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La calligraphie japonaise tout en abstraction

Il me semble que je vous ai déjà dit que l’époque Heian était ma période préférée dans l’histoire du Japon, mais vous-ai-je déjà raconté pourquoi j’adore la calligraphie japonaise représentative de cette époque ? Non ?

Tant mieux car c’est le sujet de notre post d’aujourd’hui et je m’en voudrais de radoter et de vous raconter tout le temps les mêmes histoires (enfin du moins, je m’y efforce à défaut d’y arriver).

A l’époque Heian, on trouve les plus belles œuvres de calligraphie en kana, les caractères crées par les japonais (par opposition aux caractères kanji qui ont été  empruntés aux chinois).

Les premières traces d’écrit japonais datent du 5ie siècle, à cette époque-là, on utilisait exclusivement les idéogrammes chinois (un caractère = un concept). Ces caractères n’étaient pas vraiment adaptés à la transcription de la langue japonaise. Que ce soit pour les concepts abstraits ou rien qu’en ce qui concerne les formes grammaticales, transmettre un message uniquement à l’aide de concepts s’avère bien vite limité !

Pour pallier à ce problème, les japonais ont commencé par détourner l’utilisation des idéogrammes chinois c’est-à-dire qu’au lieu d’utiliser le concept du kanji pour la transcription, on utilisait sa sonorité. Le premier recueil de poème japonais, le Manyoshu (8ie siècle) était écrit de cette manière. Par exemple, le kanji du nombre quatre « 四 » se prononce « Shi », on écrivait donc « 四 » pour la

sonorité « Shi » sans qu’il n’y ait aucun rapport avec le sens quatre. Cela pouvait être un peu plus tarabiscoté par moment : le kanji « 蟻 » veut dire fourmi et en japonais, une fourmi se prononce « ARI »… Ari est un homonyme de l’existence. On écrivait donc « 蟻 » pour écrire le mot existence. C’étaient en réalité les mêmes principes que le rébus.

Un petit rébus pour voir si vous me suivez bien...
Un petit rébus pour voir si vous me suivez bien…

Petit à petit, les japonais sont passés à une simplification de l’écriture rébus en gardant la forme mono-syllabe uniquement, un caractère = une syllabe, on garde le quatre et on abandonne la fourmi. Ensuite, le processus de simplification s’est opéré également sur la forme du caractère ; au lieu d’écrire tous les traits du kanji un par un, ce qui peut s’avérer particulièrement long dans certains cas (19 traits pour la fourmi !), ils ont cherché à obtenir plus rapidement une forme, en un ou deux coups de pinceau. C’est ainsi que sont nés les kanas :

La naissance des kana  か"KA" et な"NA"
La naissance des deux kana か »KA » et  な »NA » à partir des kanji 加 et 奈

Au début de l’époque Heian, les japonais se sont mis à écrire de la poésie japonaise exclusivement avec les kana. Dans cette période de paix où l’on jouissait d’une stabilité propice au développement des arts, les calligraphes de la cour Heian ont ouvert de nombreuses voies de recherche esthétique.

Quelques exemples pour écrire "HITO", la combinaison des deux kanas ひ+と
Quelques exemples pour écrire « HITO », la combinaison des deux kanas ひ+と

La plus évidente des voies consista à s’efforcer de donner une belle forme au kana, et, dans la suite logique de cela, de chercher à les lier gracieusement les uns aux autres. Il n’y a rien de très mystérieux dans cette voie-là, n’est-ce pas ? Nous autres occidentaux, nous comprenons bien que pour écrire un beau mot, il faut aller au-delà d’un beau « m » suivi d’un beau « o » suivi d’un beau « t », il est tout aussi crucial (voire même bien plus important) de trouver le bon enchaînement et la bonne balance des trois lettres.

Une autre voie, qui vous semblera peut être un peu plus originale car très spécifique à la calligraphie japonaise, fut de rechercher l’esthétisme en travaillant la composition générale du manuscrit. Pour citer quelques « classiques » dans les calligraphies de l’époque Heian : les lignes verticales (on lit de haut en bas et de droite à gauche) ne sont jamais tout à fait droites mais légèrement incurvées vers la droite.

Ce n'est pas droit mais c'est fait exprès (pour une plus jolie composition visuelle)
Ce n’est pas droit mais c’est fait exprès pour obtenir une plus jolie composition visuelle (un écrit du 11-1éie siècle de Ki no Tsurayuki)

Ou les longueurs des lignes sont ajustées sur l’effet visuel de la composition finale, on pourra donc passer à une nouvelle ligne même si on est au milieu d’un vers !

Ou alors, on a longuement plongé son pinceau dans l’encre avant d’écrire certains passages et on fait des gros « pâtés » à certains endroits alors qu’à d’autres, il reste à peine d’encre si bien que les caractères en deviennent presque invisibles.

Des gros pâtés (A), des caractères qu'on ne voit pratiquement pas (B) ou des vers coupés en plein milieu... Et non, on ne se moque de personne, c'est fait exprès !
Des gros pâtés (A), des caractères qu’on ne voit pratiquement pas (B) ou des retours de ligne qui ne correspondent pas à l’endroit où l’on aurait du couper les vers du poème… Et non, on ne se moque de personne, c’est fait exprès (un écrit du 11-1éie siècle de Ki no Tsurayuki).

Ces choses ne sont pas le fait du hasard, de la maladresse ou de l’étourderie du calligraphe mais bien le résultat d’une exploration volontaire artistique, d’une recherche d’esthétisme. Ces pratiques étaient aussi des manières pour mieux exprimer et mettre en valeur le contenu du poème.

Quelque fois aussi, ces pratiques prenaient une tournure philosophique ! On commençait à dérouler les vers normalement au début de la page, c’est-à-dire en commençant en haut à droite vers le bas à gauche… puis en cours de route, on revenait sur ses premiers pas pour écrire la suite du poème. Les japonais d’autrefois, probablement sous l’influence du bouddhisme, avaient acquis l’idée d’un ordre cyclique temporaire sans réelle distinction entre le début et la fin.

