De pinceau et d’autre…

Aujourd’hui, dans ce blog qui aime les défis de l’extrême, nous avons décidé de revenir à nos moutons et de vous parler à nouveau de pinceau et de calligraphie tout en gardant autant de lecteurs au début qu’à la fin du post… defi qui ne sera donc pas une mince affaire effectivement.

C’est partiiii !

Dans la chèvre, tout est bon pour faire un bon pinceau !
Comme pour le cochon en charcuterie, dans le poil de chèvre, tout est bon pour faire un pinceau !

En calligraphie, des pinceaux, il y a en a de toutes sortes !!! Déjà parce qu’il y en a de tous diamètres avec des pointes de toutes épaisseurs selon la taille des caractères que vous voulez tracer. Il y en a aussi de toutes longueurs de manche selon votre préférence pour la tenue du pinceau.

Pour les poils du pinceau, vous pouvez aller les chercher sur pleins d’animaux différents, principalement sur les chèvres, les chevaux et les belettes. Les plus pragmatiques de nos lecteurs auront vite réalisé qu’il n’y a pas « naturellement » de chèvres au Japon (ce qui est un gros problème pour les amateurs de bons fromages, ce blog peut malheureusement en témoigner). Mais rappelons que la calligraphie et les pinceaux viennent à l’origine de Chine et c’est là où on va chercher les poils de chèvre s’il y en a besoin.

Attention, il est également dit qu’au Japon, on fabrique des pinceaux avec les cheveux des nouveaux nés mais dans ce blog où l’on ne cherchera pas à vous entourlouper rassurez-vous, sachez que c’est pour le folklore ! Comme le coup de conserver le bout desséché de son cordon ombilical… vous êtes au courant de cette tradition japonaise ? Parait-il que si vous le faites infuser dans l’eau chaude, le breuvage ainsi obtenu deviendrait un puissant remède contre les maladies graves. Et puis aussi, la petite marmotte met le chocolat dans le papier d’aluminium.

Et non vous ne rêvez pas, un pinceau 100% cheveux de bébé !
Et non vous ne rêvez pas, un pinceau 100% cheveux de bébé !

Vous l’aurez compris : un pinceau avec ses premiers cheveux, c’est un souvenir qu’on garde précieusement jusqu’à sa mort et qu’on évitera de tâcher avec de l’encre ou d’abîmer en l’utilisant pour écrire (tant qu’à faire).

Donc nous en étions où ? Ah oui ! Selon l’animal que vous aurez dé-poilé, vous obtiendrez un pinceau plutôt souple (dans le cas de la belette) ou plutôt dur (dans le cas du cheval). En fait, il y a beaucoup de variations possibles (mais seulement 50 nuances de gris) donc vous pourrez aussi trouver des mélanges avec du poil souple à l’intérieur et du poil dur à l’extérieur.

Il y a d’autres paramètres importants qui varient avec l’animal, comme la viscosité du poil (utile pour bien retenir l’encre à l’intérieur de la pointe du pinceau) ou alors l’élasticité.

Si vous êtes toujours en train de surfer sur ce blog... vous êtes dingue !
Si vous êtes toujours en train de lire cet article, c’est que vous êtes dingue, je ne vois que cette explication !

Pourquoi l’élasticité est-elle un paramètre important ? Alors, attention, on entre dans le vif du sujet, préparez-vous, ça traite en réalité des lois de la mécanique élémentaire !

Je ne sais pas pour vous mais dans ce blog, là tout de suite, on se demande si on prend la bonne direction pour relever le défi qu’on s’est lancé de ne pas barber les gens. Bon tant pis, on assume.

Quand vous appuyez légèrement la pointe de votre pinceau contre le papier (sans appuyer comme une brute merci), il y a un retour sous la forme d’une force de réaction (en sens opposé à votre force d’action) qui vient du support où vous avez posé votre feuille. C’est à dire que malgré la pression exercée, le pinceau ne s’écrase totalement et conserve à peu près sa forme d’origine. Vous pouvez sentir comme une résistance qui vient de sa pointe, comme un effet ressort en quelque sorte.

