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Petits mensonges entre poètes

Qu’il ne soit pas dit que lors de ce long mois d’interruption, ce blog en aura profité pour se tourner les pouces ! Au contraire, j’ai travaillé dur du pinceau et du haikai et je suis heureuse de vous en faire partager les fruits. Pour commencer, cette semaine, je vous livre quelques impressions sur un très célèbre site poétique japonais que je suis allée collecter dans l’intervalle rien que pour vous, les lecteurs de ce blog (et parce que je cherchais une destination sympa et originale pour mes vacances, c’est un peu vrai aussi !) : l’île de Sadoga, une petite île dans la mer du Japon au large de Niigata.

Des jolies petites fleurs sur l’île de Sadoga
Des jolies petites fleurs sur l’île de Sadoga

Il faut savoir que la réputation poétique de l’île de Sadoga  ne lui était a priori pas pré-destinée : à l’époque Muromachi (14-15ième siècle), cette île était devenue une prison où l’on envoyait en exil les opposants politiques au shogunat. Ensuite, à l’époque d’Edo (17-19ième siècle), une mine d’or a été découverte et on y a envoyé des criminels condamnés aux travaux forcés.  Et puis finalement, par un beau soir du mois de Juillet, notre grand poète voyageur Basho qui remontait vers le nord en longeant la côte de la mer du Japon s’est arrêté à la hauteur du village de Izumozaki et frappé par le paysage, il a composé le haiku suivant :

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Une très bonne photo loupée, non ?

荒海や…  Ura umi ya / Ah, mer déchaînée !

佐渡によこたふ… Sado ni yoko tafu / S’étendant à travers l’île de Sadoga

天の川… Ama no gawa / La voie lactée.

C’est ainsi que notre génial poète brossa si simplement mais si magnifiquement l’atmosphère dramatique de l’île de Sadoga, à travers des côtes frappées par la violente houle de la mer du Japon et en contraste avec la sérénité qui se dégage du ciel baigné par la lumière de la voie lactée.

En réalité, devenir un site poétique est avant tout une question d’opportunité, qu’on se le dise ! La voie lactée, « Ama no gawa » qui se traduirait littéralement par « le fleuve céleste » (le haiku sonne d’autant plus poétique en japonais), est un mot de saison qui désigne un jour particulier du mois de Juillet (plus précisément le 7 Juillet) et il avait l’avantage certain de marquer dans le journal de voyage le moment du passage à Izumozaki. On pourrait imagine que si Bashô était arrivé un peu avant ou après par exemple et bien c’était loupé ! L’île de Sadoga serait restée à tout jamais un simple et très triste souvenir d’une période particulièrement cruelle de l’histoire du Japon. Par exemple, alors que l’on manquait de criminels et donc de bras pour faire tourner la mine, le shogun Tokugawa eut l’idée de recruter (de force) des sans-papiers ou sans-domicile-fixe… des gens a priori innocents mais qui pouvaient disparaître du jour au lendemain sans que personne ne s’en soucie.

Un cimetière à Sadogashima
Un cimetière à Sadogashima

Pour mon témoignage, je commencerai par vous le préciser : de Kyoto, Sado n’est pas la porte à côté ! Il faut déjà se rendre à Niigata (574 km au nord de Kyoto) et prendre un ferry qui met à peu près deux heures et demi pour arriver au port le plus proche de l’île. C’était un vrai voyage à la japonaise où j’ai passé plus de temps à y aller qu’à rester sur place… ce qui se rapproche au mieux des conditions de voyage de Basho finalement. De vraies vacances très pittoresques donc !

Un joli temple de Sadogashima
Le très joli jardin d’un temple de Sadogashima

Mais quelle ne fut ma surprise de constater que depuis le port de Niigata par ce grand beau ciel bleu si dégagé… absolument impossible de distinguer au loin la moindre forme rappelant les côtes de l’île de Sadoga ! Effectivement, je n’étais pas au même endroit que Basho mais quand même, là, je me suis mise à douter un peu. Enfin, au bout de 1h30 de traversée, on finit par apercevoir les côtes mais dans le même temps, la nuit tombait et quand j’ai essayé d’immortaliser avec mon appareil photo… pas assez de lumière… mes doutes se sont renforcés.  Je confirme toutefois que l’île est un endroit terrible pour regarder la voie lactée car il n’y a pas beaucoup de lumières parasites, en conséquence on distingue bien les étoiles… au dessus de sa tête ! Oui parce qu’en fait, quand on regarde à l’horizontal, un paysage au loin devant soi… les lumières de la voie lactée… oui ben non, on peut pas les voir, c’est pas possible.

Je n’aime pas casser les mythes ni jouer les rabat-joie mais quand même, je dois vous le signaler car je me suis renseignée à mon retour : le haiku n’est probablement pas du vrai vécu et vraisemblablement du trafiqué ! Le carnet de voyage de Basho rempli de ses géniallissimes haiku est une version qu’il a rédigé quelques années après le dit-voyage. Il est apparu tout d’abord dans le compte-rendu d’une réunion de poésie et si l’on en croit les commentaires, ces quelques vers auraient été inspirés à Basho suite à son passage dans la région. Ensuite, si l’on regarde ensuite le carnet de voyage (écrit en temps réel lui) de son compagnon de voyage, il est reporté qu’à leur arrivée à Izumozaki… il pleuvait assez fort.

Ouh la la le vilain tricheur !!!

Oui mais c’était plutôt de bonne guerre car l’écriture de vers en différé et arrangés à sa sauce était monnaie courante à cette époque, l’essentiel étant de trouver une bonne composition poétique avant tout !

Et pour le cas de Basho et l’île de Sado, ce fut particulièrement réussi… vous ne trouvez pas ?

Un coucher de soleil à Sadogashima
Un coucher de soleil à Sadogashima

It’s A Man’s, Man’s, Man’s World…

Ou derrière chaque grand homme, se cache une femme dit-on en français. En ce qui concerne les japonais, qu’en est-il donc ???

fleurs

Et bien, par exemple, si vous prenez le haiku très célèbre du poète Kobayashi Issa :

ともかくも/ Tomokakumo / Quoiqu’il arrive

あなたまかせの/ Anata makase no / Je m’en remets à vous

年の暮れ / Toshi no kure / Pour les années qui passent

A la première lecture, j’ai (et la plupart des japonais aussi) pensé que ces quelques vers étaient dédiés à la femme du poète ; en japonais, on utilise couramment le pronom personnel « Anata » (« vous ») pour s’adresser à son épouse. Le mot de saison « Toshi no Kure » renvoie à la fin de l’année, l’hiver, et par extension on peut dire aussi qu’il fait référence à l’hiver de l’existence humaine. Issa s’en serait remis à son épouse pour les dernières années qui lui restaient à vivre… Si vous vous intéressez un peu à la biographie de ce poète, vous constaterez que s’il a consacré la première partie de sa vie à la poésie et qu’arrivé à la cinquantaine, il a tenté à plusieurs reprises de fonder une famille… sans grand succès malheureusement et soi-dit en passant. Victor Hugo n’aurait probablement pas imaginé meilleur personnage qu’un type comme Issa s’il avait eu à écrire une version nippone des misérables ! Sa première femme ainsi que les trois enfants issus de cette union sont morts en l’intervalle d’à peine quelques années ; il a divorcé de sa deuxième femme au bout d’à peine trois mois de mariage et pour couronner le tout : il meurt peu de temps avant que sa troisième femme donne naissance à une petite fille (qui elle, survivra jusqu’à l’âge adulte normal).