L'ordre d'écriture est un peu bouleversé mais là encore, c'est fait exprès !
L’ordre d’écriture est un peu bouleversé, on est revenu sur nos pas pour écrire la 8ie et 9ie ligne… mais là encore, c’est fait exprès (un écrit du 11-1éie siècle de Ki no Tsurayuki)

Les japonais ne se sont pas seulement limités à copier le système d’écriture chinois, ils l’ont amélioré et ont surpassé le concept. D’aucuns disent que dans les premiers temps, les japonais qui ont été confrontés aux écrits chinois ne comprenaient rien de ce qu’ils écrivaient (pour le coup, c’était vraiment du chinois !!!) ; c’est ainsi qu’ils ont pu porter l’aspect visuel et esthétique au premier plan et donner à la calligraphie un caractère abstrait, chose que n’ont pas su faire leurs homologues chinois emprisonnés par le souci de transmettre avant tout le sens de ce qu’ils écrivaient.

C’est pourquoi aussi chacun (et vous bien sûr, très chers lecteurs) devrait être en mesure d’apprécier une belle calligraphie japonaise même sans être capable d’en déchiffrer le contenu.

Du moins en théorie…

Un bon claquement de porte au nez

Il me semble que je vous ai déjà parlé de cette fabuleuse période du Japon médiéval, n’est-ce pas ? Cette période où le Japon connut un apogée dans la création poétique ainsi qu’une grande liberté en ce qui concerne les relations amoureuses.. et sexuelles !

Récemment, j’ai découvert qu’il y avait aussi des belles histoires basées sur des rapports de simple amitié entre les hommes et les femmes de l’époque. Enfin au moins j’ai trouvé UNE histoire d’échanges platoniques que je vais vous conter dans le post d’aujourd’hui.

Une courtisane japonaise version Heian Jidai
Une courtisane japonaise version Heian Jidai

Dans cette histoire, entre tout d’abord en scène une éminente personne : Dame Sei Shônagon (966?-1025?) une très grande écrivaine et très grande poétesse, auteure d’écrits classés aujourd’hui dans les chefs d’oeuvre de la littérature japonaise : le « Makura no Soshi » (枕草子) littéralement « Ecrits d’oreiller ». La traduction française de ce livre porte aussi le nom « Notes de chevet », un sens qui permet de comprendre facilement qu’il s’agit d’une sorte de journal intime. Il manque malheureusement le double sens japonais de « Makura », l’oreiller : au delà de l’objet physique, il désigne aussi une figure de style en poésie.

Tout cela pour vous dire : Dame Sei Shônagon était non seulement une femme de lettres très intelligente et très cultivée mais elle avait également beaucoup d’esprit.

Dans ses notes d’oreiller, elle raconte à deux reprises les échanges qu’elle a eu avec le grand calligraphe Fujiwara Yukinari (972-1027). De parole de ce blog (de calligraphie japonaise), Yukinari était un calligraphe exceptionnel et il est monté sur le podium dans le classement officiel des plus grands calligraphes de la période Heian.

Une copie d'un manuscrit de Fujiwara Yukinari, excécutée de la blanche main de votre hôte, l'auteure du blog.
Une copie d’un manuscrit de Fujiwara Yukinari, exécutée de la blanche main de votre hôte, l’auteure du blog.

Yukinari n’était pourtant pas un jeune homme très populaire à son époque, il avait la réputation d’être plutôt barbant. Ce n’était sûrement pas un adepte des divertissement « à la mode Heian » ; par exemple, on ne lui connait pas de prestigieux tableau de chasse amoureux.

La première idée qui m’a traversé l’esprit fût que Yukinari n’avait peut être pas été gâté par la nature et qu’à défaut de plaire aux filles, il s’était donc rabattu sur la calligraphie. Cette hypothèse est toutefois réfutée par les notes de Dame Shônagon : Yukinari n’était pas si mal fait de sa personne quand même. Et surtout, il été doté d’un très bel organe… c’est-à-dire une très belle voix, restez corrects s’il vous plait !

Venons-en plutôt au cœur de l’intrigue : un soir, alors qu’ils échangent poèmes et histoires littéraires dans la villa de Dame Shônagon, Yukinari prend congé brusquement, prétextant qu’il ne peut s’attarder plus. C’est un départ impromptu et plutôt inélégant pour cette grande époque de raffinement qu’est l’époque Heian.

Qu’à cela ne tienne, attendez la suite.

Le lendemain, une lettre arrive au domicile de Dame Shônagon, une lettre de plates excuses de Yukinari qui, de sa plus belle écriture, s’explique sur les raisons de son empressement de la veille. Il avait entendu le chant d’un coq et pensant que le jour était prêt à se lever, il était hâtivement rentré chez lui car un travail important l’attendait au palais impérial. Ce n’est qu’en sortant de la villa qu’il avait alors réalisé que c’était encore le milieu de la nuit.

Et oui ! On a vite oublié ce que c’était de vivre dans une époque sans montre à quartz mais cela pouvait générer de nombreux malentendus en tout genre.

Quoiqu’il en soit, à cette gentille lettre d’excuse se doit une réponse ; Dame Shônagon prend son pinceau et, à la hauteur de sa très grande réputation (non usurpée) de femme d’esprit, elle choisit d’ironiser l’histoire. « Un coq qui chante en plein milieu de la nuit ? De quel coq s’agissait-il donc ? N’auriez-vous pas plutôt recours au subterfuge du seigneur Mengchang devant la porte de Hangu ? (A la défense de Yukinari, je me permets de préciser que si votre voisin a soudain l’idée saugrenue de faire de son jardin un poulailler comme cela est arrivé à mes parents par exemple, vous l’entendrez bien ce fameux chant du coq, au moins cinq à six fois avant que le petit matin se lève vraiment).