Si votre pinceau est en poils durs et avec peu d’élasticité, la pointe du pinceau ne se déforme pas beaucoup quelque soit la pression, un bonheur pour les débutants qui ont la main lourde !!! Ils pourront facilement écrire sans que le pinceau s’ouvre ou que la pointe parte en vrille. En revanche, pour les styles un peu cursifs, on aura un mal fou à faire suivre des courbes à un pinceau qui ne se déforme pas facilement. Un pinceau un peu plus souple sera bien mieux adapté dans ce type d’écriture-là. Ce serait un peu comme pour le ski : le profil de la paire de ski adéquate est différent dans le cas d’une épreuve de descente ou de slalom.

Ouh la la, j'aimerais pas être à sa place !
Ouh la la, j’aimerais pas être à sa place !

Car ce n’est pas que ce blog aime faire dans le parallèle démagogique mais parce que si en fait, on vous le dit : la calligraphie, c’est comme faire du ski et c’est tout aussi fun (voire même bien plus fun) !!!

Que ça vienne d’une paire de ski ou d’un pinceau, c’est une affaire de sensations avant tout. Avec les sensations qui vous viennent des skis qui sont en contact avec la piste, vous sentez que la neige est dure, que vous êtes entré dans la poudreuse, le profil de la pente etc. et vous adaptez votre vitesse ou votre technique en conséquence.

Pour la calligraphie, c’est la même chose : la neige c’est l’encre, la piste le papier et vous avez votre pinceau en guise de paire de ski. Et je dis ça sérieusement en plus, c’est ça le pire !

Comme pour le ski, il est important d’avoir du bon matériel, certes mais, une bonne technique de glisse vous permettra de palier à toute faiblesse. Tâchez de toujours bien garder le contact avec la piste afin d’afin d’assurer au mieux la descente. Tout moniteur de ski vous le dira : ne mettez pas de tension inutile  !!! Quand vous êtes sur votre paire de ski, les genoux sont bien détendus et en légère flexion. En calligraphie, faites en sorte que le ressort de votre pinceau ne soit jamais ni trop tendu ni trop relâché, c’est comme ça que vous écrirez de jolis caractères.

La où ce blog pêche un peu, c’est pour le planter de bâton car à notre connaissance, il n’y a pas de technique équivalente en calligraphie. En revanche, le verre de vin chaud peut également s’appliquer et d’autant plus si vous optez pour l’alcool de riz plutôt. Après ça, le pinceau a tendance à bien mieux tourner mais attention, c’est surtout dans la tête alors évitez de trop abuser de cette solution qui n’en est pas une.

Je constate avec joie que vous êtes arrivés jusqu’à ces dernières lignes cher lecteur !!! Le défi est relevé, impossible ne correspond pas à la nationalité de ce blog, qu’on se le dise !

Sauf que la tenue du pinceau n'est pas terrible si je puis me permettre Monsieur Bonaparte.
Sauf que la tenue de votre pinceau n’est pas terrible si je puis me permettre Monsieur Bonaparte.

Le vrai visage de Izumi Shikibu

Dans ce blog où l’on aime se faire plaisir, aujourd’hui, nous allons non seulement retourner à la fabuleuse période Heian (je vous ai déjà parlé de cette époque dans l’histoire du Japon, n’est-ce pas ?) et pour évoquer encore une fois une poétesse mais attention pas n’importe laquelle !!! La plus belle, la plus grande d’esprit, la plus passionnée et la plus rebelle de toutes les poétesses de son époque : j’ai nommé… (sous vos tonnerres d’applaudissement svp) :

Le visage de Izumi Shikibu ???
Le vrai visage de Izumi Shikibu ???

 IZUMI SHIKIBU  !

