Archives pour la catégorie Oeuvre libre

Tour de table

Une très belle fin de cerisiers 2014 à Kyoto
Une très belle fin de cerisiers 2014 à Kyoto

Dans ce blog où l’on a l’idée de vous instruire avant tout, on ne se refuse pas quelques folies didactiques pour autant. Cette semaine, par exemple, c’est la fin des cerisiers à Kyoto et nous allons traiter cette idée folle d’écrire le kanji 欒.

Attendez, je vous le mets en plus gros pour que vous compreniez un peu mieux l’étendue du problème :

C’est le caractère utilisé pour désigner le mélia azedarach (à vos souhaits !) ou lilas de Perse ; il possède aussi les sens de rond et harmonieux. Alors, si vous cherchez dans un dictionnaire de calligraphie (et oui, ça existe !) vous ne trouverez pas beaucoup d’exemples d’écriture classique sur ce kanji-là car il n’est pas fréquemment utilisé.

Quoiqu’il en soit, dans ce blog où l’on a pas peur de remonter ses manches quand il le faut, nous voilà donc motivés à ne compter que sur nous-même pour l’écrire joliment !!! Allons-z-yyyyy !


Premièrement : connaître le sens de tracé et le retenir. Normalement, on commence du haut à gauche vers le bas à droite mais figurez-vous que pour notre invité spécial d’aujourd’hui, on commence par le milieu ?!? Voilà dans les grandes lignes, le macro-ordre :

      1. le motif « 言 » en haut
      2. le motif « 糸 » de gauche
      3. le motif  « 糸 » de droite
      4. le motif « 木 » du bas.

Même si ce kanji fort complexe à première vue, on le trouve tout de suite un peu simple si on le considère comme un assemblage de motifs de base. D’une manière générale, il est toujours possible et surtout fortement conseillé de décomposer un kanji en sous-unités de base que ce soit pour l’écrire ou pour l’apprendre, on se facilite sacrément la tâche en agissant ainsi !

Par ailleurs, ces motifs de base existent en tant que propre kanji et portent également un sens :  est le kanji qui veut dire dire (ou parler une fois),   fil et 木 arbre. Dans ce blog pédagogique, on se tire aussi une balle dans le pied parfois… car il n’y a apparemment aucun lien entre la combinaison des sens de tous ces éléments et le sens final de notre ami kanji d’aujourd’hui mais… ce n’est pas une règle générale en soi !!!

Prenons un exemple très parlant.

Pour être un arbre, c'est un arbre !!!
Pour être un arbre, c’est un arbre !!!

Vous avez ensuite le kanji bois « 林 » = arbre 木 x 2 ou le kanji forêt « 森 » = arbre 木 x 3.

La kanji bois
La kanji bois
Le kanji forêt
Le kanji forêt

Malheureusement, nos vieux amis les kanji ont plus de 4000 ans d’existence et beaucoup d’entre eux ont subi de nombreuses mutations au cours de leur existence ; il n’est donc pas toujours possible de retrouver un sens aussi évident à la manière dont ils ont été transcrits.


Deuxièmement : étudions la composition graphique de nos motifs. Dans nos amis kanji, on trouve un peu toutes les géométries possibles mais on notera quelques règles récurrentes.

  • Voici comment les kanji forts urbains de feu et épi de blé se combinent dans le kanji final "automne".
    Voici comment les kanji forts urbains de feu et épi de blé se combinent dans le kanji final « automne ».

    Pour l’assemblage horizontal… Si je reprends le kanji bois 林 et sa très belle et très simple équation 木 x 2, graphiquement cela s’avère un peu plus compliqué qu’un simple collage 木木. Comme au théâtre lorsque vous vous disputez l’accoudoir avec votre voisin de droite (resp. de gauche)… si vous avez un peu de délicatesse, vous aurez tendance à vous étaler à gauche (resp. à droite) pour libérer l’espace au centre. Il en est de même pour les kanjis qui sont des amis fort urbains et tentent au mieux de faire de la place à leurs voisins.

  •  Quant à l’empilement vertical… Figurez-vous que nos amis kanjis tout comme nous sont soumis aux lois de la pesanteur !!! A l’instar du kanji forêt « 森 » où l’arbre (qui cache la forêt ?) est posé sur le bois, on resserre bien les blocs du haut et du bas et on ne laisse pas d’interstice superflu ! Il faut garder cette impression que même sur le papier, l’attraction terrestre fait son travail. N’oublions pas que nos amis les kanjis sont des représentations d’objets physiques avec un aspect et une géométrie naturelle qui reflète la présence du champ gravitationnel terrestre.