Dans les grands classiques chinois, on relate l’histoire du seigneur Mengchang et de ses trois mille hommes qui se retrouvèrent devant la grande porte qui bloquait l’accès au col de Hangu. C’était un point stratégique dans l’ancienne Chine car il permettait d’entrer dans le pays de Qi où sourdait la rébellion. La porte était bien gardée et il y avait un couvre-feu, les gardes postés avaient pour ordre de fermer la porte le soir et de ne la rouvrir qu’au petit matin. Là, on était en plein milieu de la nuit, le seigneur Mengchang et ses hommes étaient poursuivis et ils ne pouvaient guère se permettre de perdre de précieuses heures à attendre l’aube ! Le seigneur eut alors l’idée d’utiliser le talent d’un de ses hommes à imiter le chant du coq ; c’est ainsi qu’il dupa les gardes et qu’il provoqua l’ouverture prématurée de la porte. Ils purent alors s’échapper et chercher refuge dans leur pays natal.

Voilà comment étaient construites les vannes de l’époque Heian ! Il me semble qu’elles étaient bien plus difficiles à placer que celles d’aujourd’hui, vous ne trouvez-pas ? Elles faisaient appel à la culture générale de l’individu et les meilleures étaient envoyées par ceux qui avaient une très bonne éducation et une grande sagacité (comme ce fut le cas de notre Dame Shônagon, entre autres). Enfin, il fallait être constamment sur ses gardes car si on plaçait une vanne à votre encontre, il fallait être prêt à renvoyer la balle aussitôt !!! Par exemple, si vous ne connaissiez pas l’histoire de ce seigneur chinois, comment auriez-vous été capable de trouver la bonne répartie ?

Pas d’inquiétudes en ce qui concerne Yukinari, lui aussi est un homme de lettres et la référence ne lui a pas échappée. Dans une nouvelle missive, il se permet d’objecter : l’imitation du chant du coq était destiné à ouvrir la porte à une armée rebelle en déroute… la comparaison ne peut pas tenir ! Yukinari est venu voir Dame Shônagon avec de bien différentes intentions et s’il avait été question de franchir une porte, cela aurait été… la porte d’Osaka.

Et voilà, joli retour de vanne !!!

La porte d’Osaka marque la frontière entre deux provinces du Japon et par un jeu subtile sur les caractères chinois, elle est devenue dans les classiques de poésie japonaise l’endroit où, le soir venu, se rencontrent les amoureux.

Dame Shônagon n’est pas en reste pour autant, détrompez-vous. Pour le final, elle claquera joliment la porte au nez de ce pauvre Yukinari :

 夜をこめて鳥の空音は 謀るとも / Yo o komete Tori no sorane wa Hakaru tomo

よに逢坂の関は許さじ / Yo ni Osaka no Seki wa yurusaji

Le chant du coq en pleine nuit pourrait en tromper plus d’un,

Mais s’il s’agit des gardes de la porte d’Osaka, ils ne seront jamais dupes !

C’est par ce waka que Dame Shônagon s’est retrouvée immortalisée dans l’anthologie des cents poètes Hyakunin-isshu. Il faut reconnaître qu’il témoigne parfaitement des traits de caractère de cette grande Dame pleine d’intelligence et de sagacité !

Les deux cartes du Haykunin-isshu relatives à Sei Shônagon
Les deux cartes du Haykunin-isshu relatives à Sei Shônagon

Les fines fleurs du Japon

Qu’on se le dise (et d’ailleurs je crois que je vous l’ai déjà dit, non ?)  : dans l’histoire du Japon, l’époque préférée de ce blog c’est la période médiévale Heian. Elle commence vers l’an 792 avec le déplacement de la capitale de Nara à l’emplacement actuel de Kyoto pour s’achever en 1192 avec la prise de pouvoir des seigneurs guerriers et l’établissement du Shogunat de Kamakura.

Pourquoi j’aime cette période me demanderez-vous ? C’est très simple : parce que c’est une période très féminine de l’histoire du Japon où la culture, les arts et bien sûr la calligraphie et la poésie sont à leur apogée. Par exemple, à l’époque précédente, la période Nara, la manière d’écrire de la poésie était franche, sincère voire un peu naïve. C’est à l’époque Heian qu’elle atteint une ampleur sans précédent et que les poèmes japonais se chargent de bien plus de sensibilité et de subtilité…

Signe que les femmes avaient fini par imposer leur style dans la société !

Dans ce blog qui aime bien taquiner les hommes de temps en temps, on reconnaîtra qu’il faut probablement tenir compte du contexte historique aussi. En japonais, Heian signifie paix, tranquillité ; on entre dans une période de l’histoire où il n’est plus question de conquérir le pouvoir mais plutôt d’asseoir l’autorité impériale en place. Dans ce prolongement d’idée, c’est une période de stabilisation propice à la recherche du perfectionnement et du raffinement dans tous les domaines, que ce soit pour augmenter et mieux prélever la taxe sur le riz ou pour écrire de la poésie. 

Les fleurs de prunier version 2014 sont arrivées !
Les fleurs de prunier version 2014 sont arrivées !

La poésie en vogue à l’époque Heian était le waka (和歌 « chanson à la mode japonaise »), un style de poésie où les contraintes de style ne sont pas dans les rimes mais dans le rythme.

Vous connaissez probablement le haiku, le très court poème qui est construit en 3 vers de 5 – 7 – 5 syllabes ? C’est un style de waka mais qui est apparu bien plus tard, vers le 17ie siècle.

A l’époque Heian, il y avait par exemple le tanka (短歌 « chanson courte ») constitué de trente-et-une syllabes découpées en 5 vers de 5 – 7 – 5 – 7 – 7 syllabes.  