Pour en revenir à la signification de ce poème, en réalité… la formule « Anata-makase » est aussi une prière traditionnelle s’adressant à la déité Amitābha. Issa étant un fervent pratiquant bouddhiste, le haïku aurait un sens très spirituel de « quoiqu’il arrive j’accepte la destinée que Amitābha m’a donné ». Effectivement, si on regarde la vie de Issa sous cet angle, cela tombe sous le sens également et les biographes du poète qui réfutent la dédicace à son épouse ont probablement raison ! Remise de cette déception (je suis trop fleur bleue, c’est vrai !), voici quelques pensées qui me sont venues suite à cette confusion.

bouddha

La première, c’est qu’elle donne un assez bon témoignage de la situation concernant la poésie japonaise. Après la fabuleuse époque moyen-âgeuse Heian où les grandes effusions de sentiments étaient monnaie courante dans les poèmes d’amour, on retrouve l’époque d’Edo (17ie au 19ie siècle) où les japonais sont tout autant créatifs dans le domaine poétique mais bien plus pudiques concernant leurs émotions. Dans les haïku (poésie apparue au milieu du 17ie siècle) des trois grands maîtres, Basho-Buson et Issa, vous ne trouverez aucune mention d’aucune sorte à l’amour… sauf pour effectivement un cas : le chagrin d’amour du pauvre Buson qui regarde tristement le ciel gris et la petite pluie froide d’automne. L’exception qui confirme la règle dira-t-on. Avec cette forme de poésie devenue « traditionnelle », on fait principalement les louanges de la nature et des changements de saison, des scènes de la vie quotidienne et… c’est tout !

Contrairement à l’époque Heian, aucune femme poète n’est passée à la postérité à l’époque Edo. Entre ces deux périodes, les guerriers samuraï ont pris les rênes du pouvoir et ont imposé au Japon une société à tendance phallocratique où les femmes ont été reléguées aux rôles secondaires de mères ou d’épouses. Il était sûrement difficile d’afficher ouvertement ses sentiments envers le sexe « faible » même dans le processus de création poétique. Enfin nous nous abstiendrons de faire la leçon aux japonais ; vous, chers compatriotes et hommes français, vous avez été miraculeusement sauvés par le siècle des lumières mais à part ça, vous n’avez guère été plus brillants dans la période d’hégémonie de l’Eglise catholique (par exemple).

Moralité : ne vous laissez pas tromper par les japonais qui proclament fièrement que les haïku reflètent à merveille l’âme japonaise ! En réalité, c’est vrai mais c’est un petit peu réducteur, les japonais sont capables de bien plus de romantisme que ça aussi, ils l’ont prouvé à l’époque Heian.  Enfin, pour en revenir au poème d’Issa, je suis fleur bleue et têtue, je persiste et je signe ! Ce possible double sens – épouse et déïté – fait toute la beauté du poème. Par ailleurs, je pense que cela n’a pas pu échapper à ce grand poète qu’était Issa et qu’il l’a peut être fait en connaissance de cause… mais techniquement, l’histoire n’en a gardé aucune trace et cela ne restera qu’un avis qui n’engage que ce blog : c’est vrai !

Âmes pudiques s’abstenir… ou comment la calligraphie peut vous mettre à nu !

michiS’il y a bien une chose que ce blog trouve dommage, c’est qu’il n’y ait pas de traduction appropriée pour son domaine de prédilection Shodo « 書道 ». Pour être exact, on devrait dire « la voie de l’écriture » mais en français, on traduit généralement le terme par « calligraphie japonaise ». Peu importe me direz-vous, lorsque l’on consulte le dictionnaire, on trouve dans le Larousse :

Calligraphie : art de former d’une façon élégante et ornée les caractères de l’écriture ; écriture formée selon cet art.

et on s’en satisfait, non ? L’art de former d’une façon élégante les caractères de l’écriture japonaise, ce qui est le but de la discipline Shodo, c’est vrai. Sauf que le terme ramène beaucoup à la conception traditionnelle très occidentale de ce qu’est « former des caractères élégant » mais la mise en pratique de l’écriture au Japon est (il me semble) sensiblement différente.

Un ami japonais m’avait dit un jour qu’il avait abandonné la voie du Shodo parce qu’il pensait que sa personne se révélait dans les caractères qu’il écrivait et que l’idée d’offrir ce spectacle à tout le monde ou rien qu’à lui-même, lui était inconfortable… je n’avais pas très bien saisi à l’époque de cette conversation et je m’étais dit qu’il était bien trop japonais cet ami (c’est-à-dire beaucoup trop sérieux sur des sujets qui ne méritent pas de l’être autant) mais avec les années de recul maintenant, je crois un peu mieux comprendre son problème.

Voilà, c’est donc parti pour aujourd’hui : je vais tenter de vous l’expliquer en esquissant les différences dans la calligraphie occident-extrême orient dans le post de cette semaine.

Un soir d'été à tendance orageuse (Kyoto - Août 2014)
Un soir d’été à tendance orageuse (Kyoto – Août 2014)

D’où vient la différence entre la calligraphie occidentale et la calligraphie chinoise ? (note : je me limiterais à la partie commune à la Chine et au Japon de tracer les idéogrammes et je botte en touche pour l’instant concernant les caractères 100% japonais).

Trouver l’origine et les raisons des différences est d’une grande complexité mais on peut au moins en observer dans la nature des caractères (i.e. lettres) ainsi que de l’outil utilisé pour écrire.

