Dans ce blog instructif mais très rigolo et qui vous a rendu complètement japano-phage, après avoir apprivoisé nos amis les kanji, nous nous apprêtons à les dévorer !!! Et pour mieux les digérer, nous allons aussi apprendre à les écrire bien soigneusement.
Pour commencer, je me dois de vous révéler une grande vérité qui ne s’applique pas seulement à la calligraphie mais à l’ensemble de notre univers.
Il y a un sens à tout !
Chaque détail, visible ou invisible, chaque moment et chaque situation de notre réalité a un sens bien précis. Si vous ne voyez pas de sens à quelque chose, ce n’est pas parce qu’il n’y en a pas, c’est qu’il n’est pas à votre portée de votre cortex cérébral.
La preuve tout de suite.
Nos amis les kanji sont constitués d’une combinaison de traits de base. Rien de très mystérieux en soi, tout le monde le comprend facilement : un trait de base est le trajet de votre pinceau entre le point d’impact avec la feuille de papier et le point suivant où vous rompez le contact. Dans les classiques du genre, on trouve le trait de base horizontal, qui dans les règles, se trace de la gauche vers la droite.
Alors je vous arrête tout de suite : ce n’est pas que les calligraphes soient des rabat-joies qui aiment créer des règles pour qu’il y ait des règles et qu’ils se refuseraient catégoriquement d’inverser le sens d’un tracé de temps à autre… c’est que ce sens est le plus aisé et le plus naturel à réaliser pour une personne maniant un pinceau de sa main droite.
Parce que vous pouvez faire les malins avec votre stylo bic mais quand vous passerez à un pinceau à la pointe déformable, ce sera une autre histoire !!! Par exemple, un beau tracé de base horizontal – un trait montant vers la droite – s’obtiendra plus facilement par un mouvement dans le sens d’ouverture de l’aisselle, avec le coude qui s’éloigne du flanc (d’où la condition de tenir le pinceau de la main droite).
Pour le trait vertical, le sens est tout ce qu’il y a de plus conventionnel en réalité : du haut vers le bas. Quelque soit son pays ou sa culture, c’est le sens adopté pour l’écriture… un peu comme si nos caractères étaient eux aussi soumis à la pesanteur.
Ensuite, passons aux règles déterminant l’ordre de tracé des traits de base au sein kanji… ça va vous me suivez encore ???
A l’origine, cela part d’un très bon sentiment de déterminer des règles : l’ordre ainsi défini devait faciliter la tâche afin d’écrire au mieux la composition souvent complexe d’un caractère kanji. Quelque fois c’est un peu difficile de s’y retrouver, c’est vrai… De plus, à l’instar de nos règles d’orthographe, il y a des tas exceptions aux règles, exceptions qui pourraient sembler incompréhensibles sous la bille à encre de votre stylo… mais que l’on comprendra bien mieux en utilisant un pinceau. Exemple :
Dans le style Kaisho où l’on trace proprement et distinctement les traits de base les uns après les autres, le ministère de l’éducation japonaise a imposé des règles à la fin des années 50 afin que l’enseignement soit le même dans toutes les écoles… sachant que pour quelques uns de nos amis kanji, l’ordre japonais n’est pas forcement le même que celui appliqué en Chine ou à Taiwan !?!
En règle générale, l’ordre de tracé suit sans surprise les règles haut vers le bas et de la gauche vers la droite. Dans quelques cas de figure où il y a un trait central vertical, on commencera plutôt par le milieu.
Est-ce si important de respecter l’ordre de tracé me demanderez-vous ?
Pour la calligraphie avec un pinceau : oui oui oui et encore trois fois oui !
Mais ne soyons pas stupides non plus : pas vu, pas pris ! On peut ne pas respecter l’ordre de tracé si ça ne se voit dans le résultat final, bien sûr. Mais il faut bien comprendre que dans la plupart des cas, cela facilite grandement les choses de tracer le caractère en respectant les règles. Pour un kanji avec une structure comme l’eau 水, il est bien plus naturel de commencer par le centre et de continuer par les côtés comme les règles le définissent.
Cela n’empêche pas que l’on peut se tromper et rattraper le coup, on est bien d’accord ! Dans ce cas, faites bien attention : quand on a un peu d’expérience, en regardant une calligraphie, on finit par visualiser la totalité du mouvement du pinceau… c’est à dire que le cerveau devient capable de reconstruire les parties « invisibles » du trajet où le pinceau n’est pas en contact avec la feuille. Pour le kanji 水 par exemple, il y a un lien très fort entre la sortie du trait vertical et l’entrée du tracé de gauche. Si vous trichez « mal » et que vous ne raccordez pas bien les deux tracés, quelqu’un d’expérimenté ressentira que le trajet de votre pinceau est délié et qu’il s’est passé quelque chose en cours de route.
Vous comprenez le problème ??? Oui ??? Et bien félicitations !
Vous venez d’avancer à grand pas dans la magnifique voie de l’écriture… où même l’invisible finit par prendre sens.