Pour ceux qui ne la connaissent pas, je fais les présentations. Elle serait née vers l’an 970, d’une famille de noble sans grande prétention et pourtant quel personnage exceptionnel est-elle devenue ! Mariée très tôt à un homme devenu gouverneur de la province d’Izumi (et oui, c’est là d’où vient son nom), elle donne naissance à une fille mais peu de temps après, elle quitte son mari pour retourner vivre à Kyoto, la grande capitale… où l’on s’amuse probablement bien mieux que dans la province d’Izumi !

C’est parti la grande vie et les heures de gloire : et voilà que je me fais courtisée à droite à gauche et que je te compose des poèmes d’amour passionnés et que je t’écris un journal intime qui devient un classique dans son genre… Des amants, la belle et scandaleuse Shikibu en aurait eu des tonnes !!! J’ai bien dit « aurait eu » (au conditionnel passé).

En réalité, il n’y en aurait pas tant que ça si l’on s’en tient à la liste des amants répertoriés officiellement. Heureusement, il reste une alternative un peu plus croustillante dans le constat suivant : un nombre important de ses poèmes d’amour ne sont pas adressés aux amants officiellement répertoriés… Ha ha ! Il y en aurait eu d’autres donc !!!

Pour revenir dans la version officielle, à défaut de quantité, elle aura fait au moins dans la qualité. Le premier amant est un des fils de l’empereur Reizei : un prince, la classe !!! Malheureusement le prince meurt dans la fleur de l’âge d’une étrange maladie… que les mauvaises langues auront vite fait d’attribuer à ses nombreuses escapades nocturnes pour aller retrouver la belle Shikibu.

Après une longue année de deuil et de très très beaux poèmes très très tristes, la belle se remet et la suite arrive !!! En la personne du petit frère du défunt. Je vous avais dit qu’on ne fait pas grand cas des liens familiaux à cette époque, n’est-ce pas ? Le journal intime de la belle fait le récit de cette nouvelle relation enflammée. Ainsi on apprend que le second prince est d’un naturel excessivement jaloux d’autant que les rumeurs vont bon train et prétendent que chaque jour, de nouveaux courtisans se bousculent à la porte de notre belle Shikibu.

Ha ha !!! Vous voyez…

En fait, la belle dément formellement : ce ne sont que des rumeurs de gens mal intentionnés, elle est amoureuse de son prince et d’une fidélité exemplaire.

On est un peu déçu mais bon d’accord, si elle le dit.

Comme preuve de son amour, elle accepte de s’installer chez son prince… alors que celui-ci était déjà marié mais je vous avais déjà dit qu’on ne fait pas grand cas des liens conjugaux à cette époque, n’est-ce pas ? Pour Izumi Shikibu, c’était un sacrifice tant pour l’indépendance et la liberté qu’elle perdait, que pour le nouveau statut qu’elle acquiert… une simple servante.

Izumi Shikibu et sa fille
Izumi Shikibu et sa fille

Vous imaginez que l’épouse légitime a tout de même avalé cette nouvelle de travers. Mais ses protestations n’ont eu aucun effet et elle a fini par quitter le domicile conjugal pour retourner vivre chez ses parents… en laissant la place nette pour notre belle Shikibu ??? Dans ce blog où l’on aime les spéculations à deux francs six sous, on imagine que le départ de la femme légitime n’a pas été si simple et sûrement que ça s’est fait à grands bruits et grands fracas, avec une grande partie de l’argenterie sacrifiée dans la bagarre.

Dans les faits… on n’en sait rien, c’est vrai.

Pour terminer l’histoire, nos deux tourtereaux vécurent donc heureux sous le même toit… mais pas très longtemps ! Le prince est mort plutôt jeune et de maladie lui aussi ; on était apparemment pas de constitution très solide dans la famille impériale Reizei. Dans ce blog où l’on aime bien faire la morale, on vous dira que c’est aussi ce qu’on mérite à force d’épouser ses sœurs ou ses cousines.