Attention, ce n’est pas que les japonais aient été particulièrement portés sur le mysticisme des combinaisons de nombres premiers impairs mais surtout que c’est un style fait pour la langue japonaise, où l’on peut construire  facilement une phrase sur 5 ou 7 syllabes. Mission totale(5)ment im(7)possible pour la langue française par exemple(21 syllabes !!!).

Néanmoins, pour faire passer tout un message en si peu de syllabes, il faut procéder par images et le waka est un genre de poésie-photographie si vous voulez. Ainsi, il va contenir des formules « standard » qui vont faire référence à des phénomènes, des choses ou des sentiments communs que chaque japonais normalement constitué a déjà eu l’occasion de voir ou expérimenter. Par exemple, un grand classique 花の散る Hana no chiru (5) (litt. les pétales des fleurs qui tombent)… Les sakura, bien évidemment !!! Par l’intermédiaire de ces 5 petites syllabes, on replongera dans l’atmosphère d’une journée de printemps début Avril alors que les pétales des fleurs de cerisier commencent à tomber. Ensuite, on rajoute une petite touche de sentiment humain et nos 5 syllabes contiendront également le sentiment du temps qui passe vite, de la déchéance ou de l’impermanence des choses.

Je vous ai dit que les courtisans de Heian utilisaient la poésie pour mieux compléter leur tableau de chasse, n’est-ce pas ? J’avoue, ces propos sont très réducteurs car il existe bien d’autres sujets et d’occasions pour écrire un joli poème à la japonaise.

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Mon interprétation calligraphique des propos ironiques de Ki no Turayuki

Comme dans ce blog, on aime aussi les hommes d’esprits de la grande époque Heian, je vais vous présenter le tanka de Ki no Tsuruyuki, un très célèbre poète du 9ie siècle.

Pour resituer le contexte, Tsurayuki est revenu dans son village natal après de longues années d’absence qu’il avait passées à la cour impériale. A un habitant qui se targuait que rien n’avait changé dans le village en l’absence du poète… Tsurayuki a déclamé le poème suivant :

人はいさ /  Hito wa i sa (5)

心もしらず / Kokoro mo shirazu (7)

ふるさとは  / Furasuto wa (5)

花ぞむかしの / Hana zo mukashi no (7)

香ににほひける  / Ka ni nihohikeru (7)

 » Quant aux cœurs des hommes, je ne saurais que dire mais le parfum des fleurs de mon village natal m’a réservé le même accueil qu’antan « 

Les pruniers du Kitanotenmangu version 2014 sentent toujours aussi bon le printemps qui s'approche !
Les pruniers du Kitanotenmangu version 2014 sentent toujours aussi bon le printemps qui s’approche !

C’était un tanka un peu ironique et Tsurayuki n’a certainement pas reçu le meilleur des accueils en arrivant dans son village natal. Probablement que sa réputation de grand poète et critique à la cour impériale avait attisé la jalousie de ces amis d’enfance… la nature du cœur humain est propice aux changements de sentiment, que voulez-vous ! Heureusement qu’il restera toujours le doux parfum des fleurs… Si vous connaissez les standards du waka ou que vous êtes déjà venu au Japon au mois de Mars, vous aurez compris évidemment qu’il s’agissait des fleurs de pruniers !

Y-a-t-il un pilote dans cet avion ???

Résumé des épisodes précédents : Dans ce blog aux grandes qualités tout court, nous avons approfondi la dernière fois notre connaissance des trois types de caractères qui constituent l’écriture japonaise : les deux alphabets syllabiques les hiragana (ひらがな) et les katakana (カタカナ) et les kanji (漢字), les idéogrammes d’origine chinoise… continuons encore un peu plus loin aujourd’hui !
 

Ma période préférée dans l’histoire du Japon, c’est la période Heian.

Pourquoi donc ? Parce c’est une période faste de développement de la culture japonaise, plus particulièrement dans le domaine de la poésie et de l’écriture japonaise. Parce qu’à cette époque, la capitale du Japon, c’était Kyoto (pour ceux qui n’auraient pas suivi : j’habite à Kyoto).

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Le temple Kyomizudera à Kyoto (la vraie et la seule capitale du Japon pour ce qui me concerne).

A cette époque, les gens n’avaient pas la télé ou internet, ils en avaient du temps à passer !!! Ils le passaient avec des activités ludiques très créatrices c’est à dire… collectionner les aventures amoureuses à gauche à droite sans se soucier des liens familiaux éventuellement existants. C’était un peu les feux de l’amour japonais sauf qu’à cette époque là, ce genre de pratique était bien moins dangereuses (aucune MST n’a été répertoriée à cette époque).

Enfin attention !!!

Ce ne fut pas pour autant que les gens de l’époque Heian tombèrent dans la vulgarité. Il fallait respecter les formes dans la phase d’approche par exemple : composer des jolis poèmes d’amour, les recopier joliment sur du papier et les transmettre joliment à la personne convoitée… les coucheries étaient tout un art !!! Même si les règles étaient codifiées et que c’était l’homme qui devait attaquer le poème d’ouverture… un très grand nombre de femmes entrent dans le top ten des meilleurs poètes de l’époque. Des femmes en haut de l’affiche au moyen âge… c’est-y pas formidable ???

Formidable à condition de faire partie de la crème… la place d’un simple paysan de l’époque Heian n’était vraisemblablement pas des plus enviables, me direz-vous ! Pure spéculation, vous répondrai-je. Pour juger de ce qui se passait à une époque aussi ancienne, une mémoire d’homme ne suffit pas ; il faut une trace écrite. Or, à cette époque, il n’y avait que les gens des grandes familles de nobles qui savaient écrire et ces gens là utilisaient cette précieuse compétence pour transcrire leur quotidien à eux. La vie du tout-venant, ma foi… (probablement qu’ils s’en fichaient un peu). Par ailleurs, il est fort probable qu’ils enjolivaient leurs histoires du mieux possible surtout sur les anecdotes les concernant directement ou leur famille et leurs alliés.