Pour commencer, concernant la nature des caractères, on pourrait croire d’emblée qu’il y a une différence fondamentale entre représenter un caractère phonétique qui n’est associé qu’à un son et représenter un idéogramme qui porte une signification. En réalité, je peux en témoigner pour vous : au début, je pouvais éventuellement y trouver une différence « un idéogramme, c’est un joli dessin ! » mais avec quelques années de pratique, je ne fais plus aucune distinction à ce niveau-là ! Un caractère est une représentation abstraite et rien d’autre. La différence se situe principalement dans la complexité du tracé : plus le caractère est complexe, plus vous disposez de degrés de liberté pour le tracer… et donc pour y ajouter une petite touche personnelle de créativité également.

Dans notre bon vieux alphabet, il faut reconnaître que la forme des caractères est assez simple et qu’ils s’écrivent tout ou plus en 2 ou 3 traits ce qui ne vous laisse pas beaucoup de liberté pour une petite touche toute personnelle… Cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas faire dans le créatif original dans la calligraphie occidentale mais il n’y a pas beaucoup d’opportunités qui se présentent sur le tracé en lui-même. Par exemple, dans les grandes œuvres artistiques de calligraphie occidentale, on trouve tout particulièrement la technique d’enluminure où l’on travaille l’apparence de la première lettre. C’est un peu comme si on se devait de complexifier le tracé de base afin de « libérer un espace » d’expression personnelle. Sinon, on rajoutera aux lettres des fioritures et tout un tas de boucles aussi, c’est un autre moyen.

Dans le cas des idéogrammes, pour avoir de la complexité dans la géométrie du caractère, il y en a de la complexité ! Une dizaine de traits en moyenne et ça peut aller jusqu’à 30 traits sur un même caractère. On comprend ainsi que, par rapport au style de base d’écriture des idéogrammes le « Kaisho », les autres styles existants consistent avant tout à simplifier le tracé ! On trouve naturellement une très grande liberté de création personnelle dans le simple tracé d’un idéogramme : que ce soit en variant la longueur d’un trait ou de son orientation par exemple, le résultat est sensiblement différent. Face à une telle complexité, il est impossible de reproduire exactement le caractère écrit par quelqu’un d’autre et les caractères que vous avez écrits sont très personnels.

Pour continuer notre jeu des différences, vient se rajouter une composante importante selon l’outil utilisé pour l’écriture. D’un côté, vous avez un stylet / une plume rigide avec une faible déformation même si vous appuyez comme une brute (je schématise sûrement) ; de l’autre côté, un pinceau en poil souple qui peut s’aplatir comme une crêpe si vous ne faites pas preuve d’assez de délicatesse dans sa tenue. L’écriture d’un caractère s’obtient par deux techniques bien différentes et de là aussi en découle des principes bien différents. Dans un cas, on doit exprimer une certaine force de pression alors que dans l’autre, on se doit de la réduire au strict minimum.

Dans l’ancienne Chine des Han (ceux qui ont inventé les idéogrammes kanji), les calligraphes pensaient que l’on pouvait entrevoir dans les caractères tracés l’âme de celui qui les avait écrits. De manière pragmatique et un peu moins spirituelle, on pourra dire que la pointe du pinceau est sensible à tous les mouvements jusqu’au plus subtile, tous laisseront une « trace » dans le trait. L’écriture au pinceau souple est un art d’une très grande transparence ; c’est ainsi que dans la calligraphie chinoise sont mis en exergues les notions de rythme, spontanéité, posture et état d’esprit etc. tout un nombre de facteurs à l’origine de mouvements conscients et inconscients du calligraphe qui se répercuteront sur le tracé.

Qu’en est-il donc de la calligraphie occidentale sur ce point ? Mes connaissances actuelles ne me permettent pas d’être catégorique à ce sujet et j’imagine qu’il existe également une dimension aussi spirituelle que celles des premiers grands calligraphes chinois ! L’état d’esprit se reflète obligatoirement sur l’œuvre d’un artiste de quelques manières qu’il soit. Toutefois, comme on doit exercer une pression importante et volontaire pour déformer la pointe de la plume, les mouvements subtils n’ont pas d’incidence directe sur le trait… Le résultat est a priori bien moins ouvert à l’âme de l’auteur.

Des jolies petites fleurs pas très pudiques !
Des jolies petites fleurs pas très pudiques pour le bonheur de nos yeux !

Voici donc comment la calligraphie chinoise (et japonaise par conséquence) serait un miroir de l’âme particulièrement bien lustré fortement déconseillé aux personnes sensibles trop pudiques !

Souvenirs d’été

Petites fleurs d'été
Petites fleurs d’été

Ca y est : nous sommes entrés dans le cœur de l’été japonais cette semaine, c’est à dire un température avoisinant 35° dans les bons jours (le mercure peut monter jusqu’à 38°C au mois d’Août) avec une chaleur humide qui vous liquéfie sur place. A cela se rajoute le problème de la géographie particulière de Kyoto, un plateau entouré de montagne où l’air stagne et avec très peu de courant d’air. La chaleur perdure même la soirée : c’est donc l’enfer tout le temps ! Il n’y aura que l’arrivée de l’automne pour nous sauver.

Chouette programme d’été en perspective, non ?

Pour voir le bon côté des choses, nous dirons que c’est une période propice aux activités telles que la lecture, la calligraphie ou la sieste… soit des activités d’intérieur… sous réserve que l’intérieur soit équipé par de solides systèmes de climatisation ou de ventilation !

Ce blog pourrait s’en réjouir s’il n’était pas d’avis que la climatisation est une consommation d’énergie importante, que ce n’est pas très bon pour l’environnement et pour la santé non plus. On préférera donc l’utiliser le soir avec parcimonie (sinon avec la chaleur étouffante, c’est impossible de trouver le sommeil) ; le ventilateur et les bords de la rivière Kamogawa seront les seuls moyens à consommer sans modération pour affronter la chaleur du jour.

Les bords de la Kamogawa
Les bords de la Kamogawa

Pour rajouter de la conviction à ce discours jusqu’au boutisme, l’été n’est par ailleurs pas une invention de nos temps modernes : les japonais d’autrefois aussi devaient supporter la chaleur sans avoir recours aux merveilles technologiques qu’offre la fée Electricité alors pourquoi n’en serions nous pas capables aujourd’hui encore ?

Savez-vous ce que faisaient donc nos japonais de l’ancien temps pour supporter la chaleur et surtout pour trouver le sommeil alors que leur maison bien chauffée par le soleil d’un beau jour d’été était devenue une vraie fournaise dans la soirée ?

Une astuce des plus remarquables a été trouvée par les japonais de l’époque Edo (17ie – 19ie siècle ) : le soir, ils se réunissaient et se racontaient… des histoires d’horreur !!! Ils avaient remarqué que, sous le coup de la peur, la décharge d’adrénaline fait diminuer la température corporelle. Vous n’aviez pas remarqué ? Et pourtant on dit bien « sueur froide », « faire froid dans le dos », « le grand frisson »… non ?

