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Petits mensonges entre poètes

Qu’il ne soit pas dit que lors de ce long mois d’interruption, ce blog en aura profité pour se tourner les pouces ! Au contraire, j’ai travaillé dur du pinceau et du haikai et je suis heureuse de vous en faire partager les fruits. Pour commencer, cette semaine, je vous livre quelques impressions sur un très célèbre site poétique japonais que je suis allée collecter dans l’intervalle rien que pour vous, les lecteurs de ce blog (et parce que je cherchais une destination sympa et originale pour mes vacances, c’est un peu vrai aussi !) : l’île de Sadoga, une petite île dans la mer du Japon au large de Niigata.

Des jolies petites fleurs sur l’île de Sadoga
Des jolies petites fleurs sur l’île de Sadoga

Il faut savoir que la réputation poétique de l’île de Sadoga  ne lui était a priori pas pré-destinée : à l’époque Muromachi (14-15ième siècle), cette île était devenue une prison où l’on envoyait en exil les opposants politiques au shogunat. Ensuite, à l’époque d’Edo (17-19ième siècle), une mine d’or a été découverte et on y a envoyé des criminels condamnés aux travaux forcés.  Et puis finalement, par un beau soir du mois de Juillet, notre grand poète voyageur Basho qui remontait vers le nord en longeant la côte de la mer du Japon s’est arrêté à la hauteur du village de Izumozaki et frappé par le paysage, il a composé le haiku suivant :

sado
Une très bonne photo loupée, non ?

荒海や…  Ura umi ya / Ah, mer déchaînée !

佐渡によこたふ… Sado ni yoko tafu / S’étendant à travers l’île de Sadoga

天の川… Ama no gawa / La voie lactée.

C’est ainsi que notre génial poète brossa si simplement mais si magnifiquement l’atmosphère dramatique de l’île de Sadoga, à travers des côtes frappées par la violente houle de la mer du Japon et en contraste avec la sérénité qui se dégage du ciel baigné par la lumière de la voie lactée.

En réalité, devenir un site poétique est avant tout une question d’opportunité, qu’on se le dise ! La voie lactée, « Ama no gawa » qui se traduirait littéralement par « le fleuve céleste » (le haiku sonne d’autant plus poétique en japonais), est un mot de saison qui désigne un jour particulier du mois de Juillet (plus précisément le 7 Juillet) et il avait l’avantage certain de marquer dans le journal de voyage le moment du passage à Izumozaki. On pourrait imagine que si Bashô était arrivé un peu avant ou après par exemple et bien c’était loupé ! L’île de Sadoga serait restée à tout jamais un simple et très triste souvenir d’une période particulièrement cruelle de l’histoire du Japon. Par exemple, alors que l’on manquait de criminels et donc de bras pour faire tourner la mine, le shogun Tokugawa eut l’idée de recruter (de force) des sans-papiers ou sans-domicile-fixe… des gens a priori innocents mais qui pouvaient disparaître du jour au lendemain sans que personne ne s’en soucie.

Un cimetière à Sadogashima
Un cimetière à Sadogashima

Pour mon témoignage, je commencerai par vous le préciser : de Kyoto, Sado n’est pas la porte à côté ! Il faut déjà se rendre à Niigata (574 km au nord de Kyoto) et prendre un ferry qui met à peu près deux heures et demi pour arriver au port le plus proche de l’île. C’était un vrai voyage à la japonaise où j’ai passé plus de temps à y aller qu’à rester sur place… ce qui se rapproche au mieux des conditions de voyage de Basho finalement. De vraies vacances très pittoresques donc !

Un joli temple de Sadogashima
Le très joli jardin d’un temple de Sadogashima

Mais quelle ne fut ma surprise de constater que depuis le port de Niigata par ce grand beau ciel bleu si dégagé… absolument impossible de distinguer au loin la moindre forme rappelant les côtes de l’île de Sadoga ! Effectivement, je n’étais pas au même endroit que Basho mais quand même, là, je me suis mise à douter un peu. Enfin, au bout de 1h30 de traversée, on finit par apercevoir les côtes mais dans le même temps, la nuit tombait et quand j’ai essayé d’immortaliser avec mon appareil photo… pas assez de lumière… mes doutes se sont renforcés.  Je confirme toutefois que l’île est un endroit terrible pour regarder la voie lactée car il n’y a pas beaucoup de lumières parasites, en conséquence on distingue bien les étoiles… au dessus de sa tête ! Oui parce qu’en fait, quand on regarde à l’horizontal, un paysage au loin devant soi… les lumières de la voie lactée… oui ben non, on peut pas les voir, c’est pas possible.