Ce qui n’est en revanche pas le cas dans ce blog éducatif qui se revendique de mon opinion 100 % objective, vous pouvez me faire confiance.

Mais le vrai développement de mon histoire arrive, ne vous impatientez pas ! En fait, les premières traces d’écrit japonais datent du 5ie siècle, ce qui nous situe avant l’époque Heian. Les japonais, dans leurs diverses échanges avec le grand empire Chinois, ont découvert l’écriture chinoise et ont probablement assez vite saisi la force que leur procuraient un tel moyen. Ils ont donc tenté (avec plus ou moins de réussite) de s’approprier l’écriture chinoise.

Une langue orale japonaise existait (il semblait difficile de revenir là dessus) mais cette langue était bien loin de remplir les conditions d’harmonie avec une transcription utilisant des caractères crées pour la langue chinoise. Avec les idéogrammes chinois, je vous rappelle un caractère = un concept… comment allait-on faire notamment pour transcrire les formes grammaticales du japonais ???

Impossible n’est pas japonais !!! Pour le cas où la transcription via un concept n’était pas envisageable, les japonais ont utilisé les caractères chinois en leur associant une prononciation déterminée et en ignorant leur signification ; les premiers écrits japonais étaient donc une sacrée belle pagaille ! Lecture par le concept ou par la prononciation, un peu selon l’humeur du jour… Après quelques générations de calligraphes, l’écriture s’est transformée et les caractères utilisés pour leur prononciation se sont distingués de leur caractères d’origine.

Un exemple d’écrit de la grande époque Heian

Deux cent ans plus tard, alors que s’ouvre la grande période Heian, on utilise principalement les caractères « kana », les ancêtres des hiragana et katakanas ; ce sont des formes graphiques simplifiées des idéogrammes chinois auxquels on a associé une seule et unique sonorité… comme nos bonnes vieilles lettres de l’alphabet.

Les kana étaient aussi appelés « Onna-de » (女手 littéralement main de femmes). Une explication romantique serait que les femmes japonaises aient été à l’origine des kanas… Une explication pragmatique dira plutôt qu’à cette époque, les idéogrammes « Otoko – homme 男 » et « Onna – femme – 女 » permettaient aussi de distinguer les créations de l’Empire chinois de celles des autres pays asiatiques (Japon, Corée, Vietnam…). Les caractères chinois étaient les « Otoko-de », (男手) littéralement main de l’homme et l‘alphabet coréen (hangeul) était aussi désigné par Onna-de. 

568px-Izumi_Shikibu_sylvieVoilà comment sont nés les caractères japonais et qu’ils ont été intensivement utilisés pour écrire de le top du top de la poésie japonaise. Avec leur si charmante apparence tout en rondeur, ils ont été à l’origine de tellement de conquêtes amoureuses que l’on s’accordera en toute objectivité à les trouver super sexy !!!

Ou alors, c’est juste moi qui débloque, c’est possible aussi… mais nous verrons ça au prochain épisode. 

Pour une joyeuse Saint-Valentin toute en caractère

Résumé de l’épisode précédent
Dans ce blog de grande qualité instructive tout en restant très amusant, nous avons vu la dernière fois que l’écriture japonaise est constituée de trois types de caractères : les kanji (漢字idéogrammes d’origine chinoise au tracé compliqué), les hiragana (ひらがな caractères propres à la langue japonaise au tracé simple et arrondi) et les katakana (カタカナ propres à la langue japonaise au tracé simple et carré).
 
 

Au Japon, c’est souvent le pays où ne fait pas comme dans les autres pays, mais il y a quand même des choses qui sont « tout ce qu’il y a de plus normal » même pour nous les occidentaux.

La "baie aux anges" de Shodo-shima, un site ultra romantique (au sens touristique du terme).
La « baie aux anges » de Shodo-shima, un site ultra-romantique mais au sens surtout touristique du terme.

Par exemple, la Saint-Valentin au pays du soleil levant est un événement tout ce qu’il y a de plus commercial… avec la particularité que la fête est annoncée dès le mois de Janvier avec les rayons des supermarchés qui se remplissent soudainement de ventes spéciales de chocolat !

Ouf, quelque chose de pas si normal et comme c’est un peu mon fond de commerce, tant mieux !

En effet, il est de coutume que les femmes japonaises offrent du chocolat à leur valentin. Comme les hommes japonais sont par ailleurs plutôt malins, figurez-vous qu’il n’y a pas de règle exclusive concernant qui est désigné comme valentin de quelle demoiselle. Le seul fait d’être un garçon de la classe, un collègue masculin dans le même bureau et… vous voilà octroyé le privilège de recevoir des chocolats sous toutes formes diverses et variées ! Une honteuse ségrégation contre les femmes qui aiment le chocolat, si vous voulez mon avis. Cependant, avant que j’ai pu crier au scandale machiste, une amie japonaise m’a expliqué la contre-partie : en Mars, il y « aurait » une autre fête, où les hommes « seraient » censés offrir de la bijouterie en échange des chocolats de Février. Ce marché « serait » donc financièrement à l’avantage des femmes… Notez que j’utilise le conditionnel car (comme par hasard) cette fête en Mars a un battage médiatique bien plus discret et est bien moins suivie que la Saint Valentin.

chips_chocolat
Des authentiques chips au chocolat (dans la catégorie des choses qu’on ne voit qu’au Japon)

Enfin, pour ce qui nous concerne, la Saint-Valentin va être l’occasion d’avancer dans notre leçon d’écriture japonaise.

Dans le supermarché à côté de chez moi, j’ai trouvé ça (cf photo sur la gauche) et je n’ai pas pu m’empêcher de l’acheter pour vous le montrer. Et vous ne rêvez pas et comme cela est indiqué avec les caractères « romaji » que vous pourrez tous lire sans peine, il s’agit bien de…

CHIPS AU CHOCOLAT !!!