Mis à part cela, lorsqu’on regarde la poésie et la littérature japonaise d’autrefois, il semble que les japonais se contentaient avant tout… de supporter l’enfer !!!

A l’image du pauvre Basho à l’affût de la moindre sensation de fraîcheur qui lui permettrait de se reposer enfin :

Un autre moyen pour garder les pieds au frais
Un autre moyen pour garder les pieds au frais

ひやひやと Hiyahiyato

壁にふまへ Kabe ni fuma he

昼寝かな         Hirune kana

« Les deux pieds au frais posés sur le mur, c’est peut être enfin le moment de la sieste »

Dans le journal de Dame Sei Shonagon, dont ce blog vous parlait il y a quelques semaines, on trouve ce témoignage très parlant sur l’été au temps de l’époque de Heian :

« Aux alentours du mois de Juillet, les jours où le vent est violent et le bruit de la pluie est presque assourdissant, le temps se rafraîchit au point qu’on en oublie l’éventail et c’est agréable de revêtir le tissu léger du wataire qui sent légèrement la transpiration et de goûter à nouveau au plaisir du sommeil en plein jour… « 

Ce ne sont que quelques lignes et pourtant de quoi – là, tout de suite – faire rêver ce blog, je peux vous en assurer !

Clause perdue

Pour le post de cette semaine, je vais vous parler politique même si je n’aime pas trop aborder ce genre de sujet surtout dans ce blog qui ne devrait avoir d’yeux que pour la calligraphie, la poésie et les petites fleurs.

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Sauf qu’une fois n’est pas coutume et surtout, c’est un sujet qui nous concerne tous !

Tout a commencé dimanche dernier et alors que j’étais pressée de rentrer chez moi, je suis passée devant un groupe de manifestants où une des personnes qui distribuait des tracts m’a un peu forcé la main.  « Vous le lirez plus tard » a-t-elle ajouté (mon parapluie cachait mon visage et que la personne n’avait sûrement pas remarqué que je n’étais pas japonaise). J’ai été un peu énervée d’être ainsi freinée dans mon élan et puis j’avais déjà une main qui tenait le parapluie, une autre mon sac rempli de livres… j’aurais bien évité cet encombrement supplémentaire !

Résultat des courses plutôt positif en fin de compte : ce tract m’a beaucoup intrigué et au lieu de m’en débarrasser vite fait bien dans la première poubelle venue, j’ai pris mon courage (et surtout mon dictionnaire) à deux mains pour le décoder.

La clause 9
La clause 9

C’était un tract à propos de la clause 9 de la constitution japonaise, vous la connaissez ? C’est une clause très célèbre au Japon et internationalement reconnue par les juristes pour être vraiment unique en son genre. Regardez :

CLAUSE 9.

«Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l’ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux.              

(2) Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l’État ne sera pas reconnu.”      

Cette clause a été rédigée en 1947 alors que le Japon était en ruine, dévasté par les ravages de la deuxième guerre mondiale et de deux bombes atomiques et qu’il portait également la responsabilité de dizaines de millions de morts suite à sa politique sauvage d’invasion et de colonialisme menée en Asie. Les japonais de l’époque ont souhaité que de telles erreurs ne puissent plus jamais se reproduire et ils ont ainsi décidé d’entériner la renonciation de leur pays à toute forme de guerre ou de recours à la force militaire quel qu’en soit le contexte. C’était un geste pacifiste vraiment novateur, ce genre de clause ne se retrouvant dans aucune autre constitution !

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Le premier ministre japonais envoie les forces d’auto-défense japonaises pour soutenir les Etats-Unis

Malheureusement, les politiciens qui se sont succédé à la tête du gouvernement japonais depuis n’ont pas été portés par les mêmes élans pacifistes. Ils ont mené progressivement le Japon à développer et investir dans le domaine militaire en créant les forces dites « d’auto-défense ». Jusqu’à présent, ils avaient envoyé cette armée en soutien des Etats-Unis en Afghanistan ou en Irak mais sans l’autoriser à intervenir directement dans les conflits… sous la contrainte de cette clause 9, le symbole fort de la constitution japonaise qu’ils n’osaient outrepasser.

Cette année, le premier ministre japonais, porté par sa victoire aux élections législatives, a finalement ouvert la brèche. Il a décidé de réviser la constitution et d’y introduire un contournement de la clause 9 afin de pouvoir exercer librement le droit à « l’auto-défense collective» : désormais, l’armée japonaise pourra intervenir directement dans des conflits en cas d’agression… Dans les faits, la majorité des japonais est opposée à cette révision mais, comme pour la réouverture des centrales nucléaires, ce n’est pas un sujet où l’on entendra l’opinion du peuple. Il faut dire que l’histoire du Japon est remplie de régimes totalitaristes – que ce soit sous la direction d’un Empereur ou de dictateurs militaires – la démocratie n’est qu’un concept très récent et encore fragile.

Une caricature du premier ministre japonais déguisé en militaire
Une caricature du premier ministre japonais déguisé en militaire

Signalons aussi que cette manœuvre du gouvernement japonais n’aurait jamais pu avoir lieu si les Etats-Unis s’y étaient opposés. On imagine sans trop de peine que beaucoup de lobby vont se réjouir de voir les yen et la technologie japonaise prêter main forte à l’armée américaine. Une véritable aubaine  pour les américains !

Je réagis un peu tard pour vous proposer de signer la pétition défendant la clause 9 mais… dans ce blog où l’on est un peu pessimiste concernant certains traits de la nature humaine surtout chez les politiciens, on pense qu’il n’y a eu aucun recours possible à partir du moment où le résultat des élections législatives donnait raison et pouvoir au parti politique du premier ministre.

Néanmoins, au milieu de toutes ces choses pas très jolies à voir, peuvent naître de très belles initiatives également ! Une mère de famille japonaise a eu l’idée de proposer qu’on attribue le prix Nobel de la paix pour cette grande clause. Avec les nombreux soutiens obtenus via internet et les réseaux sociaux, le comité Nobel a fini par prendre en considération cette candidature et vous aussi, vous pouvez la soutenir ici.

Le prix ne pouvant être attribué à un article de loi, ce sont les citoyens japonais (qui ont maintenu la clause 9 de la constitution japonaise) qui pourraient recevoir la récompense. Les chances pour qu’ils l’emportent semblent faibles et c’est dommage car ce serait aussi une très belle manière de casser un peu les clichés en montrant que ce n’est pas seulement en terme de haute-technologie que les japonais peuvent être innovants !

Une jolie fleur bien étrange...
Une jolie fleur japonaise bien étrange mais très jolie…

Le secret de la beauté japonaise est ici.

