Le robot Shodo et/ou de la tenue du pinceau.

Aujourd’hui, en faisant une petite recherche internet, quelle n’a pas été ma surprise de tomber sur ça :

Un robot-calligraphe !!!

Enfin, dans ce blog à la pointe de la technologie calligraphique, sachez que nous n’avons pas été si surpris et que nous ne nous sommes pas inquiétés pour notre avenir non plus. Rien de très exceptionnel dans les faits : c’est juste un bras articulé au bout duquel on a accroché un pinceau et qui reproduit l’écriture d’un caractère qu’une personne a réalisé juste avant. Du « motion capture ».

Vous pouvez voir dans la photo finale de cet article le résultat : la photo de droite est le modèle réalisé par le journaliste, la photo de gauche le robot ! Vous voyez une différence ? Non ???

Et bien si j’étais mauvaise langue, je dirais que c’est parce que c’est bien mal écrit de manière identique dans les deux cas ! Mais pour la défense du journaliste (et du robot ?), il faut savoir que tenir un pinceau pour écrire de jolis caractères, c’est en réalité très très compliqué quand on a pas l’habitude et cela demande beaucoup beaucoup d’entraînement et beaucoup beaucoup de technique aussi.

Explications !

S’il y avait un manuel du petit calligraphe, il y aurait probablement trois manières « répertoriées » de tenir le pinceau. Je vous montre celle que ce blog a adopté à l’instar des anciens calligraphes chinois, la tenue 双鈎法 (sokoho) où le pinceau est tenu par les trois doigts index – majeur – annulaire (et puis aussi le pouce qui s’appuie sur le côté). De cette manière, vous avez le meilleur rapport puissance / précision dans le mouvement du pinceau.

Ensuite, il y a une autre manière très similaire, la tenue 単鈎法 (tankoho) où le pinceau est tenu par deux doigts index – majeur (ce qui ressemble beaucoup à la tenue d’un crayon) ; cette manière là est adaptée pour les calligraphies au petit pinceau où l’on doit privilégier la précision avant tout.

Au Japon, un petit rond rouge ça veut dire "maru", c'est la manière correcte de tenir son pinceau !
Le petit rond rouge veut dire que c’est la manière correcte de tenir son pinceau !

Quand vous écrivez, l’axe du pinceau doit être incliné (à peu près de 45°) par rapport à la verticale. Pour cela, il faut former un petit creux dans la paume de la main, creux dans lequel vous imaginerez qu’une petite chose fragile s’est abritée. Un joli petit oiseau par exemple pour les lecteurs un peu fleur bleue dans l’âme. Sinon pour les pragmatiques, on prendra l’exemple d’un œuf. Quoiqu’il en soit de la nature de cette chose, il ne doit y avoir aucune tension dans la main et dans le creux de la paume afin de ne pas l’écraser ou l’abîmer. Plus généralement, le poignet, le bras, l’épaule… tous les muscles doivent être relâchés : on travaille en souplesse et surtout pas en force.

C'est une manière répertoriée mais il vaut mieux ne pas l'adopter, d'où la petite croix rouge qui veut dire que ce n'est pas correct.
C’est une tenue de pinceau répertoriée mais je ne vous la conseille pas.

Qu’en est-il de la troisième manière répertoriée, me demanderez-vous ?

Et bien c’est celle qui a été adoptée par notre robot Shodo. Cette tenue du pinceau est d’invention récente et s’il semble bien plus facile d’écrire comme ça, c’est parce qu’en réalité c’est une technique bien plus limitée. De cette manière, vous n’obtiendrez pas tous les profils de traits qui existent en calligraphie ; c’est pourquoi je vous la déconseille.

Pourquoi ?

Ecrire joliment n’est pas seulement pouvoir déplacer la pointe du pinceau d’un point A à un point B. Si vous ne considérez que les choses de cette manière, vous obtiendrez un trait monotone et sans relief, regardez ce que donne le tracé vertical en gardant l’axe du pinceau bien droit :

Voilà ce qui arrive quand on tient pas bien son pinceau (je vous avais prévenu pourtant !!!)
Voilà ce qui arrive quand on tient pas bien son pinceau (je vous avais prévenu pourtant !!!)

Si vous écrivez en variant l’inclinaison du pinceau, vous donnez une dimension de liberté supplémentaire au pinceau, le tracé résultat a une apparence différente. Effectivement, vous devez passer beaucoup beaucoup plus de temps à vous entraîner car il est plus difficile de bien saisir le bon mouvement mais voici le genre de trait vertical que vous finirez par obtenir :

Ah, c'est plus joli comme ça !
Ah, c’est plus joli comme ça !

 

Pour conclure, voici deux exemples du même caractère. Un premier modèle qui prône une tenue toute droite du pinceau, un deuxième modèle invoque la liberté d’incliner son pinceau comme bon le semble. Faites-votre choix.