Pour notre invité d’aujourd’hui, ça donnerait donc quelque chose dans ce goût là…

RAN

Les fines fleurs du Japon

Qu’on se le dise (et d’ailleurs je crois que je vous l’ai déjà dit, non ?)  : dans l’histoire du Japon, l’époque préférée de ce blog c’est la période médiévale Heian. Elle commence vers l’an 792 avec le déplacement de la capitale de Nara à l’emplacement actuel de Kyoto pour s’achever en 1192 avec la prise de pouvoir des seigneurs guerriers et l’établissement du Shogunat de Kamakura.

Pourquoi j’aime cette période me demanderez-vous ? C’est très simple : parce que c’est une période très féminine de l’histoire du Japon où la culture, les arts et bien sûr la calligraphie et la poésie sont à leur apogée. Par exemple, à l’époque précédente, la période Nara, la manière d’écrire de la poésie était franche, sincère voire un peu naïve. C’est à l’époque Heian qu’elle atteint une ampleur sans précédent et que les poèmes japonais se chargent de bien plus de sensibilité et de subtilité…

Signe que les femmes avaient fini par imposer leur style dans la société !

Dans ce blog qui aime bien taquiner les hommes de temps en temps, on reconnaîtra qu’il faut probablement tenir compte du contexte historique aussi. En japonais, Heian signifie paix, tranquillité ; on entre dans une période de l’histoire où il n’est plus question de conquérir le pouvoir mais plutôt d’asseoir l’autorité impériale en place. Dans ce prolongement d’idée, c’est une période de stabilisation propice à la recherche du perfectionnement et du raffinement dans tous les domaines, que ce soit pour augmenter et mieux prélever la taxe sur le riz ou pour écrire de la poésie. 

Les fleurs de prunier version 2014 sont arrivées !
Les fleurs de prunier version 2014 sont arrivées !

La poésie en vogue à l’époque Heian était le waka (和歌 « chanson à la mode japonaise »), un style de poésie où les contraintes de style ne sont pas dans les rimes mais dans le rythme.

Vous connaissez probablement le haiku, le très court poème qui est construit en 3 vers de 5 – 7 – 5 syllabes ? C’est un style de waka mais qui est apparu bien plus tard, vers le 17ie siècle.

A l’époque Heian, il y avait par exemple le tanka (短歌 « chanson courte ») constitué de trente-et-une syllabes découpées en 5 vers de 5 – 7 – 5 – 7 – 7 syllabes.  

Attention, ce n’est pas que les japonais aient été particulièrement portés sur le mysticisme des combinaisons de nombres premiers impairs mais surtout que c’est un style fait pour la langue japonaise, où l’on peut construire  facilement une phrase sur 5 ou 7 syllabes. Mission totale(5)ment im(7)possible pour la langue française par exemple(21 syllabes !!!).

Néanmoins, pour faire passer tout un message en si peu de syllabes, il faut procéder par images et le waka est un genre de poésie-photographie si vous voulez. Ainsi, il va contenir des formules « standard » qui vont faire référence à des phénomènes, des choses ou des sentiments communs que chaque japonais normalement constitué a déjà eu l’occasion de voir ou expérimenter. Par exemple, un grand classique 花の散る Hana no chiru (5) (litt. les pétales des fleurs qui tombent)… Les sakura, bien évidemment !!! Par l’intermédiaire de ces 5 petites syllabes, on replongera dans l’atmosphère d’une journée de printemps début Avril alors que les pétales des fleurs de cerisier commencent à tomber. Ensuite, on rajoute une petite touche de sentiment humain et nos 5 syllabes contiendront également le sentiment du temps qui passe vite, de la déchéance ou de l’impermanence des choses.

Je vous ai dit que les courtisans de Heian utilisaient la poésie pour mieux compléter leur tableau de chasse, n’est-ce pas ? J’avoue, ces propos sont très réducteurs car il existe bien d’autres sujets et d’occasions pour écrire un joli poème à la japonaise.

prunier
Mon interprétation calligraphique des propos ironiques de Ki no Turayuki

Comme dans ce blog, on aime aussi les hommes d’esprits de la grande époque Heian, je vais vous présenter le tanka de Ki no Tsuruyuki, un très célèbre poète du 9ie siècle.

