Vous pensez que la fin d’une oeuvre de calligraphie vient lors du dernier caractère à écrire et qu’après cela, on est tranquille et on peut reprendre son souffle ? Si c’est ce que vous croyez, ce post est pour vous !
Après avoir écrit le texte, il va falloir signer, c’est à dire : écrire son nom suivi du caractère sho « 書 » pour montrer qu’il s’agit d’une oeuvre de votre composition. Prenons mon exemple : je me suis choisis trois kanji « 詩流美 » qui correspondent à la prononciation de mon prénom en japonais Shi-ru-bii. Pour signer une oeuvre, je vais donc écrire « 詩流美書 »… Shi-ru-bii-sho ! Premier problème en perspective : si on a pas prévu le coup, il ne reste pas forcément la place d’écrire le nom. Face à cela, pas de panique, il y a des solutions alternatives. On n’est pas obligé de marquer la totalité de son nom ; un caractère (le premier du nom en général) suffit, un simple « 詩書 » fera l’affaire pour moi par exemple. Il y a aussi l’option de ne pas signer et de se contenter du sceau puisque, traditionnellement, on inscrit son nom sur le sceau. En résumé, il est toujours plus ou moins possible de se rattraper à cette étape là.
Le vrai problème qui n’a aucune échappatoire est l’étape suivante : poser son sceau ! C’est la dernière touche et c’est impossible d’y couper. Par exemple sur la photo de gauche, on reconnait que c’est une calligraphie finie car il y a mon sceau en rouge. Il y est marqué « 詩流美 » dans un style de caractères chinois très ancien (Tensho) qu’on utilise spécifiquement pour les sceaux.
Généralement, le sceau a été sculpté dans de la pierre et pour l’imprimer sur le papier, on utilise une sorte de pâte rouge qui a la même consistance qu’un caramel mou qui colle bien aux dents. On tapote la pierre plusieurs fois sur cette pâte en priant les dieux de la calligraphie pour que l’application soit à peu près homogène. Au bout d’un certain moment, on prend son courage à deux mains et puis aussi la pierre qu’on applique sur le papier. En retenant son souffle et avec le coeur qui bat la chamade, bien sûr ! On presse bien longuement (toujours sans respirer) et puis on retire la pierre…
Après de longues années de pratique, on arrive à juger quand il y a une quantité suffisante de pâte rouge sur la pierre pour obtenir un joli résultat. Au début, c’est au petit bonheur la chance alors le résultat est la plupart du temps… un peu loupé ! On peut éventuellement utiliser une équerre qui permet de marquer la position du sceau ; on peut le retirer et en cas de besoin, remettre un peu de pâte rouge aux endroits où ça manque et faire une deuxième tentative de pressage… sous réserve de bien le remettre à sa place d’origine et au quart millimètre près. En réalité, il vaut mieux se contenter d’une seule et unique pression même si elle est a priori un peu médiocre.
Vous êtes en mesure maintenant d’imaginer les cas d’échec qui peuvent ainsi marquer l’étape de la signature ! A noter la plus belle bourde que j’ai testé pour vous : apposer le sceau à l’envers la tête en bas. C’est rageant de tout ré-écrire suite à ça, surtout que c’est une faute d’inattention très classique. Mais le pire…
Sur une oeuvre que je voulais exposer, j’ai demandé à quelqu’un de plus expérimenté d’apposer le sceau à ma place car j’ai eu peur de tout gâcher en le faisant moi même. Malheureusement, cette personne s’est trompée, a mis le sceau de travers et pas assez de pâte rouge. Si je l’avais fait, il y aurait eu toutes les chances que je le fasse bien mieux. Je ne pouvais rien reprocher à la personne qui m’avait rendu service et même si j’avais pu lui exprimer mes regrets, ça n’aurait pas changé grand chose car le mal était fait. Ne pas prendre le risque de mettre soi-même le sceau est vraiment la pire des erreurs.
Il n’y a pas à dire, lorsque vient l’heure de poser la dernière touche à son oeuvre, la plus grande des difficultés est de résister à la pression du moment !