 

Deux kanji Printemps bien différents, vous ne trouvez-pas ?
Deux kanji Printemps bien différents, vous ne trouvez-pas ?

Voilà c’est tout pour aujourd’hui.

Ce fut un post très technique qui manquait un peu de photos de fleurs, je suis bien d’accord ! Mais dans ce blog instructif où l’on est pas contre quelques petites distractions,  on se rattrapera la semaine prochaine, c’est promis !

 

Ca s’écoule de source !

Des jolies petites fleurs de toutes les couleurs sur le même arbre !!!
Des jolies petites fleurs de toutes les couleurs et pourtant sur le même arbre !!!

Les beaux jours d’Avril défilent à Kyoto version 2014 et toujours pas de pluie. Ce qui n’est pas sans conséquence sur le contenu de ce blog qui aime les petites fleurs, je vous avais prévenu ! C’est encore un post à l’arraché que j’écris en me promettant quelque chose de plus conséquent pour la prochaine fois… Enfin cette fois, bonne nouvelle !

Il va pleuvoir demain !

L’occasion aujourd’hui de mettre notre ami le kanji 水 (eau) au centre de nos préoccupations. Histoire d’être dans le bain. Ca coule de source, non ? Car dans ce blog instructif on ne se cache pas pour autant d’aimer placer des (mauvais) jeux de mots un peu partout.

Si vous avez un sens de l’abstraction, vous avez peut être fait le lien entre la forme de notre ami le kanji 水 et de l’eau qui coule mais ce n’est pas forcement de la première évidence, je vous l’accorde.

De la transformation d'un pictogramme en un ami kanji.
De la transformation d’un pictogramme en un ami kanji.

Si vous voulez mon avis, notre ami kanji 水 est constitué en grande partie d’eau douce ! Car que se passe-t-il lorsque vous mélangez notre ami kanji 水 avec d’autres kanji ? En société, notre ami est des plus conciliables avec ses congénères et ne fait pas beaucoup de vague !!!

Dans la plupart des cas, il marque son passage en laissant trois petites gouttes placées systématiquement sur la gauche du kanji ; ces trois petites gouttes forment le radical appelé communément et fort logiquement 三水 « sanzui » (三 « san » veut dire trois).

Trois exemples du radical  des trois gouttes d'eau.
Trois exemples du radical des trois gouttes d’eau.
Un kanji qui coule de source (ha ha ha !)
Un kanji qui coule de source (ha ha ha !)

Dans quelques autres cas, il restera en gardant sa forme d’origine à peu près intacte et se placera systématiquement dans la partie du bas… forme qu’on appellera communément et fort logiquement した水 « shitamizu » (した veut dire en bas).

Vous voyez notre ami 水 n’est pas très contrariant en soi.

Attention toutefois dans l’écriture du radical « sanzui » qui est bien plus complexe à réaliser qu’il n’y parait !

Quelques points techniques à respecter.

  • Concernant l’ordre de tracé du kanji : on commence toujours par écrire d’abord les trois gouttes du sanzui et après on s’attaque au reste du kanji où l’on applique la bonne vieille règle du haut gauche vers le bas droit.
  • Quelques points techniques pour assurer un joli profil à notre radical Sanzui.
    Quelques points techniques pour assurer un joli profil à notre radical Sanzui.

    Concernant le sens du tracé des trois gouttes : la première est en quelque sorte indépendante des deux autres. On la trace avec un mouvement du pinceau du haut gauche vers le bas droit ; quand on a fini, on se déplace vers la gauche à l’endroit où l’on tracera la deuxième goutte. La deuxième goutte, à l’instar de la première, respecte le sens haut gauche – bas droit, on se dirige ensuite dans la même verticale vers la troisième goutte que l’on trace du bas gauche vers le haut droit. Vous pouvez voir qu’il y a une forte connexion entre les deux dernières gouttes que l’on imprime quelque fois en traînant la pointe du pinceau sur le papier (mais ce n’est pas obligatoire). Dans la liste des options avec le sanzui, il y a aussi celle d’avoir à peu près le même espace entre les trois gouttes… dans beaucoup de cas, on a tendance à réduire l’écart entre la deuxième-troisième gouttes et ce n’est pas plus mal.

Et ce sera tout pour aujourd’hui, en attendant de nouvelles aventures trépidantes (enfin ???) dans un prochain post.

L'horizon de la kamogawa (Kyoto) qui nous annonce de la pluie pour demain !
L’horizon de la kamogawa (Kyoto) qui nous annonce de la pluie pour demain !

Tour de table

Une très belle fin de cerisiers 2014 à Kyoto
Une très belle fin de cerisiers 2014 à Kyoto

Dans ce blog où l’on a l’idée de vous instruire avant tout, on ne se refuse pas quelques folies didactiques pour autant. Cette semaine, par exemple, c’est la fin des cerisiers à Kyoto et nous allons traiter cette idée folle d’écrire le kanji 欒.