Finalement, la belle Shikibu s’est remariée et a quitté la capitale pour s’installer dans une province au bord de la mer du Japon. Que s’est-il passé ensuite ??? Les versions divergent. Aucune trace écrite ne subsiste après le triste poème qu’elle a composé pour l’enterrement de sa fille (snif). Certaines histoires disent qu’à la mort de son époux, la belle s’est faite nonne. Il n’y aurait rien d’étonnant à cela ; c’était dans les usages des veuves de l’époque et notre belle Shikibu était assez portée sur le bouddhisme, comme elle le confiait régulièrement dans son journal intime.

Dans ce blog où l’on aime bien se balader dans Kyoto l’après-midi quand il fait soleil, on a été d’autant plus heureux de découvrir ainsi par hasard un petit temple et un monument à la mémoire de Izumi Shikibu coincés entre un marchand de glace et une boutique de fringue de la galerie Teramachi.

Devant un monument dédié à Izumi Shikibu et derrière un bowling (Kyoto, SanJo-Teramachi)
Devant un monument dédié à Izumi Shikibu et derrière le bowling de Kyoto – SanJo

Dans ce temple, il y a tout un tas d’indication et puis ça aussi :

Une image de Izumi Shikibu (pas sous son meilleur angle)
Une image de Izumi Shikibu (pas sous son meilleur angle)

 Bon, c’est vrai qu’on fait mieux comme coupe de cheveux mais c’était donc ça les canons de beauté de l’époque ???

Enfin on a été heureux de découvrir que le temple s’appelle 誠 (sincérité) 心 (coeur, âme). Car si ce blog se devait en guise de conclusion d’expliquer le pourquoi du comment il tient en si haute estime la grande Izumi Shikibu, c’est bien parce que dans ces poèmes et dans ses écrits, elle donne cette image là :

  • => Latin sincerus « pur, naturel ». Qui est disposé à reconnaître la vérité et à faire connaître ce qu’il pense et sent réellement sans consentir à se tromper soi-même ni à tromper les autres.

Et dans notre anthologie des cents poètes (Hyaku-nin Isshu), voici celui qui immortalise la belle Shikibu :

Je sens mon dernier souffle venir mais j’aurais tant aimé emporter dans l’autre monde…
le souvenir de t’avoir revu une toute dernière fois avant de partir.

Une pièce de Nô où le fantôme d'Izumi Shikibu revient dans le monde des vivants.
Illustration d’une pièce de Nô où le fantôme d’Izumi Shikibu revient dans le monde des vivants.

あらざらむ … Arazaramu

この世の外の … Kono yo no soto no

思ひ出に … Omoide ni

今ひとたびの … Ima hitotabi no

逢ふこともがな … Au koto mo gana

Les roseaux de Dame Ise

Les fleurs du jardin botanique de Kyoto
Quelques fleurs du jardin botanique de Kyoto

Dans ce blog qui a tendance par moment à se répéter beaucoup, il me semble que je vous ai déjà parlé de l’époque Heian, n’est-ce pas ? Moi dans cette époque, ma poétesse préférée, c’est la grande Izumi Shikibu ! Je l’adooore grave mais je ne fais pas vraiment dans l’originalité en fait. Pour ceux qui connaissent un peu, Izumi Shikibu est une poétesse très célèbre et était très populaire à son époque, réputée pour sa grande beauté et son grand sens poétique… et sa vie amoureuse scandaleuse ! Elle a eu beaucoup d’amants (a priori) mais ce n’était pas pour autant une femme légère : quand elle était engagée dans une relation amoureuse, elle l’était pleinement et entièrement !!! Et elle écrivait de très beaux poèmes d’amour passionnés. Et, à la fin de sa vie, elle s’est retirée dans un monastère après la mort de son deuxième mari.

Mais passons car pour le post d’aujourd’hui, nous parlerons d’une autre grande poétesse, la dame Ise (873-938)… qui n’aurait pas grand-chose à envier à notre dame Shikibu si on y réfléchit et d’ailleurs voilà puisque c’est comme ça hop : je la mets en deuxième sur ma liste de mes poétesses préférées !