Mais attention car ce sont des 贅沢 ショコラ (« Zeitaku chocolat ») littéralement « Luxe chocolat » . On se tiendra pour dit que je ne vous ai pas choisis pas n’importe quel paquet de chips qu’on trouverait dans le ED japonais du coin pour vous instruire (non mais, pour qui me prendriez-vous par hasard ???).

Et je dirais même plus : しお味に、チョコっと甘さを (« Shio aji ni, choco to amasa wo ») soit tenez-vous bien et préparez-vous au choc dégustatif « le goût salé et la douceur du chocolat ». Miam miam. Je sais pas pour vous mais pour moi, c’est au second degré que je me lèche les babines.

Bon allez, au boulot !

Premier exercice : Identifions les différents type de caractères dans ces deux phrases.

  • les kanji : 贅沢 (luxe) 味 (goût) 甘(douceur, sucré)
  • les katakanas : ショコラ (chocolat avec la prononciation en français) チョコ (chocolat avec la prononciation en anglais « chocolate »)
  • les hiragana : しお(sel)  に (« sur »)  と(« et »)  を(particule introduisant le complément d’un verbe)

Deuxième exercice : Que peut-on en déduire des usages particuliers de chacun des types de caractères ?

  • les kanji… a priori, on les utiliserait pour les noms.
  • les katakana… a priori, on les utiliserait pour les noms d’origine étrangère.
  • les hiragana… à part l’exception du sel, a priori, on les utiliserait pour des particules grammaticales.

Troisième exercice : Quelle est la nature de chacun des types de caractères ?

  • les kanji… si l’on fait exception du « luxe », a priori : un caractère = un concept.
  • Pour les katakana, on a par exemple ショ / cho – コ / co – ラ / la. Il y a une correspondance un caractère, une sonorité.
  • Pour les hiragana, il y a une correspondance un caractère = une sonorité.

Voilà donc la leçon d’aujourd’hui !!!

Les kanji, ces caractères chinois d’apparence plutôt compliquée, sont ce qu’on appelle des idéogrammes, c’est à dire qu’un caractère représente une idée. Un caractère veut dire « goût » par exemple. Quelques fois, c’est plus compliqué et comme pour l’idée du luxe, on utilise des combinaisons de deux autres idées (贅 = extravagance – 沢 = lac). Il n’y pas de lien (évident) entre le caractère et sa lecture… C’est quelque chose peu ordinaire pour nous les occidentaux qui utilisons un alphabet, n’est-ce pas ?

Les hiragana et les katakana sont des alphabets syllabiques, c’est à dire qu’un caractère (ou pour certains cas, une combinaison choisie de deux caractères) correspond à une syllabe sonore. Il y 46 caractères par alphabet qui permettent de transcrire la totalité des sonorités de la langue japonaise. Les hiragana sont utilisés principalement pour les formes grammaticales, les noms qui n’ont pas d’idéogramme chinois ou alors, pour simplifier la lecture (par exemple, plutôt que d’utiliser un idéogramme chinois d’usage peu courant, on l’écrit en hiragana que n’importe quel enfant japonais pourra lire). Quant aux katakana, ils sont utilisés principalement pour transcrire les noms d’origine étrangère et/ou pour mettre en relief les sonorités d’un nom (les onomatopées, par exemple).

Voilà, c’est fini pour ce nouveau post et cette nouvelle leçon.

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P.S. 1 : C’est dingue ce qu’on peut apprendre grâce à un seul paquet de chips, non ?
P.S. 2 : Rajoutons une nouvelle touche de salé, un petit grain de sel ! En vérité, dans les dictionnaires, pour le chocolat, vous ne trouverez que la version officielle « chocolate » mais la version française « chocolat » est devenue très à la mode et est vue comme une manière bien plus raffinée de présenter le produit. 
P.S. 3 : L’histoire ne dit pas si ces chips sont vraiment mangeables ou non, c’est vrai que l’on reste un peu sur sa faim du coup ;-).

Comment bien commencer 2014 en s’amusant…

jolie_photo_c_est_toutEn cette nouvelle année 2014 toute fraîche remplie de bonnes résolutions et de profondes remises en question, j’ai décidé de re-centrer mon blog sur mes vraies envies dans la vie ! A savoir… Transmettre tout ce que j’ai appris sur l’écriture japonaise à mes compatriotes qui n’y connaissent rien. Et même soyons ambitieux : aux personnes de langue française qui n’y connaissent pas grand chose. Et puis il y a aussi devenir maître de l’univers mais là, ça n’a pas encore de rapport très direct avec ce post (tout comme la photo que j’ai insérée à gauche d’ailleurs, c’est juste pour faire joli, c’est tout). 

Sacré défi en perspective, n’est-ce pas ? Mais je me sens prête à le relever ici et maintenant. Tout en reconnaissant la forte possibilité de ne jamais aller jusqu’au bout de l’exercice et d’abandonner au bout de quelques semaines, c’est vrai.

Contre les propos de mes éventuels détracteurs, ce ne sera que l’occasion de citer le très grand artiste japonais, Okamoto Taro, connu pour ses prises de position très avant-gardiste et pour cette drôle de statue-totem très beaubourg-rien dont il était le créateur et qui fut au centre de l’exposition universelle d’Osaka en 1970. Ce Mr Okamoto (de son prénom Taro) expliquait par exemple comment il avait eu pour projet de devenir moine. Et qu’il avait abandonné trois jours plus tard. Et ensuite, comment il avait décidé d’écrire son journal. Et qu’il avait encore abandonné quelques jours après. Ce n’était pas pour autant qu’il se sentait découragé ou qu’il pensait être quelqu’un de peu consistant et bien trop léger dans l’âme. Non non non. Bien au contraire ! Il estimait qu’il était un modèle à suivre et que nous devrions tous avoir comme objectif de rechercher nos passions et de les vivre à 100% quand bien même elles seraient d’un naturel fortement volatile. Si nos actions sont motivées par l’envie, les poursuivre est le meilleur moyen d’apprendre à se connaître et de découvrir sa vraie nature. Cependant lorsque l’envie disparaît et que seule subsiste l’obligation de continuer pour pas « gâcher »… il faut abandonner sans regret d’aucune sorte et passer à autre chose, disait-il. Car là, on n’est plus du tout dans le cadre de sa vraie nature intime qui s’exprime. 

