence qui a bien peine à défendre ses territoires. Par ailleurs, il est malin et traite tous les gouverneurs impériaux avec grand respect en leur assurant l’amnistie en cas de reddition.

Pour notre grand modèle de rectitude, un tel compromis serait bien sûr une véritable infamie ! Ganshinke organise la défense de sa propre province et s’allie à son cousin Gankoukei, lui-même gouverneur d’une autre province, pour attaquer les rebelles et les combattre… jusqu’à la mort s’il le faut ! Les deux Gan « 顔 » tiennent tête au général et deviennent l’emblème d’une loyauté sans faille à l’Empereur alors que cette qualité se fait si rare à l’époque. Ganshinke prend du galon, il est rappelé à la cour impériale et va jusqu’à obtenir le poste de Ministre de la Justice… puis le reperd aussitôt car son acharnement à dénoncer systématiquement la corruption de ses pairs en énerve bien plus d’un, notamment le fameux grand chancelier.

Il en est ainsi pour notre grand modèle, c’est comme une fatalité, il ne peut s’empêcher d’être incorruptible. S’agissait-il d’une caractéristique de son ADN ? Dans la grande famille Gan « 顔 » où l’on devient traditionnellement haut-fonctionnaire au service de l’Empereur, on fait preuve d’honnêteté et de droiture jusqu’au bout. Ainsi, quand le frère et le neveu de Ganshinke tombent aux mains du général rebelle, même sous la plus ignoble des séances de torture, ils ne céderont pas. Qu’on leur casse les os ou qu’on leur coupe la langue : la rébellion du général restera acte de traîtrise et rien d’autre ! Ils seront finalement exécutés.

triste
« Ah comme c’est triste »

Lorsque notre ex-ministre revenu au bas de l’échelle de la fonction publique apprend la mort de son oncle et de son neveu, il n’est que colère, indignation et tristesse ! C’est ainsi qu’il prend son pinceau et qu’il tente de rédiger une éloge funèbre digne des deux martyres. En terme de résultat, c’est une belle éloge gravée sur la stèle familiale mais aussi et surtout… le brouillon de cette oeuvre est devenu un très célèbre modèle de calligraphie permettant, entre autre, d’apprendre le style semi-cursif Gyosho. Et oui, c’est là où ce blog voulait en venir, il vous a bien eu, non ?

GanShinke_Stele
Un extrait un peu lourd de Kaisho

Chose amusante, Ganshinke est un calligraphe chinois très renommé mais la première fois que j’ai vu ses caractères, je n’ai vraiment pas aimé et j’ai pensé que c’était une belle tromperie ! Je trouve son style en script (non-cursif) Kaisho trop lourd et trop compact. Je me suis dit alors que c’est bien d’être dans la rectitude en permanence mais point trop n’en faut. C’est un peu trop rigide et… barbant comme peuvent être les gens qui n’arrêtent pas de faire tout le temps la morale à tout le monde ! Mais je reconnais que cela relève d’un problème de goût personnel aussi.

Gyosho
Un extrait du Gyosho de Ganshinke

En donnant un peu plus de vitesse à son pinceau pour écrire un simple brouillon sans vraiment s’appliquer, les caractères de Ganshinke se sont révélés de bien plus belle manière. Peut être est-ce aussi sous le coup de cette grande tristesse qu’ils se sont déliés ? En tout cas, avec un tracé moins travaillé, ses caractères gagnent en souplesse et en légèreté tout en gardant la composition quasi-parfaite du Kaisho. Pour ceux qui ne pratiquent pas, sachez que c’est quelque chose de très difficile à conserver quand on prend de la vitesse en écrivant et que c’est une preuve irréfutable que vous maîtrisez parfaitement le pinceau.

L’histoire de notre modèle de fonctionnaire se termine tragiquement… vous vous en seriez doutés, n’est-ce pas ? En 785, le grand chancelier (rancunier) envoie Ganshinke négocier une trêve avec le général. Autant dire que c’était l’équivalent d’une mise à mort ! Evidemment, Ganshinke n’a pas faillit à sa réputation : il a fait preuve de grande bravoure et n’a pas plié devant le général qui exigeait sa reddition. Evidemment, il a été fait prisonnier et a fini par être exécuté.

Sa mort a provoqué un grand émoi, auprès du peuple et auprès de l’Empereur également ; de grandes cérémonies ont été organisées pour son deuil.

Des petites fleurs que l'on offre à notre fonctionnaire incorruptible.
Des petites fleurs que l’on offre à notre fonctionnaire incorruptible.

Dans ce blog on l’on aime les petites fleurs mais pas les histoires qui finissent trop mal, on est convaincu aussi qu’à son arrivée, Ganshinke sera rentré au paradis des calligraphes par la grande porte et sans qu’on ne lui ai posé aucune question.

Il aura aussi reçu tous les honneurs à titre posthume dont celui de devenir un incontournable en calligraphie même à notre époque d’aujourd’hui.

Fin de l’histoire.