Dame Ise était une courtisane, au service de l’impératrice Yoshiko, une très belle plante parait-il ! Son talent poétique était également reconnu alors qu’elle excellait dans les exercices-compétitions de poésie de la cour impériale dès le plus jeune âge. Elle a eu elle aussi une vie amoureuse des plus remplies !!! Cela commence par un premier grand amour de jeunesse avec le beau Fujiwara Nakahira, petit frère de l’impératrice et… goujat à ses heures perdues ! Après lui avoir juré amour éternel, il la quitte pour épouser une autre femme d’un rang plus élevé. Le cœur brisé, notre dame Ise retourne chez sa mère (ou du moins dans la province Yamato que gouvernait son père) et ne revient que quelques années plus tard à la cour impériale mais c’est pour retourner directement sous le feu des projecteurs… c’est à dire encore et toujours convoitée par de nombreux courtisans soupirant ! Et parmi eux on y trouve le grand frère de Nakahira !?! Et oui, pas de tabou de ce genre à la cour impériale, en amour à l’époque Heian, on ne fait pas grand cas d’éventuels liens familiaux. On ne sait pas précisément ce qu’il est advenu de cette relation mais comme avec le petit frère, elle a fini par tourner court. Ce ne fut pas au désavantage de notre Dame Ise en réalité ! Figurez-vous qu’à la suite de cette nouvelle déconvenue, elle devient la maîtresse de l’empereur Uda et… donne naissance à un petit garçon. Un vrai moment de gloire dans cette société et à cette époque là !!!

Quelques autres fleurs du jardin botanique de Kyoto
Quelques autres fleurs du jardin botanique de Kyoto

Quelques années plus tard, l’empereur Uda se retire et laisse la place à son fils… celui issu de l’union avec l’impératrice Yoshiko. Dommage pour notre dame Ise me direz-vous ? En réalité pas vraiment car le nouvel empereur prend les mêmes largesses que son père et fait d’elle sa maîtresse. Elle donnera encore naissance à un enfant mais cette fois à une petite fille !

Les enfants de Dame Ise étaient donc non seulement frère et sœur mais également oncle et nièce ! De quoi faire pâlir de jalousie les scénaristes des feux de l’Amour, vous ne trouvez pas ?

Dans ce blog ou l’on aime bien les histoires légères et croustillantes à tendance people certes, il nous faut aussi reconnaître que la vie n’a pas été si tendre pour Dame Ise. Déjà, quand vous étiez noble et que vous mettiez un enfant au monde, c’était pour le confier à d’autres personnes qui se chargeaient de l’élever et de faire son éducation… bien loin de vous. Ensuite, son petit garçon est mort à l’âge de cinq ans, chose malheureusement très commune à l’époque également. Pour noircir le tableau, ce n’était pas non plus très facile de vieillir à ce moment de l’histoire du Japon et à la fin de sa vie, la pauvre Dame Ise qui ne pouvait plus compter sur ses charmes a eu de grosses difficultés matérielles et s’est retrouvée sans maison !

Mais dans ce blog résolument optimiste, on est content de vous dire que l’on a raison de continuer à y croire. Cela s’est plutôt bien arrangé et la grande Dame Ise est passée à la postérité de la meilleure manière qui soit avec tapis rouge et flashs des photojournalistes qui crépitent ! 23 de ses poèmes ont été sélectionnés pour apparaître dans le très célèbre Kokinshu, recueil de poèmes japonais qui fait référence en la matière ; 72 dans le Gosenshū (une autre anthologie impériale de poésie japonaise) et 25 dans le Shūishū (encore une autre anthologie impériale de poèmes). Il existe également une collection privée « Ise-shū » rassemblant tous ses poèmes… Elle devint ainsi une  vraie référence pour toutes les générations de poétesses qui ont suivi… dont celle de mon héroïne Izumi Shikibu.  

Dans le Hyakunin-ishu, on trouve un très beau poème qu’elle a écrit pour son premier goujat d’amant… Regardez et surtout rappelez vous qu’elle ne devait avoir guère plus de 16 ans quand elle l’a composé :

Et vous dites que je devrais finir ma vie sans plus jamais vous revoir, ne serait-ce que l’espace d’un instant, fût-il aussi bref que les ramifications du roseau de la baie de Namba.