Alors attention !!! Ce blog est prêt à vous en mettre plein la vue avec le post d’aujourd’hui !!!

Des petites fleurs (rhododendron japonais) bien roses comme je les aime !
Des petites fleurs (rhododendron japonais) bien roses comme je les aime !

Mesdames, Mesdemoiselles, vous qui aimeriez tant avoir une peau de pêche, des beaux cheveux noirs et épais qui tiennent si bien la longueur et des yeux en profil d’amande pour faire tourner la tête des hommes ? Pas de problème, dans ce blog on trouve la solution à tous vos problèmes, pour le cas présent, je vous conseille d’aller faire un tour au sanctuaire 河合神社, le temple des Bi-jin (美  人) qui se situe juste à côté du Shimogamo-jinja.

Le temple des Bijin ou de son vrai nom 河合神社 (Kawaijinja)
Le temple des Bijin ou de son vrai nom 河合神社 (Kawaijinja)

Que veut donc dire Bi-jin (美  人) me demanderez-vous ? C’est une très bonne question que vous faites bien de poser et pas seulement car cela me permet de dérouler le fil du post.

Regardons tout ça d’un peu plus près. Dans 美 人, il y a en première place notre ami le kanji Bi  » 美 », qui désigne la beauté mais attention, pas dans le petit sens un peu étroit de mignon ou joli, c’est dans le très grand sens d’esthétique.

Nous avons ensuite l’ami kanji hito « 人 » qui signifie homme / être humain. Par un phénomène curieux que ce blog n’arrivera pas à vous expliquer, le terme de Bi-jin devrait ne faire aucune préférence pour un sexe en particulier et pourtant… il ne s’applique généralement qu’aux femmes. Ce serait un équivalent de « bombasse » en gros.

Et dans ce blog, nous irons même plus loin que ça ! Si on décompose notre ami le kanji Bi, on découvre qu’il est constitué de deux autres connaissances : sur le bloc du haut, vous trouverez l’ami hitsuji « 羊 » qui signifie mouton, et sur le bloc du bas l’ami dai « 大 »  qui signifie grand. Pour les chinois de l’époque, rien n’était plus beau qu’un bon gros mouton bien gras qu’on allait vendre une fortune au marché du coin. Depuis cette époque, les standards de l’esthétisme ont changé, effectivement. On notera que ça a l’avantage de donner un fort bon moyen mnémotechnique pour retenir la composition de notre ami Bi, n’est-ce pas ?

Et ce n’est pas tout ! Quand on l’écrit au pinceau, notre ami Bi est sacrément élégant, vous ne trouvez pas ? Quel est donc son secret de beauté ??? Ce sera un avis qui n’engagera que ce blog mais nous trouvons ici que cela vient de sa belle forme féminine et élancée. Par exemple, si vous joignez les extrémités des traits horizontaux, regardez moi donc un peu la belle courbe que vous obtenez. On en rêve toutes d’une belle taille comme ça !

Un portrait de notre ami le kanji "BI"
Un portrait de notre ami le kanji « BI »

D’aucuns disent que cette courbe n’est pas seulement un standard d’esthétisme pour nos amis les kanji, plus généralement, ce serait une forme particulièrement agréable pour l’œil humain… expliquant ainsi ce mystérieux engouement international pour le Mont Fuji. Vous ne voyez pas le rapport ?

Dans ce blog où l’on aime la littérature japonaise aussi, on est très heureux de vous renvoyer à la lecture d’un de nos auteurs japonais fétiche : Dazai Osamu. Dans sa nouvelle sur les cent vues du Mont Fuji, petite merveille littéraire, il expose particulièrement bien la situation tout en donnant de l’eau à notre moulin. Selon Dazai, s’il est impossible d’établir des raisons objectives pour autant d’enthousiasme autour d’une aussi petite montagne (3776 m), il faudrait sûrement y voir le résultat d’une vaste escroquerie publicitaire qui s’est construite tout au long de l’histoire du Japon autour du point culminant de l’archipel ! Pour ne citer que son exemple fort parlant : sur les estampes de Hiroshige, l’angle de notre montagne atteint 85°, un angle totalement improbable qui nous donnerait Mont Fuji en forme de tour Eiffel… Selon les mesures officielles, l’angle réel se situe entre 124°, tout au plus 127°.

Effectivement, c’est un angle peu réaliste mais agréable à regarder pour preuve ci-dessous. Nos lecteurs maintenant avertis établiront le parallèle avec le profil de notre ami le kanji Bi… non ?

La plutôt "belle à regarder" escroquerie de Hiroshige
La plutôt « belle à regarder » escroquerie de Hiroshige

Dans ce blog où l’on aime bien avoir de grands principes, on vous dira que le secret pour bien écrire nos amis kanji réside essentiellement dans la question de trouver le bon angle, celui qui donnera le profil le plus attractif pour l’œil humain. Et le tour sera joué !

Pour en revenir à nos gros moutons et nos lectrices qui trépignent d’impatience depuis une bonne trentaine de ligne, la démarche à suivre pour devenir une Bijin :

Attention, prétendantes au titre de Bijin, avant tout, suivez scrupuleusement les instructions !
Attention, prétendantes au titre de Bijin, avant tout, suivez scrupuleusement les instructions !
  1. Se procurer la petite pièce en bois en forme de visage. Vous remarquerez qu’au dos de la pièce, vous trouvez les inscriptions « 美人になれますように » que l’on traduirait par « Pour que je puisse devenir une Bijin ». Dans ce blog, on se la pète beaucoup mais parfois on assure pas du tout, c’est vrai : on a complètement oublié de s’enquérir du prix, pardon pardon !!! Soyez rassurée tout de même, ce sera probablement moins cher qu’une liposuccion et toujours bien moins dangereux que des implants mammaires.
  2. Avec son nécessaire de maquillage (ou un simple crayon), personnalisez le visage de manière à ce qu’il vous ressemble dans les grands traits.
  3. Posez-le avec les autres et laissez faire les pros.

Les pros, ce sont les tenanciers de l’endroit qui adresseront de votre part une petite prière au grand kami-sama de la Bijin. Il ne vous reste plus qu’à attendre et sûrement que dans un avenir relativement proche, les hommes tomberont comme des mouches.

J’ajouterai en guise de conclusion qu’à défaut d’être une expérience avec des vraies chance de réussite, ce sera un beau geste pour le commerce local de Kyoto, merci !