Pour resituer le contexte, Tsurayuki est revenu dans son village natal après de longues années d’absence qu’il avait passées à la cour impériale. A un habitant qui se targuait que rien n’avait changé dans le village en l’absence du poète… Tsurayuki a déclamé le poème suivant :

人はいさ /  Hito wa i sa (5)

心もしらず / Kokoro mo shirazu (7)

ふるさとは  / Furasuto wa (5)

花ぞむかしの / Hana zo mukashi no (7)

香ににほひける  / Ka ni nihohikeru (7)

 » Quant aux cœurs des hommes, je ne saurais que dire mais le parfum des fleurs de mon village natal m’a réservé le même accueil qu’antan « 

Les pruniers du Kitanotenmangu version 2014 sentent toujours aussi bon le printemps qui s'approche !
Les pruniers du Kitanotenmangu version 2014 sentent toujours aussi bon le printemps qui s’approche !

C’était un tanka un peu ironique et Tsurayuki n’a certainement pas reçu le meilleur des accueils en arrivant dans son village natal. Probablement que sa réputation de grand poète et critique à la cour impériale avait attisé la jalousie de ces amis d’enfance… la nature du cœur humain est propice aux changements de sentiment, que voulez-vous ! Heureusement qu’il restera toujours le doux parfum des fleurs… Si vous connaissez les standards du waka ou que vous êtes déjà venu au Japon au mois de Mars, vous aurez compris évidemment qu’il s’agissait des fleurs de pruniers !

Premier rêve !

De retour après 6 mois de blogesque absence… comme si j’avais rien fait pendant toute cette période mais pas du tout !!! J’ai beaucoup bossé et des calligraphies… j’en ai écrit plein !!!

Alors qu’est-ce qui me retient de vous les montrer ???

Mais non, ce n’est pas mon chien qui les a mangées !

Une des premières réactions d’un individu plutôt normal quand il regarde une calligraphie est de se demander ce qu’il y a d’écrit, n’est-ce pas ? Par souci de rendre accessible mes calligraphies à mes concitoyens qui a priori ne parlent pas japonais, je me suis dit qu’il serait judicieux d’ajouter une petite traduction pour faire passer le message. Or, oui et bien donc voilà : la traduction, c’est vraiment mission impossible.

Pourquoi ?

A cause du japonais !

Et pas à cause de mon niveau de japonais (ne soyez pas vexant, merci).

Si vous prenez le cas du Haiku par exemple, cette poésie qui dépeint une scène en trois vers délicats… composés respectivement de 5-7-5 syllabes ! Impossible d’être aussi concis avec la langue française ; si, au bout du deuxième mot, vous n’avez pas encore dépassé les syllabes allouées pour le premier vers du Haiku, c’est déjà un exploit en soi !

Le Haiku a été crée pour la langue japonaise et la structure 5-7-5 en reflète les caractéristiques. Par rapport au français, le japonais est un langage concis et très vague; il est possible de s’exprimer en japonais en omettant tout un tas d’informations qui seraient pourtant jugées cruciales par les règles de grammaire française… Par exemple, ne pas spécifier le sujet du verbe est très commun dans une phrase japonaise. Par ailleurs, il y a aussi une foule d’expressions ou formules japonaises « toutes faites », qui, en un ou deux mots révèlent tout un pan de la culture japonaise et traduisent bien plus que leur sens premier ! Comme les Haiku en regorgent, il faut donc avoir une très bonne culture générale pour apprécier cette forme de poésie.

Car on fait pas de la poésie bon-marché dans ce blog, qu’on se le dise !

Mais pour résumer, si le Haiku n‘est pas à la portée de n’importe quel japonais, en ce qui concerne les français… 

Prenons un cas concret, par exemple, ce Haiku :

初夢  Hatsu yume  => traduction littérale : premier rêve

話している間に Hanashiteiru aida ni => traduction littérale : pendant raconter

われけり  wasurekeri => traduction littérale : oublier

Vous avez compris ?

On se réveille avec dans la tête un rêve qu’on vient de faire mais alors qu’on s’apprête à vouloir le raconter… on l’a oublié. Notez bien que j’utilise « on » car savoir qui a fait, raconté ou oublier n’est pas le sujet du haiku. L’acteur principal du haiku, c’est ce premier rêve qui se fait, qui se raconte et qui s’oublie.

Pourquoi donc le premier rêve ? En réalité, Hatsu-yume est le premier rêve de l’année, celui que l’on fait dans la nuit du 2 janvier. Une logique un peu impénétrable – qu’en est-il du rêve du 1er janvier au soir ??? – quoiqu’il en soit, dans la tradition japonaise, si le rêve du 2 Janvier est un bon rêve alors la chance sera au rendez-vous pour le reste de l’année.