難波潟 … Nambakata

みじかき蘆の… Mijikaki ashi no

ふしのまも … Fushi no ma

逢はでこの世を … Awade kono yo wo

すぐしてよとや … Sugoshite to ya

Alors, pas mal non ?

Quelques notes de traduction :
Le roseau en question
Le roseau en question
 
1-   La baie de Namba est l’actuelle baie d’Osaka.
2 – Le poème s’articule autour de l’expression « Fushi no ma » qui signifie soit l’espace joignant les sections ramifiées de la tige « type bambou » (cet espace est réputé pour être particulièrement court sur ce type de roseau), soit il s’agit d’un terme général pour désigner un très petit intervalle que ce soit d’espace ou bien de temps. Il s’agit d’une très belle structure poétique et d’un très beau jeu d’esprit difficile à rendre en français. Zannen !
 

Parlons d’amour !

Saviez-vous qu’hier, le 8 mai 2014, était un jour un peu particulier : le 100ie anniversaire de la naissance de Romain Gary. Oui, il n’y a aucun rapport avec la calligraphie ou le Japon mais dans ce blog, on se fera toujours un point d’honneur à rendre hommage aux grands écrivains même si c’est hors contexte.

Fermons la parenthèse et retournons à nos moutons (même si ce n’est pas une espèce répertoriée au Japon) et à nos belles histoires sur la grande et fabuleuse époque du Japon médiéval, l’époque Heian ! Je vous ai déjà parlé de cette époque, n’est-ce pas ? Cette semaine, chers lecteurs, nous allons traiter d’un sujet qui tient très à cœur de ce blog qui aime les petites fleurs et les oiseaux qui gazouillent : les poèmes d’amouuur ! Et attention pas n’importe quel poèmes d’amouuur car à cette époque là, c’était un sport national pratiqué par une grande partie de la noblesse qui n’avait pas de télé ni d’internet, c’était donc du haut niveau. Du très haut niveau.

Car pour obtenir les faveurs d’une femme, il était d’usage de commencer par lui composer un petit poème qu’on lui faisait parvenir par l’intermédiaire d’un fidèle valet en qui l’on avait toute confiance (et que l’on espérait d’un naturel peu bavard surtout). La dame convoitée, après avoir lu le poème, se devait d’y répondre en composant un autre poème qu’elle remettait au même valet qui pendant ce temps-là attendait bien sagement à l’entrée. La première réponse de la dame était toujours négative. « Mais pour quelle genre de femme me prenez vous ??? ». Et puis si l’homme s’acharnait un peu, après quelques poèmes, on en arrivait à des réponses un peu plus ouvertes. « C’est vrai, vous me trouvez jolie ??? ». On s’échangeait ainsi des billets doux par valets intermédiaires jusqu’à ce que la relation arrive au point où une rencontre soit envisageable. A ce moment-là, c’était habituellement l’homme qui se déplaçait, arrivait discrètement le soir à la nuit tombante dans la demeure de la dame et repartait juste avant l’aube… car ne nous leurrons pas : il y avait tromperie la plupart du temps (d’un côté comme de l’autre, on était souvent déjà marié).

Voilà pourquoi, il était absolument primordial à l’époque d’avoir de l’éducation pour espérer avoir une vie sexuelle épanouie ! Tout était extrêmement codifié, il fallait maîtriser parfaitement les standards de l’expression poétique de l’époque pour arriver à ses fins. Une super méthode pour pousser les jeunes à étudier en tout cas !!!

Dans notre anthologie de poésie hyakunin-ishu (cent poètes – un poème), sur les poèmes d’amouuur composés par des hommes, on y retrouve un style d’expression très commun. Quand il s’agit de déclarer sa flamme, l’homme utilise de préférence des mots et des images violentes permettant de démontrer l’intensité de son amour. Un exemple donné par l’Empereur Yozei :

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Mon amour pour toi est devenu aussi profond que le gouffre de la rivière Minano, où se sont déversés les flots descendants de la cime du Mont Tsukabe.