Je n’aime pas casser les mythes ni jouer les rabat-joie mais quand même, je dois vous le signaler car je me suis renseignée à mon retour : le haiku n’est probablement pas du vrai vécu et vraisemblablement du trafiqué ! Le carnet de voyage de Basho rempli de ses géniallissimes haiku est une version qu’il a rédigé quelques années après le dit-voyage. Il est apparu tout d’abord dans le compte-rendu d’une réunion de poésie et si l’on en croit les commentaires, ces quelques vers auraient été inspirés à Basho suite à son passage dans la région. Ensuite, si l’on regarde ensuite le carnet de voyage (écrit en temps réel lui) de son compagnon de voyage, il est reporté qu’à leur arrivée à Izumozaki… il pleuvait assez fort.

Ouh la la le vilain tricheur !!!

Oui mais c’était plutôt de bonne guerre car l’écriture de vers en différé et arrangés à sa sauce était monnaie courante à cette époque, l’essentiel étant de trouver une bonne composition poétique avant tout !

Et pour le cas de Basho et l’île de Sado, ce fut particulièrement réussi… vous ne trouvez pas ?

Un coucher de soleil à Sadogashima
Un coucher de soleil à Sadogashima

It’s A Man’s, Man’s, Man’s World…

Ou derrière chaque grand homme, se cache une femme dit-on en français. En ce qui concerne les japonais, qu’en est-il donc ???

fleurs

Et bien, par exemple, si vous prenez le haiku très célèbre du poète Kobayashi Issa :

ともかくも/ Tomokakumo / Quoiqu’il arrive

あなたまかせの/ Anata makase no / Je m’en remets à vous

年の暮れ / Toshi no kure / Pour les années qui passent

A la première lecture, j’ai (et la plupart des japonais aussi) pensé que ces quelques vers étaient dédiés à la femme du poète ; en japonais, on utilise couramment le pronom personnel « Anata » (« vous ») pour s’adresser à son épouse. Le mot de saison « Toshi no Kure » renvoie à la fin de l’année, l’hiver, et par extension on peut dire aussi qu’il fait référence à l’hiver de l’existence humaine. Issa s’en serait remis à son épouse pour les dernières années qui lui restaient à vivre… Si vous vous intéressez un peu à la biographie de ce poète, vous constaterez que s’il a consacré la première partie de sa vie à la poésie et qu’arrivé à la cinquantaine, il a tenté à plusieurs reprises de fonder une famille… sans grand succès malheureusement et soi-dit en passant. Victor Hugo n’aurait probablement pas imaginé meilleur personnage qu’un type comme Issa s’il avait eu à écrire une version nippone des misérables ! Sa première femme ainsi que les trois enfants issus de cette union sont morts en l’intervalle d’à peine quelques années ; il a divorcé de sa deuxième femme au bout d’à peine trois mois de mariage et pour couronner le tout : il meurt peu de temps avant que sa troisième femme donne naissance à une petite fille (qui elle, survivra jusqu’à l’âge adulte normal).

Pour en revenir à la signification de ce poème, en réalité… la formule « Anata-makase » est aussi une prière traditionnelle s’adressant à la déité Amitābha. Issa étant un fervent pratiquant bouddhiste, le haïku aurait un sens très spirituel de « quoiqu’il arrive j’accepte la destinée que Amitābha m’a donné ». Effectivement, si on regarde la vie de Issa sous cet angle, cela tombe sous le sens également et les biographes du poète qui réfutent la dédicace à son épouse ont probablement raison ! Remise de cette déception (je suis trop fleur bleue, c’est vrai !), voici quelques pensées qui me sont venues suite à cette confusion.

bouddha

La première, c’est qu’elle donne un assez bon témoignage de la situation concernant la poésie japonaise. Après la fabuleuse époque moyen-âgeuse Heian où les grandes effusions de sentiments étaient monnaie courante dans les poèmes d’amour, on retrouve l’époque d’Edo (17ie au 19ie siècle) où les japonais sont tout autant créatifs dans le domaine poétique mais bien plus pudiques concernant leurs émotions. Dans les haïku (poésie apparue au milieu du 17ie siècle) des trois grands maîtres, Basho-Buson et Issa, vous ne trouverez aucune mention d’aucune sorte à l’amour… sauf pour effectivement un cas : le chagrin d’amour du pauvre Buson qui regarde tristement le ciel gris et la petite pluie froide d’automne. L’exception qui confirme la règle dira-t-on. Avec cette forme de poésie devenue « traditionnelle », on fait principalement les louanges de la nature et des changements de saison, des scènes de la vie quotidienne et… c’est tout !