Pour en revenir au sens du Haiku, cela précise un certain nombre de choses.

Déjà concernant le contexte ; la scène dépeinte n’a pas lieu à n’importe quel moment mais à une période de l’année bien précise. C’est une des caractéristiques premières du Haiku, c’est un poème de saison et il y aura toujours un ou plusieurs mots qui permettront de le situer temporellement. 

Ensuite, s’il n’y a rien d’exceptionnel en soi d’oublier un rêve… Toutefois, on peut imaginer la frustration engendrée lorsqu’il s’agit de ce premier rêve là.   

Alors, hein, expliquez-moi un peu comment je serais susceptible de traduire tout ça pour que vous ne soyez pas frustré en voyant la calligraphie de ne pas pouvoir lire le sens et comprendre la signification.

Premier rêve
Premier rêve

 Vous restez frustrés même avec ces explications ???

Non vraiment, le coup du chien comme excuse m’aurait bien plus arrangé, en fait. 

Vive le printemps !

Un village plein d'enfants !
雪とけて 村いっぱいの 子どもかな / Yuki tokete – Mura ippai no – Kodomo kana

Nous n’y sommes pas tout à fait mais déjà ces derniers jours ont une forte odeur de printemps. Les températures se font plus douces et on envisage mieux de sortir de chez soi ! Les jours de pluie en continu commencent à réapparaître… Attention toutefois, pas de ressentiment inutile contre la pluie : c’est pour la bonne cause (les fleurs de cerisiers) !

Pour ce nouveau passage de saison, je suis très très heureuse de vous présenter le haiku que je viens d’écrire. Pourquoi ? Parce que j’ai choisi un poème de Kobayashi Issa  (小林 一茶 1763-1828) un très grand poète japonais que j’apprécie et que j’admire particulièrement, cela me fait donc particulièrement plaisir de vous parler de lui.

Pourquoi je l’aime et je l’admire tant, me demanderez-vous ? Ne vous inquiétez pas, j’y venais de suite que vous vous posiez ou non la question ! Issa était un fils de paysan, il a longtemps vécu dans un village de l’actuel département de Nagano ; son quotidien en général – et en particulier là-bas où les mètres de neige s’amoncellent l’hiver – n’était probablement pas des plus faciles. A cela s’est rajouté une série sans fin d’évènements dramatiques dans sa vie personnelle ! Cela commence par sa mère qui meurt alors qu’il est encore jeune enfant et puis par la nouvelle épouse de son père qui lui fut très hostile, notamment à cause des problèmes posés par l’héritage paternel qu’elle souhaitait voir entièrement destiné à ses propres rejetons (tant qu’à faire). Issa fut donc dans le sens le plus objectif du terme : un pauvre orphelin ! Ensuite, il s’est marié et a eu quatre enfants … qui sont tous morts en bas âge ; son épouse aussi a fini par mourir avant l’âge. Il s’est marié une seconde fois mais sans gloire (il divorce après trois mois) mais la troisième tentative semble la bonne et… Effectivement, sa troisième épouse lui a donné une petite fille qui a vécu jusqu’à un âge adulte avancé ! Ce fût pourtant sans qu’Issa puisse en témoigner car il mourra juste avant la naissance de l’enfant.

Alors je vous le demande : combien d’entre-nous, après avoir vécu le quart du tiers de ça, auraient fini dans l’aigreur  ou la méchanceté, dans les larmes ou l’apitoiement permanent sur son triste sort ? Et pourtant et malgré tout cela, je ne crois pas que ce fût le cas d’Issa ! Quand on lit ses poèmes, on se dit qu’il n’y a pas eu plus yasashii que lui.

En japonais, yasashii écrit comme ça « 易しい » veut dire simple, aisé, facile.

Sinon, le yasashii écrit comme ça « 優しい » veut dire gentil, doux, tendre. 

Les deux sens s’appliquent dans les poèmes d’Issa et dans celui-là en particulier, regardez :

雪をとけて / Yuki tokete …………… Avec la neige qui fond,

/村いっぱいの / Mura ippai no …………… Le village va sûrement se remplir

子どもかな / Kodomokana …………… (de cris ? d’éclats de rire ?) d’enfants !

Kakizome 2013 / 書初め・巳年

S’il reste encore des lecteurs, avant tout, je tiens à leur souhaiter une bonne année : « Bonne Annéeeeeeeeeeeeeeeeee ! » et aussi à les rassurer : je suis toujours vivante et plutôt en bonne santé.