Attendez, je vous le mets en plus gros pour que vous compreniez un peu mieux l’étendue du problème :

C’est le caractère utilisé pour désigner le mélia azedarach (à vos souhaits !) ou lilas de Perse ; il possède aussi les sens de rond et harmonieux. Alors, si vous cherchez dans un dictionnaire de calligraphie (et oui, ça existe !) vous ne trouverez pas beaucoup d’exemples d’écriture classique sur ce kanji-là car il n’est pas fréquemment utilisé.

Quoiqu’il en soit, dans ce blog où l’on a pas peur de remonter ses manches quand il le faut, nous voilà donc motivés à ne compter que sur nous-même pour l’écrire joliment !!! Allons-z-yyyyy !


Premièrement : connaître le sens de tracé et le retenir. Normalement, on commence du haut à gauche vers le bas à droite mais figurez-vous que pour notre invité spécial d’aujourd’hui, on commence par le milieu ?!? Voilà dans les grandes lignes, le macro-ordre :

      1. le motif « 言 » en haut
      2. le motif « 糸 » de gauche
      3. le motif  « 糸 » de droite
      4. le motif « 木 » du bas.

Même si ce kanji fort complexe à première vue, on le trouve tout de suite un peu simple si on le considère comme un assemblage de motifs de base. D’une manière générale, il est toujours possible et surtout fortement conseillé de décomposer un kanji en sous-unités de base que ce soit pour l’écrire ou pour l’apprendre, on se facilite sacrément la tâche en agissant ainsi !

Par ailleurs, ces motifs de base existent en tant que propre kanji et portent également un sens :  est le kanji qui veut dire dire (ou parler une fois),   fil et 木 arbre. Dans ce blog pédagogique, on se tire aussi une balle dans le pied parfois… car il n’y a apparemment aucun lien entre la combinaison des sens de tous ces éléments et le sens final de notre ami kanji d’aujourd’hui mais… ce n’est pas une règle générale en soi !!!

Prenons un exemple très parlant.

Pour être un arbre, c'est un arbre !!!
Pour être un arbre, c’est un arbre !!!

Vous avez ensuite le kanji bois « 林 » = arbre 木 x 2 ou le kanji forêt « 森 » = arbre 木 x 3.

La kanji bois
La kanji bois
Le kanji forêt
Le kanji forêt

Malheureusement, nos vieux amis les kanji ont plus de 4000 ans d’existence et beaucoup d’entre eux ont subi de nombreuses mutations au cours de leur existence ; il n’est donc pas toujours possible de retrouver un sens aussi évident à la manière dont ils ont été transcrits.


Deuxièmement : étudions la composition graphique de nos motifs. Dans nos amis kanji, on trouve un peu toutes les géométries possibles mais on notera quelques règles récurrentes.

  • Voici comment les kanji forts urbains de feu et épi de blé se combinent dans le kanji final "automne".
    Voici comment les kanji forts urbains de feu et épi de blé se combinent dans le kanji final « automne ».

    Pour l’assemblage horizontal… Si je reprends le kanji bois 林 et sa très belle et très simple équation 木 x 2, graphiquement cela s’avère un peu plus compliqué qu’un simple collage 木木. Comme au théâtre lorsque vous vous disputez l’accoudoir avec votre voisin de droite (resp. de gauche)… si vous avez un peu de délicatesse, vous aurez tendance à vous étaler à gauche (resp. à droite) pour libérer l’espace au centre. Il en est de même pour les kanjis qui sont des amis fort urbains et tentent au mieux de faire de la place à leurs voisins.

  •  Quant à l’empilement vertical… Figurez-vous que nos amis kanjis tout comme nous sont soumis aux lois de la pesanteur !!! A l’instar du kanji forêt « 森 » où l’arbre (qui cache la forêt ?) est posé sur le bois, on resserre bien les blocs du haut et du bas et on ne laisse pas d’interstice superflu ! Il faut garder cette impression que même sur le papier, l’attraction terrestre fait son travail. N’oublions pas que nos amis les kanjis sont des représentations d’objets physiques avec un aspect et une géométrie naturelle qui reflète la présence du champ gravitationnel terrestre.

Pour notre invité d’aujourd’hui, ça donnerait donc quelque chose dans ce goût là…

RAN

Gauche-Droite, un débat sur fond de cerisiers en fleur…

Le bord de la kamogawa (Kyoto) version cerisiers 2014
Le bord de la kamogawa (Kyoto) version cerisiers 2014

Ca y est nous sommes en Avril, les fleurs de cerisiers sont là et c’est la rentrée des classes. Savez-vous pourquoi à cette période, les japonais respectent cette tradition des pique-nique sous les cerisiers en fleur et s’entassent à une bonne cinquantaine de personnes sur une bâche d’à peine deux centimètres carré ?