Il m’a sacrément décomplexé face à mes déboires bloguesques, ce grand homme. 

Pour en revenir au vrai sujet du post maintenant (pour rappel : Transmettre tout ce que j’ai appris sur l’écriture japonaise à mes compatriotes qui n’y connaissent rien. Et même soyons ambitieux : aux personnes de langue française qui n’y connaissent pas grand chose).

J’ai commencé par me mettre à la place de quelqu’un comme vous qui n’y connaissait rien du tout au sujet (pour rappel : l’écriture japonaise) et j’ai tenté de deviner la première idée qui vous viendrait à l’esprit. Et j’ai trouvé celle là : « quand bien même je m’intéresserais à ce sujet un peu ch… qui a l’air de manquer de flingues et de nanas en bikini, comment je pourrais bien savoir si on ne se fiche pas de moi et que le texte que l’on me montre est bien un texte écrit en japonais ??? Hein d’abord, je vous le demande ??? »

C’est une très bonne question d’autant que si vous êtes aussi nul sur le sujet que vous le prétendez, vous ne savez peut être pas que les Japonais n’ont pas inventé leur écriture. En réalité, ils ont piqué les caractères aux Chinois et même s’ils les ont modifiés par la suite et en ont fait une version très japonisée… il reste une grande ressemblance entre un texte écrit en japonais et un texte écrit en chinois.

Soyons concret, lequel des textes est du chinois et lequel est du japonais, à votre avis ?

岡本太郎(1911年2月26日-1996年1月7日)、日本藝術家。1929年(昭和4年)至1940年(昭和15年)為止,岡本太郎都居住在法國。岡本太郎對於抽象美術運動與超現實主義運動都有影響。他最有名的口號是「藝術就是爆炸」。

ou

岡本 太郎(おかもと たろう、1911年(明治44年)2月26日 – 1996年(平成8年)1月7日)は、日本の芸術家。血液型はO型[1]。 1929年(昭和4年)から1940年(昭和15年)までフランスで過ごす。抽象美術運動やシュルレアリスム運動と直接関わった。

Et vous me répondrez : « les deux sont du chinois voyons !!! »

Ha ha ha. On me l’avait jamais faite celle là ;-|

C’est le deuxième extrait qui est en japonais. Si vous regardez d’un peu plus près, vous apercevrez probablement plusieurs types de caractères à l’intérieur du texte. Certains caractères sont très compliqués, ils ont un tracé plutôt complexe ; ce sont les kanji, les caractères d’origine chinoise, par exemple : « 岡本太郎 ». D’autres caractères ont un tracé plus simple ; ce sont les hiragana et les katakana, les caractères crées par les Japonais pour la langue japonaise comme par exemple « おかもと たろう » et « フランス ». 

Voici donc la réponse à votre question, si vous arrivez à faire la différence entre les complexes kanji et les simples hiragana et katakana, vous êtes donc en mesure de faire la différence entre un texte écrit en chinois et un texte écrit en japonais. Vous devriez donc faire un carton dans le nouveau jeu « regardez cette photo, on est au Japon ou pas ? » qui pourrait faire fureur en 2014 (enfin si ça ne tenait qu’à moi).

Alors, à votre avis ??? C'est du japonais ???
Alors, c’est au Japon ou pas ???

Malheureusement, il y a une faille dans la tactique. Si par exemple, si vous vous promenez dans Kyoto comme moi et que vous prenez des pancartes d’indication, ça ne marche plus si bien.

Sur la photo à gauche, vous avez du bol.

Sur la photo d’en haut ou d’en bas, et bien non, loupé !

Car les kanji sont utilisés pour écrire les noms (notamment les noms de temple ou de musées qui sont si nombreux à Kyoto), les caractères hiragana pour écrire les formules grammaticales du japonais et les caractères katakana pour les noms d’origine étrangère. Si jamais vous avez l’ambition de briller en société en devenant un vrai pro du nouveau jeu 2014, il va donc falloir affiner votre tactique…

Mais pas d’inquiétude, je vais m’efforcer de vous y aider dans les prochains posts !

jolie_photo_mauvais_exemple
Et oui, c’est loupé, c’est un temple japonais dont le nom est écrit rien qu’en kanji.

De la couleur des cerisiers…

Voici une très très belle preuve que ce blog qui n’est pas du tout à la pointe de l’information et qu’il suit avec beaucoup de retard et surtout très grande peine les tendances actuelles. Mais détrompez-vous peut être : je suis en réalité très fière de ce parti pris… même s’il est involontaire et qu’il témoigne aussi d’un vilain défaut de ma personnalité dont je n’arrive pas à me défaire.

Il m’a fallu 10 jours pour me décider à poster mes photos 2013 de cerisiers en fleur, il faut savoir par ailleurs, qu’il y a eu un orage ce week-end dernier, deux jours de pluie en continu ! Vous imaginez le résultat sur les délicats pétales fleurs de cerisier… à part dans les caniveaux, vous n’en verrez plus beaucoup à Kyoto cette semaine. Ces photos sont bien de l’information complètement décalée, je rajouterai de plus : dans le bon sens inverse des fuseaux horaires France-Japon.