Pour commencer cette nouvelle année du serpent déjà bien entamée, je me dois de dresser la liste des bonnes résolutions « que je ne tiendrais probablement pas au delà du 31 Janvier mais ce serait dommage de pas essayer, on sait jamais ». Je vous prends donc à témoin et vous autorise à me reprocher dans peu de temps de n’avoir aucune suite dans les idées…

  1. S’entraîner au pinceau tous les jours quelques soient les conditions climatiques du jour, les envies intempestives de ne rien faire du tout ou les moments de moral en berne.
  2. S’assurer d’avoir le bon sens d’écriture et de connaître la signification de chaque caractère lors des exercices de recopie des anciens textes chinois même si ça fait très « première de la classe » et quelques soient les conditions climatiques du jour, les envies intempestives de ne rien faire du tout ou les moments de moral en berne.
  3. Arrêter de préparer l’encre tout en regardant des séries TV américaines et passer la séance d’entraînement scotchée sur la deuxième saison de Fringe… ou sur la quatrième de Castle… ou sur l’intégrale de Monk !
  4. Ne pas oublier de prendre son appareil photo quand on organise un atelier spécial pour le début de l’année et qu’il y a justement plein de gens et une super ambiance et que ça aurait pu faire un super premier article sur le blog.
  5. Ecrire régulièrement sur le blog, quelques soient les conditions climatiques du jour, les envies intempestives de ne rien faire du tout ou les moments de moral en berne. Sur ce coup là, notez, je sens bien que je donne le bâton pour bientôt me faire battre !!!

Et la liste est en réalité bien plus longue que ça mais ça n’a pas plus d’intérêt et ce, quelques soient les conditions climatiques du jour, les envies intempestives de ne rien faire du tout ou les moments de moral en berne.

Bref, venons-en plutôt à ma première revendication de l’année.

Pour préparer le kakizome (première calligraphie) 2013, en cette année du serpent (caractère chinois 巳 dont je connais la signification et le sens d’écriture…), j’ai commencé par lire le chapitre à propos du tracé « en forme de queue de dragon » et j’ai recherché les expressions ou les proverbes japonais liés au serpent et là… j’ai bien vite abandonné ! Car si on trouve une ou deux expressions liées à l’animal :

Bonne-année_2013_2「竜頭蛇尾」… une tête de dragon, une queue de serpent… une expression pour qualifier un projet qui part en vrille alors que tout avait si bien commencé !

「蛇の道は蛇」… le chemin du serpent est emprunté par tous les serpents… une version japonaise de « combattre le mal par le mal ».

… les expressions sur le serpent ont toutes un sens exécrable ! Il y a donc quelque chose qui dépasse les continents, les races et les religions : le serpent souffre d’une piètre image auprès de l’espèce humaine dans son ensemble.

Si on y réfléchit un peu… Quand bien même le serpent aurait été à l’origine du premier péché humain, on continuerait à lui en vouloir pour une affaire qui date de la nuit des temps ??? Et puis… Je sais pas pour vous, mais moi, je soupçonne fortement que la réputation du jardin d’Eden soit très surfaite en réalité !

Est-ce bien raisonnable tout ça ? Ne serait-il pas temps de pardonner à cette pauvre bête ? Et si nous profitions de cette belle année 2013 qu’elle nous offre pour lui rendre hommage plutôt ?

 

Kuchi-taba-he…

 

 

夏近し

その口たばへ

花の風

松尾 芭蕉

Kuchi-taba-he est un haiku écrit par LE maître des haiku, j’ai nommé Matuso Bashô, le grand bananier ! Et  je ne plaisante pas car c’est la traduction littérale de son nom de plume et accessoirement le surnom donné à son ermitage devant lequel il avait planté un bananier (Bashô). Ceci explique donc cela, effectivement, je ne vous le fais pas dire.

Cet homme a littéralement révolutionné la poésie japonaise au début du 17ième siècle en donnant un ton bien plus frais au genre, recherchant une profondeur poétique dans les petites choses de la vie. Moi c’est également dans mon style, alors je cautionne à fond le régime banane japonais.

C’est un personnage d’autant plus admirable qu’il a passé sa dernière décennie à sillonner le Japon en retranscrivant les récits de ses voyages dans des recueils poétiques exceptionnels. Il faut comprendre qu’à cette époque, ce genre d’initiative était particulièrement périlleuse car nombreux étaient les voyageurs qui perdaient la vie en route et d’ailleurs… ce fût finalement son cas à Bashô.