Les roseaux de Dame Ise

Les fleurs du jardin botanique de Kyoto
Quelques fleurs du jardin botanique de Kyoto

Dans ce blog qui a tendance par moment à se répéter beaucoup, il me semble que je vous ai déjà parlé de l’époque Heian, n’est-ce pas ? Moi dans cette époque, ma poétesse préférée, c’est la grande Izumi Shikibu ! Je l’adooore grave mais je ne fais pas vraiment dans l’originalité en fait. Pour ceux qui connaissent un peu, Izumi Shikibu est une poétesse très célèbre et était très populaire à son époque, réputée pour sa grande beauté et son grand sens poétique… et sa vie amoureuse scandaleuse ! Elle a eu beaucoup d’amants (a priori) mais ce n’était pas pour autant une femme légère : quand elle était engagée dans une relation amoureuse, elle l’était pleinement et entièrement !!! Et elle écrivait de très beaux poèmes d’amour passionnés. Et, à la fin de sa vie, elle s’est retirée dans un monastère après la mort de son deuxième mari.

Mais passons car pour le post d’aujourd’hui, nous parlerons d’une autre grande poétesse, la dame Ise (873-938)… qui n’aurait pas grand-chose à envier à notre dame Shikibu si on y réfléchit et d’ailleurs voilà puisque c’est comme ça hop : je la mets en deuxième sur ma liste de mes poétesses préférées !

Dame Ise était une courtisane, au service de l’impératrice Yoshiko, une très belle plante parait-il ! Son talent poétique était également reconnu alors qu’elle excellait dans les exercices-compétitions de poésie de la cour impériale dès le plus jeune âge. Elle a eu elle aussi une vie amoureuse des plus remplies !!! Cela commence par un premier grand amour de jeunesse avec le beau Fujiwara Nakahira, petit frère de l’impératrice et… goujat à ses heures perdues ! Après lui avoir juré amour éternel, il la quitte pour épouser une autre femme d’un rang plus élevé. Le cœur brisé, notre dame Ise retourne chez sa mère (ou du moins dans la province Yamato que gouvernait son père) et ne revient que quelques années plus tard à la cour impériale mais c’est pour retourner directement sous le feu des projecteurs… c’est à dire encore et toujours convoitée par de nombreux courtisans soupirant ! Et parmi eux on y trouve le grand frère de Nakahira !?! Et oui, pas de tabou de ce genre à la cour impériale, en amour à l’époque Heian, on ne fait pas grand cas d’éventuels liens familiaux. On ne sait pas précisément ce qu’il est advenu de cette relation mais comme avec le petit frère, elle a fini par tourner court. Ce ne fut pas au désavantage de notre Dame Ise en réalité ! Figurez-vous qu’à la suite de cette nouvelle déconvenue, elle devient la maîtresse de l’empereur Uda et… donne naissance à un petit garçon. Un vrai moment de gloire dans cette société et à cette époque là !!!

Quelques autres fleurs du jardin botanique de Kyoto
Quelques autres fleurs du jardin botanique de Kyoto

Quelques années plus tard, l’empereur Uda se retire et laisse la place à son fils… celui issu de l’union avec l’impératrice Yoshiko. Dommage pour notre dame Ise me direz-vous ? En réalité pas vraiment car le nouvel empereur prend les mêmes largesses que son père et fait d’elle sa maîtresse. Elle donnera encore naissance à un enfant mais cette fois à une petite fille !

Les enfants de Dame Ise étaient donc non seulement frère et sœur mais également oncle et nièce ! De quoi faire pâlir de jalousie les scénaristes des feux de l’Amour, vous ne trouvez pas ?

Dans ce blog ou l’on aime bien les histoires légères et croustillantes à tendance people certes, il nous faut aussi reconnaître que la vie n’a pas été si tendre pour Dame Ise. Déjà, quand vous étiez noble et que vous mettiez un enfant au monde, c’était pour le confier à d’autres personnes qui se chargeaient de l’élever et de faire son éducation… bien loin de vous. Ensuite, son petit garçon est mort à l’âge de cinq ans, chose malheureusement très commune à l’époque également. Pour noircir le tableau, ce n’était pas non plus très facile de vieillir à ce moment de l’histoire du Japon et à la fin de sa vie, la pauvre Dame Ise qui ne pouvait plus compter sur ses charmes a eu de grosses difficultés matérielles et s’est retrouvée sans maison !

Mais dans ce blog résolument optimiste, on est content de vous dire que l’on a raison de continuer à y croire. Cela s’est plutôt bien arrangé et la grande Dame Ise est passée à la postérité de la meilleure manière qui soit avec tapis rouge et flashs des photojournalistes qui crépitent ! 23 de ses poèmes ont été sélectionnés pour apparaître dans le très célèbre Kokinshu, recueil de poèmes japonais qui fait référence en la matière ; 72 dans le Gosenshū (une autre anthologie impériale de poésie japonaise) et 25 dans le Shūishū (encore une autre anthologie impériale de poèmes). Il existe également une collection privée « Ise-shū » rassemblant tous ses poèmes… Elle devint ainsi une  vraie référence pour toutes les générations de poétesses qui ont suivi… dont celle de mon héroïne Izumi Shikibu.  

Dans le Hyakunin-ishu, on trouve un très beau poème qu’elle a écrit pour son premier goujat d’amant… Regardez et surtout rappelez vous qu’elle ne devait avoir guère plus de 16 ans quand elle l’a composé :

Et vous dites que je devrais finir ma vie sans plus jamais vous revoir, ne serait-ce que l’espace d’un instant, fût-il aussi bref que les ramifications du roseau de la baie de Namba.

難波潟 … Nambakata

みじかき蘆の… Mijikaki ashi no

ふしのまも … Fushi no ma

逢はでこの世を … Awade kono yo wo

すぐしてよとや … Sugoshite to ya

Alors, pas mal non ?

Quelques notes de traduction :
Le roseau en question
Le roseau en question
 
1-   La baie de Namba est l’actuelle baie d’Osaka.
2 – Le poème s’articule autour de l’expression « Fushi no ma » qui signifie soit l’espace joignant les sections ramifiées de la tige « type bambou » (cet espace est réputé pour être particulièrement court sur ce type de roseau), soit il s’agit d’un terme général pour désigner un très petit intervalle que ce soit d’espace ou bien de temps. Il s’agit d’une très belle structure poétique et d’un très beau jeu d’esprit difficile à rendre en français. Zannen !
 

Ca s’écoule de source !

Des jolies petites fleurs de toutes les couleurs sur le même arbre !!!
Des jolies petites fleurs de toutes les couleurs et pourtant sur le même arbre !!!

Les beaux jours d’Avril défilent à Kyoto version 2014 et toujours pas de pluie. Ce qui n’est pas sans conséquence sur le contenu de ce blog qui aime les petites fleurs, je vous avais prévenu ! C’est encore un post à l’arraché que j’écris en me promettant quelque chose de plus conséquent pour la prochaine fois… Enfin cette fois, bonne nouvelle !

