Dans une ancienne version de ce blog, nous vous avions déjà parlé du grand bananier, vous vous souvenez ? Et bien aujourd’hui on y revient encore.
J’arrête ici les petits nouveaux ou les lecteurs amnésiques : aucun rapport avec une boisson chocolatée en poudre (oui je sais, elle était facile celle là), il s’agit de Bashô (芭蕉 1644-1694), une sorte de Baudelaire nippon sans l’absinthe, l’opium ni les femmes. Car si l’avis de ce blog vous intéresse, les artistes japonais semblent avoir en règle générale une vie bien plus saine que leurs homologues occidentaux. En tout cas, nous retiendrons que l’inspiration principale de Bashô, ce sont les choses de la nature, les beaux paysages et le passage des saisons… le tout en état de parfaite sobriété, s’il vous plait.
Bashô, c’était un homme qui a révolutionné la poésie japonaise et un vrai artiste engagé comme ce blog les aime !
Alors attention sur ce que nous entendons par « engagé ». En réalité, il est resté célibataire jusqu’à sa mort même si selon certains témoignages, il « aurait » entretenu pendant de nombreuses années une relation avec une femme qui « serait » devenue mère célibataire dans la période… Le mystère restera entier sur sa descendance ; officiellement, notre poète a entièrement dédié sa vie au célibat et à la bonne cause : la poésie. Il est tout de même le papa reconnu du haiku, une version très courte de poème japonais en trois vers de 5-5 et 7 syllabes. Ou 7-5-5. Ou 5-7-5 (contrairement au tiercé, dans le haiku l’ordre importe peu tant que vous avez la combinaison « deux cinq / un sept »).
Dans sa dernière décennie, alors qu’il s’était fait un petit nom dans le milieu et qu’il aurait pu en profiter pour se la couler douce, Bashô ne s’est pas reposé sur son bananier (ha ha ha elle est bien bonne n’est-ce pas ?), il s’est mis à parcourir le Japon de long en long (la forme de l’île principale) à la recherche perpétuelle d’inspiration pour ses poèmes… tout en tentant de recruter de nouveaux disciples.
Oui mais attention ! C’était une grande prise de risque… Le voyage au Japon du 17ie siècle était bien loin de la franche rigolade d’aujourd’hui dans les trains grande vitesse avec la clim et les sièges inclinables. A l’époque, c’était un véritable défi physique et beaucoup de personnes y ont laissé leur vie… ce fut le cas pour Bashô car la maladie l’a emporté lors de ce qui devait n’être qu’une escale de son (tout dernier) voyage.
Pour ce qui concerne ce post, nous allons parler d’un autre voyage qu’il a bien fini et dont il a fait le récit dans son très célèbre journal « Oku no hoso michi« . L’étroit chemin du fond. Depuis Edo (l’ancien nom de Tokyo), il est parti dans le grand nord du Japon, cette région rendue tristement célèbre par le tsunami de 2011 mais qui, bien avant ça, contenait un nombre important de sites magnifiques dont les charmes avaient été moult fois vantés par les grands poètes classiques.
Ensuite, il est redescendu vers le sud en longeant le bord de la mer du Japon jusqu’aux environs du lac Biwako. Au total, à peu près… 2400 km !!! Et oui, c’est pourquoi ce blog se permet des prises de position sur l’hygiène de vie des artistes japonais, figurez-vous.
Il existe plusieurs versions de « Oku no hoso michi » car Bashô ne s’acharnait pas seulement sur les kilomètres mais également sur ses écrits qu’il travaillait, retravaillait et re-retravaillait… pour mieux les re-travailler ensuite ! Dans la dernière version du journal, manuscrit réalisée de sa belle main avec son plus beau pinceau, six ans après son retour de voyage, sur les 32 pages, on en compte 24 qui sont retouchées avec des patch pas très discrets… Regardez :
Un manuscrit qui a de la correction donc !!!
Ou qui était bourré d’erreurs diront les plus pessimistes de nos lecteurs.
On trouve plusieurs sortes de corrections. Pour commencer, celles qui viennent probablement de petites fautes d’attention en recopiant son brouillon. Dans ce cas, Bashô tentait tout d’abord de les effacer en utilisant un petit bout de bois pour gratter le papier, un peu comme le principe d’une gomme. Quand le seul grattage ne suffisait pas pour masquer l’erreur ou quand le papier s’était déchiré dans la manœuvre, il collait un petit morceau de papier sur lequel il ré-écrivait le ou les bons caractères.
Dans d’autres cas, ce sont carrément des passages entiers qui ont été l’objet d’un bon copier coller à l’ancienne. Pour finir, avec des analyses poussées de radiographie et en vérifiant notamment les fils et les trous d’aiguilles sur la reliure du manuscrit, on a également découvert que cela ne coïncidait pas toujours et que certaines pages avaient été déchirées alors que d’autres avaient été rajoutées après.
Vous allez donc monter au créneau pour protester car merci mais bon on n’apprend pas grand chose de révolutionnaire : vous aussi vous faisiez ça avec votre cahier d’école sous le regard désespéré de votre maîtresse (faut dire que le tipex d’autrefois, c’était du travail de cochon garanti).
Pour la défense de ce blog, je me suis dit qu’à notre époque numérique où l’on ne garde plus aucune trace de nos corrections, un petit rappel sur les fondamentaux du couper-copier-coller ne ferait jamais de mal. Ensuite, permettez-moi de conclure que le génie ça se travaille, il n’y a pas lieu de faire de complexes ou de tergiversions « ai-je suffisamment de talent ou non ? » mais bien de relever ses manches et de se mettre au boulot.
C’est peut être aussi un mythe qui tombe pour ceux d’entre vous qui pensaient que, de part le caractère indélébile de l’encre de Chine, les calligraphes avaient pour obligation d’écrire avec beaucoup de soin sans ne commettre aucune erreur sous peine de devoir tout recommencer depuis le début ! Mais si vous voulez l’avis de ce blog qui décidément aime trancher dans le vif : Bashô avait bien plus de déontologie poétique que calligraphique.