Même les japonais non-initiés au genre seraient bien en mal de comprendre le sens de Kuchi-taba-he alors l’expliquer à un public francophone, c’est un défi de l’impossible… comme je les aime !

En fait non, c’est histoire de dire car je préfère quand c’est simple à expliquer tant qu’à faire.

夏近し … Natsu Chikashi … L’été est proche

その口たばへ … Sono kuchi taba he … Dans cette bouche fermée

花の風 … Hana no kaze … Le vent des fleurs 

Alors que pensez-vous de cela, dites-moi ? Incompréhensible, n’est-ce pas ? Bon c’est partiiiii !

Il faut déjà prendre compte un facteur important : l’été au Japon. Il fait une chaleur de dingue, le taux d’humidité grimpe au plafond, tout est fait pour clouer sur place une pauvre française et lui faire bien regretter d’avoir quitté son pays natal. Concernant les japonais du 17ième siècle, probablement qu’ils avaient également des difficultés dans la fournaise estivale. Même à l’ombre d’un bon bananier, il fait une chaleur à crever en été au Japon, qu’on se le dise !

Concernant la végétation japonaise, un effet radical est garanti également. A l’été, fini les jolies fleurs du printemps ! Leurs pétales ont été emportés par le petit vent frais printanier et tout ce beau monde a fui dans un endroit bien éloigné du Japon… Il ne reste plus qu’un  soleil de plomb et une sensation permanente d’étouffement.

Le dieu du vent Fujin
Le dieu du vent Fujin

Kuchi-taba-he était une prière adressée au Dieu Fujin afin qu’il referme l’ouverture de son sac à vent et que l’on puisse ainsi conserver encore un peu plus longtemps la fraîcheur et le parfum fleuri du printemps.

Pour ma calligraphie aussi, j’ai tenté dans la grande bouche 口 fermée d’y faire rentrer les fleurs 花 (jusque là, c’était encore bon) mais quand au vent, pas moyen de lui faire entendre raison et les deux hiragana qui le constituent (Ka-ze かぜ)s’échappent irrémédiablement de kuchi 口…

Aaaaah ! Enfer et damnation !!!

… De l’été qui s’approche !

Haru-no-kaze / 春の風

春の風や

堤長うして

家遠し

与謝 蕪村

Haru-no-kaze (Vent de printemps), est un haïku de Yosa Buson (18ième siècle) qui m’a particulièrement touché. Déjà, c’est un haïku rempli de nostalgie et moi, la nostalgie, c’est mon rayon surtout depuis que je vis au Japon. Ensuite, Buson et moi n’avons pas vécu au même siècle et c’est très dommage car nous nous serions très bien entendu, nous avons beaucoup de points en commun. 

Par exemple, Buson était un très grand artiste-poète talentueux. C’est un sacré point commun 😉

Autre exemple : il était originaire d’un village (fondu dans l’agglomération Osaka aujourd’hui) qui a été détruit par une inondation, il est monté à la capitale pour faire ses études, il a beaucoup voyagé dans tout le Japon et est finalement venu s’installer à Kyoto à l’âge de 36 ans… Pile tout comme moi ! Sauf que je suis originaire de la région de Fontainebleau et qu’aux dernières nouvelles, Thomery va bien. A part ça, tout pareil.

Quand j’ai lu son poème sur le vent de printemps, j’ai tout de suite saisi ce que mon double poétique japonais avait voulu dire dans ces quelques vers.

春の風や – Haru no kaze… le vent de printemps

堤長うして – Tsutsumi nagaushite… la digue est longue

家遠し – Ie tooshi… la maison est loin

Bon d’accord, il a fallu qu’on m’explique un peu mais ensuite, j’ai compris tout de suite… en quelques jours, pas plus.

En écrivant, j’ai accompagné Buson dans sa promenade par ce bel après-midi de printemps, avec ce petit vent frais et cette digue tout en longueur, bordée de cerisiers en fleur, qui s’allonge à perte de vue… Nous avons décidé qu’on allait la suivre pour voir jusqu’où elle nous mènerait. 

Ah la la ! Quelle belle journée ! Les fleurs et leur parfum enivrant, les pétales qui volent au vent, les petits oiseaux qui chantent, le soleil qui réchauffe… Que de merveilles sur la route, on en prend plein les yeux et on en perd toute notion du temps !