Contrairement à l’époque Heian, aucune femme poète n’est passée à la postérité à l’époque Edo. Entre ces deux périodes, les guerriers samuraï ont pris les rênes du pouvoir et ont imposé au Japon une société à tendance phallocratique où les femmes ont été reléguées aux rôles secondaires de mères ou d’épouses. Il était sûrement difficile d’afficher ouvertement ses sentiments envers le sexe « faible » même dans le processus de création poétique. Enfin nous nous abstiendrons de faire la leçon aux japonais ; vous, chers compatriotes et hommes français, vous avez été miraculeusement sauvés par le siècle des lumières mais à part ça, vous n’avez guère été plus brillants dans la période d’hégémonie de l’Eglise catholique (par exemple).

Moralité : ne vous laissez pas tromper par les japonais qui proclament fièrement que les haïku reflètent à merveille l’âme japonaise ! En réalité, c’est vrai mais c’est un petit peu réducteur, les japonais sont capables de bien plus de romantisme que ça aussi, ils l’ont prouvé à l’époque Heian.  Enfin, pour en revenir au poème d’Issa, je suis fleur bleue et têtue, je persiste et je signe ! Ce possible double sens – épouse et déïté – fait toute la beauté du poème. Par ailleurs, je pense que cela n’a pas pu échapper à ce grand poète qu’était Issa et qu’il l’a peut être fait en connaissance de cause… mais techniquement, l’histoire n’en a gardé aucune trace et cela ne restera qu’un avis qui n’engage que ce blog : c’est vrai !

Souvenirs d’été

Petites fleurs d'été
Petites fleurs d’été

Ca y est : nous sommes entrés dans le cœur de l’été japonais cette semaine, c’est à dire un température avoisinant 35° dans les bons jours (le mercure peut monter jusqu’à 38°C au mois d’Août) avec une chaleur humide qui vous liquéfie sur place. A cela se rajoute le problème de la géographie particulière de Kyoto, un plateau entouré de montagne où l’air stagne et avec très peu de courant d’air. La chaleur perdure même la soirée : c’est donc l’enfer tout le temps ! Il n’y aura que l’arrivée de l’automne pour nous sauver.

Chouette programme d’été en perspective, non ?

Pour voir le bon côté des choses, nous dirons que c’est une période propice aux activités telles que la lecture, la calligraphie ou la sieste… soit des activités d’intérieur… sous réserve que l’intérieur soit équipé par de solides systèmes de climatisation ou de ventilation !

Ce blog pourrait s’en réjouir s’il n’était pas d’avis que la climatisation est une consommation d’énergie importante, que ce n’est pas très bon pour l’environnement et pour la santé non plus. On préférera donc l’utiliser le soir avec parcimonie (sinon avec la chaleur étouffante, c’est impossible de trouver le sommeil) ; le ventilateur et les bords de la rivière Kamogawa seront les seuls moyens à consommer sans modération pour affronter la chaleur du jour.

Les bords de la Kamogawa
Les bords de la Kamogawa

Pour rajouter de la conviction à ce discours jusqu’au boutisme, l’été n’est par ailleurs pas une invention de nos temps modernes : les japonais d’autrefois aussi devaient supporter la chaleur sans avoir recours aux merveilles technologiques qu’offre la fée Electricité alors pourquoi n’en serions nous pas capables aujourd’hui encore ?

Savez-vous ce que faisaient donc nos japonais de l’ancien temps pour supporter la chaleur et surtout pour trouver le sommeil alors que leur maison bien chauffée par le soleil d’un beau jour d’été était devenue une vraie fournaise dans la soirée ?

Une astuce des plus remarquables a été trouvée par les japonais de l’époque Edo (17ie – 19ie siècle ) : le soir, ils se réunissaient et se racontaient… des histoires d’horreur !!! Ils avaient remarqué que, sous le coup de la peur, la décharge d’adrénaline fait diminuer la température corporelle. Vous n’aviez pas remarqué ? Et pourtant on dit bien « sueur froide », « faire froid dans le dos », « le grand frisson »… non ?

Mis à part cela, lorsqu’on regarde la poésie et la littérature japonaise d’autrefois, il semble que les japonais se contentaient avant tout… de supporter l’enfer !!!