筑波ねの… Tsukubane no

峰より落つる… Mine yori otsuru

みなの川…Mina no kawa

恋ぞつもりて…Koi zo tsumorite

淵となりぬる…Fuchitonarikeru

Si dans ce blog, on se mettait à faire de la psychanalyse de comptoir, on irait presque jusqu’à dire que c’est un peu à l’image du coït masculin tout ça.

En tout cas, du côté des femmes, c’est différent ! C’est bien joli toute cette démonstration de vigueur et de fougue amoureuse messieurs mais combien de temps arriverez-vous à tenir au juste ??? Les femmes en appellent à un amour un peu plus profond mais qui s’inscrit sur la durée (surtout pour les préliminaires, svp, merci !). Un exemple donné par le waka de la Dame Taiken Mon-in no Horikawa :

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Combien de temps notre amour va-t-il durer ??? C’est ce à quoi je pense ce matin, alors que tu viens de partir et qu’il ne reste que l’enchevêtrement de mes cheveux sur l’oreiller.

長からむ … Nagakaran

心も知らず … Kokoro mo shirazu

黒髪の… Kurokami no

乱れて今朝は…Midarete kesa wa

物をこそ思へ…Mono o koso omoe

Dans ce blog, où généralement on aime pas trop la caricature et où on se plait à penser que chacun est différent, on ne prendra pas trop au pied de la lettre tout ça mais… quand même un peu, peut être qu’il y a des grandes tendances qui ressortent et qui laissent à penser que concernant les choses de l’amouuur, malgré les siècles qui ont passé depuis cette fabuleuse époque Heian… ça n’a pas tant changé que ça.

Certes cela restera un propos qui n’engagera que ce blog et personne d’autre. Et puis surtout que ça ne vous empêche pas de relire quelques grands passages de Gros Câlin et de La vie devant soi !

 

S’il fallait vraiment établir une liste de 100 personnalités…

Quelle ne fut pas la surprise de la semaine de découvrir qu’au top de la célèbre liste des 100 personnalités les plus influentes selon le TIME, cette liste « très attendue » par tous les médias… Beyonce se retrouve en première place ???

Une belle et talentueuse poétesse du Japon (en kimono) la dame Ise
Une belle et talentueuse poétesse du Japon, la dame Ise

Dans ce blog où l’on ne vous cachera jamais la vérité toute crue même si elle pourrait déranger, c’est un fait : on n’apprécie vraiment pas le RnB… mais la déconvenue de voir ce résultat va au delà d’une question de genre musical, je vous assure !

Heureusement, il n’en a pas été ainsi dans toute l’histoire de l’humanité, il y a des époques où l’on savait vraiment établir des listes qui se respectent et c’est de cela dont je vais parler dans le post d’aujourd’hui. C’est un sujet qui a un petit rapport avec la calligraphie mais surtout avec la culture et la poésie japonaise : le classique Hyakunin Isshu 百人一首 (litt. cent personnes un poème).

Comme vous avez du le comprendre tout seul, il s’agit d’une anthologie de poésie. Bravo !

 

Un extrait d'écriture de la main de Fujiwara Sadaie
Un extrait d’écriture de la main de Fujiwara Sadaie