Mais l’après-midi se termine alors que la digue n’en finit plus de s’allonger au devant de nous… nous nous arrêtons quelques minutes et histoire de juger le chemin parcouru, je jette un coup d’oeil en arrière. Ah ! Le petit point noir là bas ! C’est avec un pincement au coeur que je réalise qu’on distingue à peine notre petite maison qui est loin, très loin…  

Sacré vent de printemps qui emporte les promeneurs distraits bien loin de chez eux ! Comment va-t-on faire pour rentrer chez nous maintenant ? 

 

Ichi-go ichi-e / 一 期一会

Ichi-go ichi-e « 一期一会 » est une expression que l’on doit à un très grand maître de cérémonie du thé, Sen no Rikyu. Cela veut dire littéralement « Une occasion, une rencontre », une expression qui rappelle à chacun que la vie est une succession de moments uniques et qu’il faut les vivre pleinement. Quand on rencontre les gens pour boire le thé, il convient d’avoir l’état d’esprit comme si c’était la première et dernière fois que l’occasion se présentait… c‘est donc une sorte de « Carpe Diem » à la japonaise !  

Ichigo – ichie ne s’applique pas seulement à la cérémonie du thé. Déjà car l’influence sur la culture japonaise de Sen no Rikyu a été gigantesque ; ensuite, autour du monde du « thé », il y a celui de l’architecture avec la conception de la maison de thé et de son jardin. Il y a aussi l’art floral et la calligraphie avec la décoration du tokonoma. Tous ces mondes là ont reçu également la touche de ce personnage exceptionnel.

Dans cette ambiance si propice à la méditation que l’atelier Teramachi, une séance « Ichigo – ichie » s’imposait donc un jour ou l’autre ! Par un beau premier Samedi d’Octobre…

Malheureusement et à la fois heureusement, les caractères d’origine chinoise qui sont utilisés dans la langue japonaise ont subi de nombreuses modifications et réformes visant à les simplifier. C’est plus pratique mais… le kanji réformé d’une rencontre  » 会  » est devenu bien moins élégant que son ancienne version.

Au delà de la forme simplifiée, les kanji ont subi une autre transformation assez radicale. Ils ont du se plier aux normes des caractères faciles à imprimer, c’est à dire des caractères qu’on peut mettre dans des petites cases toutes identiques et toutes carrées. A l’origine, leur forme était bien plus libre et bien plus belle !

Et c’est là que vient tout l’avantage d’un pinceau face au clavier d’ordinateur. Il rend à l’être humain le pouvoir de choisir librement la forme des caractères qu’il écrit et… c’est bien plus joli comme ça, vous ne trouvez pas ?

Brush to the people ! comme dirait mon amie Chikako…

La touche finale / 最後のトウシュ

Vous pensez que la fin d’une oeuvre de calligraphie vient lors du dernier caractère à écrire et qu’après cela, on est tranquille et on peut reprendre son souffle ? Si c’est ce que vous croyez, ce post est pour vous !

Après avoir écrit le texte, il va falloir signer, c’est à dire : écrire son nom suivi du caractère sho « 書 » pour montrer qu’il s’agit d’une oeuvre de votre composition. Prenons mon exemple : je me suis choisis trois kanji « 詩流美 » qui correspondent à la prononciation de mon prénom en japonais Shi-ru-bii. Pour signer une oeuvre, je vais donc écrire « 詩流美書 »… Shi-ru-bii-sho ! Premier problème en perspective : si on a pas prévu le coup, il ne reste pas forcément la place d’écrire le nom. Face à cela, pas de panique, il y a des solutions alternatives. On n’est pas obligé de marquer la totalité de son nom ; un caractère (le premier du nom en général) suffit, un simple « 詩書 » fera l’affaire pour moi par exemple. Il y a aussi l’option de ne pas signer et de se contenter du sceau puisquetraditionnellement, on inscrit son nom sur le sceau. En résumé, il est toujours plus ou moins possible de se rattraper à cette étape là. 

Le vrai problème qui n’a aucune échappatoire est l’étape suivante : poser son sceau ! C’est la dernière touche et c’est impossible d’y couper. Par exemple sur la photo de gauche, on reconnait que c’est une calligraphie finie car il y a mon sceau en rouge. Il y est marqué « 詩流美 » dans un style de caractères chinois très ancien (Tensho) qu’on utilise spécifiquement pour  les sceaux. 