Quant à cette  pluie, ennemie mortelle des cerisiers qui n’en finit plus une fois qu’elle est partie et avec qui on a à faire pour la journée (quand on a de la chance) voir jusqu’au lendemain soir… Malheureusement, c’est un grand classique du Japon, on l’appelle la longue pluie de printemps (春雨 « Haru-same » ou « 長雨 » « Naga-me »).

C’est aussi heureusement un grand classique pour la poésie japonaise, une expression qui était du meilleur effet dans la cour impériale de la grande époque Heian ! « Naga-me », quand on l’écrit comme ça « 長雨 », ça veut dire littéralement longue pluie. Sauf que quand on l’écrit comme ça « 眺め », ça veut dire aussi contemplation (sur le sens de l’existence en particulier). Donc si on écrit « Naga-me » comme ça « ながめ » c’est à dire sans aucun caractère distinctif permettant de désigner l’un des deux sens, ça donne en résultat un état d’esprit entre le questionnement très philosophique sur le sens de la vie et la profonde déprime de voir cette interminable pluie de printemps qui n’en finit pas et qui nous gâche le plaisir printanier des fleurs de cerisier… le tout en trois syllabes s’il vous plait !

Il y a par exemple un poème d’une femme Ono-no-Komachi (小野の小町), une très grande poétesse du 9ie siècle (même si littéralement son nom signifie « Petite ville du petit champ ») :

花の色は / Hana no iro ha     移りにけりな / Utsuri ni keri na

いたづらに / Itadura

我が身世にふる/ WagamiYonifuru ながめせしまに / Nagameseshimani

Alors qu’il ne cesse de pleuvoir et qu’elle se voit plongée dans de sombres pensées sur son existence et le temps qui passe… s’il y a enfin une accalmie de cette interminable pluie de printemps, c’est pour découvrir que les pétales de cerisier ont presque tous disparus ! Traduction : 

sakura花の色は 移りにけりな / Hana no iro ha Utsuri ni keri na … La couleur des fleurs de cerisier s’affaiblit…

 いたづらに / Itadura

… En vain…

我が身世にふる / Wagami Yonifuru

… Moi qui suis, avec les jours qui passent…

ながめせしまに / Nagameseshimani

Perdue dans mes pensées ??? A contempler la longue pluie de printemps ???

Et pour terminer en beauté, une belle preuve de la merveille d’imprécision qu’est la grammaire japonaise et de la torture qu’est la traduction en français d’un poème ancien… A quoi s’applique selon vous l’adverbe « en vain » ?

S’agit-il des fleurs de cerisiers qui s’effacent si rapidement, de la longue pluie de printemps ou des pensées sur le temps qui passe… au sens de sa propre existence peut être ???

Pour ma part, je pense que tous les doutes restent permis !

L’époque des femmes

Un beau jour, je lève le nez et je regarde ce qu’il y a de gravé sur cette pierre devant laquelle je passe tous les jours

Et je me rends compte soudainement que c’est la tombe de Murasaki Shikibu, la « star » de la littérature japonaise.

Pour ceux qui ne connaissent pas Murasaki Shikibu (honte à eux) : c’est la dame qui a écrit le dit du Genji.

Pour ceux qui ne connaissent pas le dit du Genji (honte à eux), c’est le premier roman psychologique japonais. Une sorte de version en japonais des feux de l’amour mais qui se déroulerait au 10ème siècle. Le héro, un beau prince charmant impérial, serait un peu comme Victor Newman mais sans la moustache. Quoiqu’il en soit, la principale occupation du prince Genji est de multiplier les conquêtes féminines.

Moi, c’est ma période préférée de l’histoire japonaise : l’époque Heian qui a été marquée par de très grandes femmes reconnues et respectées pour leur esprit et leur talent littéraire.

Par ailleurs, c’est aussi l’apogée des « kana », un style d’écriture que j’affectionne particulièrement ; on utilise un tout petit pinceau et on trace les caractères avec la pointe uniquement et avec le plus de légèreté possible.

Cette écriture est apparue vers le 8ième siècle ; c’est un style « cursif » où l’on écrit si rapidement les caractères que l’on ne trace pas distinctement tous les traits. En résultat, on obtient ce genre de forme qui ressemble de loin au caractère d’origine… De très loin.

Pour les japonais d’aujourd’hui, il est impossible de déchiffrer quoique ce soit dans la marmelade de caractères de la photo de droite. A l’époque d’Heian pourtant, tous les écrits avaient cette fière allure. Des formes tout en rondeur, tout en légèreté, rien que du raffinement. Il n’y a pas à dire : l‘écriture de l’époque Heian était très féminine dans la forme.

Et surtout : l’écriture de l’époque Heian était très féminine dans le fond également. On disait que Murasaki Shikibu était une femme particulièrement intelligente ; le jour, elle servait à la cour impériale et le soir, à la nuit tombée, elle retranscrivait toutes les intrigues dans son journal. C’est ainsi qu’est né le Dit du Genji, un véritable témoignage des moeurs de l’époque et un trésor littéraire pour l’humanité… 

Sur la pierre est gravé les caractères « Tombe de Murasaki Shikibu » et comme murasaki en japonais veut également dire violet, cette plante est une très belle touche !

Certaines personnes disent également que Murasaki Shikibu était plutôt laide et qu’elle avait donc eu tout le temps d’écrire ! Les multiples histoires d’amour du dit du Genji ne seraient nées que de son imagination ou des récits qu’elle obtenait des jolies filles de son entourage. 

Pendant deux ans, j’ai donc habité à deux pas de sa tombe sans le savoir. Il faut dire que c’est un tout petit cimetière qui ne paye pas de mine et qu’aucun effort n’est fait pour que les touristes ou les étrangers un peu distraits comme moi y prêtent attention… mais ce n’est pas plus mal après tout.

Que Dame Murasaki Shikibu repose en paix à Kyoto !