Il va pleuvoir demain !

L’occasion aujourd’hui de mettre notre ami le kanji 水 (eau) au centre de nos préoccupations. Histoire d’être dans le bain. Ca coule de source, non ? Car dans ce blog instructif on ne se cache pas pour autant d’aimer placer des (mauvais) jeux de mots un peu partout.

Si vous avez un sens de l’abstraction, vous avez peut être fait le lien entre la forme de notre ami le kanji 水 et de l’eau qui coule mais ce n’est pas forcement de la première évidence, je vous l’accorde.

De la transformation d'un pictogramme en un ami kanji.
De la transformation d’un pictogramme en un ami kanji.

Si vous voulez mon avis, notre ami kanji 水 est constitué en grande partie d’eau douce ! Car que se passe-t-il lorsque vous mélangez notre ami kanji 水 avec d’autres kanji ? En société, notre ami est des plus conciliables avec ses congénères et ne fait pas beaucoup de vague !!!

Dans la plupart des cas, il marque son passage en laissant trois petites gouttes placées systématiquement sur la gauche du kanji ; ces trois petites gouttes forment le radical appelé communément et fort logiquement 三水 « sanzui » (三 « san » veut dire trois).

Trois exemples du radical  des trois gouttes d'eau.
Trois exemples du radical des trois gouttes d’eau.
Un kanji qui coule de source (ha ha ha !)
Un kanji qui coule de source (ha ha ha !)

Dans quelques autres cas, il restera en gardant sa forme d’origine à peu près intacte et se placera systématiquement dans la partie du bas… forme qu’on appellera communément et fort logiquement した水 « shitamizu » (した veut dire en bas).

Vous voyez notre ami 水 n’est pas très contrariant en soi.

Attention toutefois dans l’écriture du radical « sanzui » qui est bien plus complexe à réaliser qu’il n’y parait !

Quelques points techniques à respecter.

  • Concernant l’ordre de tracé du kanji : on commence toujours par écrire d’abord les trois gouttes du sanzui et après on s’attaque au reste du kanji où l’on applique la bonne vieille règle du haut gauche vers le bas droit.
  • Quelques points techniques pour assurer un joli profil à notre radical Sanzui.
    Quelques points techniques pour assurer un joli profil à notre radical Sanzui.

    Concernant le sens du tracé des trois gouttes : la première est en quelque sorte indépendante des deux autres. On la trace avec un mouvement du pinceau du haut gauche vers le bas droit ; quand on a fini, on se déplace vers la gauche à l’endroit où l’on tracera la deuxième goutte. La deuxième goutte, à l’instar de la première, respecte le sens haut gauche – bas droit, on se dirige ensuite dans la même verticale vers la troisième goutte que l’on trace du bas gauche vers le haut droit. Vous pouvez voir qu’il y a une forte connexion entre les deux dernières gouttes que l’on imprime quelque fois en traînant la pointe du pinceau sur le papier (mais ce n’est pas obligatoire). Dans la liste des options avec le sanzui, il y a aussi celle d’avoir à peu près le même espace entre les trois gouttes… dans beaucoup de cas, on a tendance à réduire l’écart entre la deuxième-troisième gouttes et ce n’est pas plus mal.

Et ce sera tout pour aujourd’hui, en attendant de nouvelles aventures trépidantes (enfin ???) dans un prochain post.

L'horizon de la kamogawa (Kyoto) qui nous annonce de la pluie pour demain !
L’horizon de la kamogawa (Kyoto) qui nous annonce de la pluie pour demain !

Tour de table

Une très belle fin de cerisiers 2014 à Kyoto
Une très belle fin de cerisiers 2014 à Kyoto

Dans ce blog où l’on a l’idée de vous instruire avant tout, on ne se refuse pas quelques folies didactiques pour autant. Cette semaine, par exemple, c’est la fin des cerisiers à Kyoto et nous allons traiter cette idée folle d’écrire le kanji 欒.

Attendez, je vous le mets en plus gros pour que vous compreniez un peu mieux l’étendue du problème :

C’est le caractère utilisé pour désigner le mélia azedarach (à vos souhaits !) ou lilas de Perse ; il possède aussi les sens de rond et harmonieux. Alors, si vous cherchez dans un dictionnaire de calligraphie (et oui, ça existe !) vous ne trouverez pas beaucoup d’exemples d’écriture classique sur ce kanji-là car il n’est pas fréquemment utilisé.

Quoiqu’il en soit, dans ce blog où l’on a pas peur de remonter ses manches quand il le faut, nous voilà donc motivés à ne compter que sur nous-même pour l’écrire joliment !!! Allons-z-yyyyy !


Premièrement : connaître le sens de tracé et le retenir. Normalement, on commence du haut à gauche vers le bas à droite mais figurez-vous que pour notre invité spécial d’aujourd’hui, on commence par le milieu ?!? Voilà dans les grandes lignes, le macro-ordre :

      1. le motif « 言 » en haut
      2. le motif « 糸 » de gauche
      3. le motif  « 糸 » de droite
      4. le motif « 木 » du bas.

Même si ce kanji fort complexe à première vue, on le trouve tout de suite un peu simple si on le considère comme un assemblage de motifs de base. D’une manière générale, il est toujours possible et surtout fortement conseillé de décomposer un kanji en sous-unités de base que ce soit pour l’écrire ou pour l’apprendre, on se facilite sacrément la tâche en agissant ainsi !

Par ailleurs, ces motifs de base existent en tant que propre kanji et portent également un sens :  est le kanji qui veut dire dire (ou parler une fois),   fil et 木 arbre. Dans ce blog pédagogique, on se tire aussi une balle dans le pied parfois… car il n’y a apparemment aucun lien entre la combinaison des sens de tous ces éléments et le sens final de notre ami kanji d’aujourd’hui mais… ce n’est pas une règle générale en soi !!!

Prenons un exemple très parlant.

Pour être un arbre, c'est un arbre !!!
Pour être un arbre, c’est un arbre !!!

Vous avez ensuite le kanji bois « 林 » = arbre 木 x 2 ou le kanji forêt « 森 » = arbre 木 x 3.

La kanji bois
La kanji bois
Le kanji forêt
Le kanji forêt

Malheureusement, nos vieux amis les kanji ont plus de 4000 ans d’existence et beaucoup d’entre eux ont subi de nombreuses mutations au cours de leur existence ; il n’est donc pas toujours possible de retrouver un sens aussi évident à la manière dont ils ont été transcrits.


Deuxièmement : étudions la composition graphique de nos motifs. Dans nos amis kanji, on trouve un peu toutes les géométries possibles mais on notera quelques règles récurrentes.