Généralement, le sceau a été sculpté dans de la pierre et pour l’imprimer sur le papier, on utilise une sorte de pâte rouge qui a la même consistance qu’un caramel mou qui colle bien aux dents. On tapote la pierre plusieurs fois sur cette pâte en priant les dieux de la calligraphie pour que l’application soit à peu près homogène. Au bout d’un certain moment, on prend son courage à deux mains et puis aussi la pierre qu’on applique sur le papier. En retenant son souffle et avec le coeur qui bat la chamade, bien sûr ! On presse bien longuement (toujours sans respirer) et puis on retire la pierre… 

Après de longues années de pratique, on arrive à juger quand il y a une quantité suffisante de pâte rouge sur la pierre pour obtenir un joli résultat. Au début, c’est au petit bonheur la chance alors le résultat est la plupart du temps… un peu loupé ! On peut éventuellement utiliser une équerre qui permet de marquer la position du sceau ; on peut le retirer et en cas de besoin, remettre un peu de pâte rouge aux endroits où ça manque et faire une deuxième tentative de pressage… sous réserve de bien le remettre à sa place d’origine et au quart millimètre près. En réalité, il vaut mieux se contenter d’une seule et unique pression même si elle est a priori un peu médiocre.

Vous êtes en mesure maintenant d’imaginer les cas d’échec qui peuvent ainsi marquer l’étape de la signature ! A noter la plus belle bourde que j’ai testé pour vous : apposer le sceau à l’envers la tête en bas. C’est rageant de tout ré-écrire suite à ça, surtout que c’est une faute d’inattention très classique. Mais le pire…

Sur une oeuvre que je voulais exposer, j’ai demandé à quelqu’un de plus expérimenté d’apposer le sceau à ma place car j’ai eu peur de tout gâcher en le faisant moi même. Malheureusement, cette personne s’est trompée, a mis le sceau de travers et pas assez de pâte rouge. Si je l’avais fait, il y aurait eu toutes les chances que je le fasse bien mieux.  Je ne pouvais rien reprocher à la personne qui m’avait rendu service et même si j’avais pu lui exprimer mes regrets, ça n’aurait pas changé grand chose car le mal était fait. Ne pas prendre le risque de mettre soi-même le sceau est vraiment la pire des erreurs. 

Il n’y a pas à dire, lorsque vient l’heure de poser la dernière touche à son oeuvre, la plus grande des difficultés est de résister à la pression du moment ! 

Écris-moi une étoile – 七夕の夜は

Au Japon, le 7 Juillet est une date très particulière, c’est le seul soir de l’année où la princesse Orihime et Hikoboshi peuvent traverser la voie lactée pour se rencontrer. C’est un soir très romantique et aussi, c’est la fête des étoiles. En 2012, cette fête est tombée sur le premier samedi du mois de Juillet : c’était donc le jour d’un atelier très spécial à Teramachi !

7月7日の七夕の夜は、とてもすてきなことがありますよね。年に一度織姫さまと彦星様が天の川(ミルキーウェイ)を渡って会える特別な夕べです。星の ロマンスですよね。 2012年の七夕は、ちょうど土曜日になりました。寺町の私の書道塾もこの日は半紙の天の川に筆を走らせていました。

Le thème principal fut d’écrire le caractère chinois « Etoile », d’apprendre les bases de sa composition dans le style de base kaisho (楷書) pour pouvoir ensuite l’écrire librement dans un style cursif (Gyosho 行書 ou Sosho 草書)… Mais écrire librement, en réalité, c’est bien plus difficile qu’on pourrait le croire ! D’un côté, il ne faut pas céder à la peur de se tromper et s’efforcer d’oublier le modèle. De l’autre, il ne faut pas non plus écrire n’importe quoi n’importe comment. En tout cas, c’est un bon exercice pour chercher le juste milieu des choses.

今日のテーマは星です。 はじめに楷書で星を書いてみます。といっても 最初から上手に書くのはなか なか難しいのですが、失敗を恐れずに自由に書いてみましょう。手本にこだわらずに楽しく書きましょう。 それから、下の写真の左側の字のように漢字の基本となる楷書を書いて、次に 行書 から 草書へと くずしていきます。楷書で基本を押えておきましょう。筆の運びを同じ傾きにします。そして、スペースは同じ幅にそろえると見やすくてきれいに書けるようになりま す。

L’atelier d’écriture « libre » de la Tanabata a dérivé vers quelque chose de très intéressant, regardez ! Surtout ne me demandez pas comment on en est venu des ciels d’étoiles au dessin du chat, je n’en ai vraiment aucune idée !

私の教室では、生徒さんに七夕にちなんで自由に作品を書いてもらいました。「空の星」とか「天の川」など、とても楽しかったです。その時の生徒さんたちの作品が下の写真です。ご覧ください。