Cette anthologie est composée de tanka (c’est à dire un poème avec une structure imposée de 31 syllabes divisées en vers de 5-7-5-7-7 syllabes) composés par 100 des plus grands noms de la poésie japonaise. La sélection est communément attribuée à l’homme de cour et poète Fujiwara no Sadaie (1162-1241) qui a vécu entre la fin de la fabuleuse époque Heian (il me semble que je vous en ai déjà parlé de cette époque, n’est-ce pas ?) et le début de l’époque Kamakura. En réalité, les origines de sa création restent plutôt obscures et si l’on entre dans les détails… Peut être bien que ce serait aux environs de l’année 1235 alors que le futur beau-père de son fils (ça va, vous me suivez ?), Rensho 蓮生, un poète-ermite qui vivait dans une petit pavillon isolé dans la montagne lui aurait demandé de lui confectionner de jolies petites calligraphies pour refaire les papiers peints de sa villa (note : les portes des maisons japonaises étaient en papier à l’époque). Il faut savoir que l’on reconnaissait à Sadaie un vrai talent pour la poésie et aussi pour la calligraphie.  L’hypothèse que ce futur beau-père aurait proposé la sélection de poème et que Sadaie n’ait juste eu qu’à les copier serait envisageable aussi. On ne pourra jamais vraiment savoir et tant pis, on se contentera du résultat.

Car quel beau résultat !!!

Déjà, dans ce blog à tendance féministe, on a été ravie de trouver plein de poétesses dans cette sélection ! On est loin de la parité certes – 79 hommes contre 21 femmes – mais on parle tout de même du Japon pré-médiéval. Les poètes sélectionnés vont de la période Asuka (6-7 ie siècle) à la fin de la fabuleuse époque Heian (8-10ie siècle). Il me semble que je vous en ai déjà parlé de cette fabuleuse période historique du Japon, n’est-ce pas ?

Il y a un ordre dans cette sélection mais je vais décevoir les lecteurs amateurs de compétition : l’ordre est grosso-modo chronologique selon l’auteur. Car c’est la crème de la crème de la poésie japonaise, il serait impossible d’établir un classement voyons ! Par ailleurs les poèmes traitent de tous sujets : de l’amour, des rapports humains, des petites fleurs, des changements de saison… On ne s’en lasse pas et surtout d’aucuns diront que cela constitue donc un magnifique reflet de l’âme japonaise de l’époque.

Et ce n’est pas tout : il y a même eu des « goodies » ! A l’époque d’Edo (16ie au 19ie siècle), à partir de cette anthologie, on a inventé un jeu de cartes très amusant auquel on jouait traditionnellement aux réunions familiales du premier de l’an. On se divertissait en récitant de la poésie !!! Ca le fait, vous ne trouvez pas ?

Deux exemples de design du jeu de cartes
Deux exemples de design du jeu de cartes

En respectant la structure du tanka, chaque poème est divisé en deux parties auxquelles correspondent deux type de cartes. Une personne tient le rôle d’orateur et prend les 100 carte du premier type (sur lesquelles sont écrites la première moitié des poèmes) ; les 100 autres cartes (sur lesquelles sont écrites la deuxième moitié du poème) sont disposées devant les joueurs. L’orateur tire au hasard une carte dans son paquet et lit la première moitié du poème… le joueur qui retrouve en premier la deuxième moitié du poème récupère la carte. A la fin, celui qui a accumulé le plus de cartes remporte la partie.

Même à notre époque si pressée où l’on a la télé, internet et plus le temps pour rien du tout, ce jeu reste très populaire ! Dans ce blog pas si porté sur les traditions (mais un peu quand même), on a été ultra-content de savoir que les jeunes continuent à y jouer. Lorsque on a découvert que c’était grâce à un manga que le jeu était devenu aussi en vogue en France… « ah bon ? terrible !!! » … mais pratiqué par des gens qui ne comprennent pas un mot de japonais… ah oui d’accord.

On a été un peu déçu car à ce compte, c’est donc juste un jeu de Memory et ça n’a pas plus de rapport avec la poésie. Dans ce blog trop exigeant en règle générale mais résolument optimiste quoiqu’il arrive, on se fera à peine violence pour admettre que c’est toujours mieux qu’une disparition pure et simple du jeu.

Ah la la la ! On aura beau dire, rien ne valait l’bon vieux temps où la culture personnelle et la poésie étaient reconnues et considérées à leur belle et juste valeur… comme cette fabuleuse époque Heian ! Et d’ailleurs, je vous en ai déjà parlé de cette période de l’histoire du Japon ???