Sur ce blog drôle et instructif où souvent le pragmatisme l’emporte, je dirais qu’à la sortie de l’hiver, lorsqu’il commence à faire agréable dehors… il faut profiter des joies du plein air immédiatement ! Que ce soit la chaleur et l’humidité de l’été au Japon et/ou les hordes de moustiques en furie qui font leur apparition dès le mois de Mai, les coups coude d’un voisin un peu envahissant sont de bien moindre maux en réalité.

Mais sinon, si vous connaissez la vraie raison de ces attroupements, n’hésitez pas à m’en faire part, cela m’intéresse.

sakura_2014_1En accord avec l’air du temps, nous allons aujourd’hui traiter d’un vrai cas d’école. Comme je vous le disais la semaine dernière, écrire les kanji au crayon (et encore plus au pinceau) en respectant l’ordre de tracé est tout un art. Si la plupart des japonais a abandonné cet exercice au profit des software de transcription, il reste tout de même les petits écoliers japonais et les françaises un peu étranges pour s’acharner à retenir les règles.

A gauche, le kanji gauche et à droite, le kanji droite.
A gauche, le kanji gauche et à droite, le kanji droite.

Je rappelle les grandes lignes : on trace les traits en partant du haut gauche vers le bas droit. Attention, même si ce blog est a-politique et se targue donc de ne faire aucune démagogie à visée électorale mais milite pour du 100% instructif… nous allons quand même faire l’analyse détaillée de l’écriture des kanji gauche 左 et droite 右.

Ils se ressemblent beaucoup, vous allez me dire. Et bien oui, c’est normal ! vous répondrai-je.

A gauche l'ancêtre du kanji gauche et à droite, l'ancêtre du kanji droite.
A gauche l’ancêtre du kanji gauche et à droite, l’ancêtre du kanji droite.

Le kanji « gauche » était à l’origine le dessin d’une main gauche à côté duquel on trouve une forme simplifiée représentant un outil. Car le kanji ne porte pas seulement le sens gauche, il peut vouloir dire également manipuler (un outil).

Le kanji « droit » est le pictogramme d’une main droite à côté duquel on trouve le signe représentant une bouche. Le kanji porte aussi le sens « aider, porter secours ».

Et même s’ils se ressemblent beaucoup, ils ne s’écrivent pas dans le même ordre ?!? Le kanji gauche : on trace d’abord le trait horizontal puis le trait vertical de la main. Le kanji droit : on trace le trait vertical et ensuite le trait horizontal de la main. Pour comprendre le pourquoi du comment, il faut remonter aux pictogrammes d’origine des deux mains : le long trait du milieu représente (en quelque sorte) le coude et l’autre trait (approximativement) les doigts.

A gauche, l'ordre de tracé du kanji gauche et à droite, l'ordre de tracé du kanji droite.
A gauche, l’ordre de tracé du kanji gauche et à droite, l’ordre de tracé du kanji droite.

La règle est de tracer d’abord les doigts et ensuite le coude. Pour ceux qui n’ont pas le mal de mer quand ça bouge, c’est bien montré ici. Et pour ceux qui aiment prendre le temps et faire les choses à leur rythme, les explications sont les mêmes mais c’est mieux montré ici.

Vous pouvez croire qu’au fond, ce n’est pas très important et que le petit écolier japonais pourra toujours se tromper de sens avec un risque vraiment minime de se faire attraper par la maîtresse.

C’est vrai.

Mais si l’on y regarde d’un peu plus près dans nos kanji écrits au pinceau, on remarquera que la forme du tracé « main gauche » est différente du tracé « main droite ». La proportion entre les longueurs des traits horizontaux et verticaux, l’inclinaison des traits également sont différentes… Ce sont vraiment les marques de deux mouvements de pinceau bien distincts.

Et si l’on y regarde d’un peu plus près sur nos caractères d’imprimerie standardisés… 左 ou 右, c’est du 100% la même chose. Pourtant, vous pourrez rejeter au besoin un coup d’œil à vos deux mains… elles sont bien a-symétriques.

C’est bien la technologie mais quand même ce qu’on gagne en confort ou en facilité… souvent on le perd dans un autre domaine. Voilà je me devais cette petite remarque réac en guise de conclusion. Et ce sera tout pour aujourd’hui.

sakura_2014_3
Des sakura, des sakura et rien que des sakura…

Car c’est un post un peu léger à l’image des pétales de sakura emportés par le petit vent de cet après-midi.

Car dans ce blog qui aime la nature et les petites fleurs, nous reprendrons un rythme un peu plus soutenu dans nos études… à la saison des pluies !