  • Voici comment les kanji forts urbains de feu et épi de blé se combinent dans le kanji final "automne".
    Voici comment les kanji forts urbains de feu et épi de blé se combinent dans le kanji final « automne ».

    Pour l’assemblage horizontal… Si je reprends le kanji bois 林 et sa très belle et très simple équation 木 x 2, graphiquement cela s’avère un peu plus compliqué qu’un simple collage 木木. Comme au théâtre lorsque vous vous disputez l’accoudoir avec votre voisin de droite (resp. de gauche)… si vous avez un peu de délicatesse, vous aurez tendance à vous étaler à gauche (resp. à droite) pour libérer l’espace au centre. Il en est de même pour les kanjis qui sont des amis fort urbains et tentent au mieux de faire de la place à leurs voisins.

  •  Quant à l’empilement vertical… Figurez-vous que nos amis kanjis tout comme nous sont soumis aux lois de la pesanteur !!! A l’instar du kanji forêt « 森 » où l’arbre (qui cache la forêt ?) est posé sur le bois, on resserre bien les blocs du haut et du bas et on ne laisse pas d’interstice superflu ! Il faut garder cette impression que même sur le papier, l’attraction terrestre fait son travail. N’oublions pas que nos amis les kanjis sont des représentations d’objets physiques avec un aspect et une géométrie naturelle qui reflète la présence du champ gravitationnel terrestre.

Pour notre invité d’aujourd’hui, ça donnerait donc quelque chose dans ce goût là…

RAN

Gauche-Droite, un débat sur fond de cerisiers en fleur…

Le bord de la kamogawa (Kyoto) version cerisiers 2014
Le bord de la kamogawa (Kyoto) version cerisiers 2014

Ca y est nous sommes en Avril, les fleurs de cerisiers sont là et c’est la rentrée des classes. Savez-vous pourquoi à cette période, les japonais respectent cette tradition des pique-nique sous les cerisiers en fleur et s’entassent à une bonne cinquantaine de personnes sur une bâche d’à peine deux centimètres carré ?

Sur ce blog drôle et instructif où souvent le pragmatisme l’emporte, je dirais qu’à la sortie de l’hiver, lorsqu’il commence à faire agréable dehors… il faut profiter des joies du plein air immédiatement ! Que ce soit la chaleur et l’humidité de l’été au Japon et/ou les hordes de moustiques en furie qui font leur apparition dès le mois de Mai, les coups coude d’un voisin un peu envahissant sont de bien moindre maux en réalité.

Mais sinon, si vous connaissez la vraie raison de ces attroupements, n’hésitez pas à m’en faire part, cela m’intéresse.

sakura_2014_1En accord avec l’air du temps, nous allons aujourd’hui traiter d’un vrai cas d’école. Comme je vous le disais la semaine dernière, écrire les kanji au crayon (et encore plus au pinceau) en respectant l’ordre de tracé est tout un art. Si la plupart des japonais a abandonné cet exercice au profit des software de transcription, il reste tout de même les petits écoliers japonais et les françaises un peu étranges pour s’acharner à retenir les règles.

A gauche, le kanji gauche et à droite, le kanji droite.
A gauche, le kanji gauche et à droite, le kanji droite.

Je rappelle les grandes lignes : on trace les traits en partant du haut gauche vers le bas droit. Attention, même si ce blog est a-politique et se targue donc de ne faire aucune démagogie à visée électorale mais milite pour du 100% instructif… nous allons quand même faire l’analyse détaillée de l’écriture des kanji gauche 左 et droite 右.

Ils se ressemblent beaucoup, vous allez me dire. Et bien oui, c’est normal ! vous répondrai-je.

A gauche l'ancêtre du kanji gauche et à droite, l'ancêtre du kanji droite.
A gauche l’ancêtre du kanji gauche et à droite, l’ancêtre du kanji droite.

Le kanji « gauche » était à l’origine le dessin d’une main gauche à côté duquel on trouve une forme simplifiée représentant un outil. Car le kanji ne porte pas seulement le sens gauche, il peut vouloir dire également manipuler (un outil).

Le kanji « droit » est le pictogramme d’une main droite à côté duquel on trouve le signe représentant une bouche. Le kanji porte aussi le sens « aider, porter secours ».

Et même s’ils se ressemblent beaucoup, ils ne s’écrivent pas dans le même ordre ?!? Le kanji gauche : on trace d’abord le trait horizontal puis le trait vertical de la main. Le kanji droit : on trace le trait vertical et ensuite le trait horizontal de la main. Pour comprendre le pourquoi du comment, il faut remonter aux pictogrammes d’origine des deux mains : le long trait du milieu représente (en quelque sorte) le coude et l’autre trait (approximativement) les doigts.

A gauche, l'ordre de tracé du kanji gauche et à droite, l'ordre de tracé du kanji droite.
A gauche, l’ordre de tracé du kanji gauche et à droite, l’ordre de tracé du kanji droite.

La règle est de tracer d’abord les doigts et ensuite le coude. Pour ceux qui n’ont pas le mal de mer quand ça bouge, c’est bien montré ici. Et pour ceux qui aiment prendre le temps et faire les choses à leur rythme, les explications sont les mêmes mais c’est mieux montré ici.

Vous pouvez croire qu’au fond, ce n’est pas très important et que le petit écolier japonais pourra toujours se tromper de sens avec un risque vraiment minime de se faire attraper par la maîtresse.

C’est vrai.

Mais si l’on y regarde d’un peu plus près dans nos kanji écrits au pinceau, on remarquera que la forme du tracé « main gauche » est différente du tracé « main droite ». La proportion entre les longueurs des traits horizontaux et verticaux, l’inclinaison des traits également sont différentes… Ce sont vraiment les marques de deux mouvements de pinceau bien distincts.

Et si l’on y regarde d’un peu plus près sur nos caractères d’imprimerie standardisés… 左 ou 右, c’est du 100% la même chose. Pourtant, vous pourrez rejeter au besoin un coup d’œil à vos deux mains… elles sont bien a-symétriques.

C’est bien la technologie mais quand même ce qu’on gagne en confort ou en facilité… souvent on le perd dans un autre domaine. Voilà je me devais cette petite remarque réac en guise de conclusion. Et ce sera tout pour aujourd’hui.

sakura_2014_3
Des sakura, des sakura et rien que des sakura…

Car c’est un post un peu léger à l’image des pétales de sakura emportés par le petit vent de cet après-midi.

Car dans ce blog qui aime la nature et les petites fleurs, nous reprendrons un rythme un peu plus soutenu dans nos études… à la saison des pluies !