A l’image du pauvre Basho à l’affût de la moindre sensation de fraîcheur qui lui permettrait de se reposer enfin :

Un autre moyen pour garder les pieds au frais
Un autre moyen pour garder les pieds au frais

ひやひやと Hiyahiyato

壁にふまへ Kabe ni fuma he

昼寝かな         Hirune kana

« Les deux pieds au frais posés sur le mur, c’est peut être enfin le moment de la sieste »

Dans le journal de Dame Sei Shonagon, dont ce blog vous parlait il y a quelques semaines, on trouve ce témoignage très parlant sur l’été au temps de l’époque de Heian :

« Aux alentours du mois de Juillet, les jours où le vent est violent et le bruit de la pluie est presque assourdissant, le temps se rafraîchit au point qu’on en oublie l’éventail et c’est agréable de revêtir le tissu léger du wataire qui sent légèrement la transpiration et de goûter à nouveau au plaisir du sommeil en plein jour… « 

Ce ne sont que quelques lignes et pourtant de quoi – là, tout de suite – faire rêver ce blog, je peux vous en assurer !

Calligraphie et anti-aging effect

Le journal intime de Izumi Shikibu commence par une très belle phrase où elle se lamente sur notre monde qui est bien plus éphémère et fugace qu’un simple rêve…

Izumi Shikibu
Izumi Shikibu

Pourquoi ? Car cela fait bientôt un an qu’elle pleure la mort de son amant, emporté par la maladie alors qu’il venait à peine d’avoir 26 ans. L’histoire ne s’arrête malheureusement pas là pour elle : l’homme qui va faire son apparition dans le chapitre suivant du journal et qui deviendra son nouvel amant, mourra trois ans plus tard alors que lui aussi est à la fleur de l’âge. Par ailleurs, s’il reste peu de traces ou de témoignages sur la fin de vie de notre courtisane préférée, on sait que le dernier de ses poèmes rendus publiques a été composé à l’occasion de l’enterrement de sa fille, décédée à l’âge de 28 ans.

S’il s’agissait d’une période de paix et de stabilité politique, l’époque Heian portait néanmoins son cortège d’épidémies mortelles et de catastrophes naturelles ; les gens en règle générale ne vivaient pas vieux. On dit que l’espérance de vie à cette période était d’à peine 35 ans… Cette moyenne d’âge a été probablement tirée vers le bas avec la mortalité infantile mais malgré tout, il est aujourd’hui difficile d’imaginer de telles conditions de vie, n’est-ce pas ? A cette époque, ces choses qui nous semblent si évidentes, comme fêter sa quarantaine ou mourir avant ses enfants, n’étaient pas accordées à la plupart des gens !

Mais il y avait aussi quelques exceptions à la règle.

Un extrait de la manière très caractéristique d'écrire de Fujiwara Shunzei
Un extrait de la manière très caractéristique d’écrire de Fujiwara Shunzei

Par exemple, il y a eu Fujiwara no Shunzei (1114 – 1204), une sorte de Léonard de Vinci de la calligraphie japonaise, un homme assez exceptionnel qui a révolutionné l’écriture des kana en donnant un rythme inédit à son pinceau et qui a vécu jusqu’à l’âge de… 90 ans !!! Par-delà de sa forte constitution, c’était aussi un très bon vivant à qui on a reconnu plus de vingt enfants et parmi ses nombreux fils, on compte Fujiwara no Sadaie (1162-1241), le poète-calligraphe à l’origine de l’anthologie de poésie Hyakunin-isshu… qui s’est éteint à l’âge de 79 ans. Dans les trois calligraphes qui ont reçu le titre honorifique « sanseki 三跡 » (les trois plus grand pinceaux du Japon médiéval), le premier Ono no Michikaze (894-967) est mort à 86 ans, le second et le troisième font un peu moins fort, ils restent bien au-dessus de la moyenne : Fujiwara no Sukemasa (944-998) à 54 ans et Fujiwara no Yukinari (972-1027) à 55 ans. Un autre grand classique dans son genre, Ki no Tsurayuki (872-945), dont les écrits sont devenus les standards de l’écriture kana, a vécu jusqu’à l’âge de 79 ans.

Un vieux calligraphe
Un vieux calligraphe

Et voilà où ce blog voulait en venir : de toute évidence calligraphie (et/ou poésie) japonaise et longévité font très bon ménage ! Alors assumons pleinement notre âge en nous munissant d’un bon pinceau !!!

Par petit souci d’objectivité tout de même, soulignons un fait important : dans le domaine de la calligraphie, c’est grâce au cumul des heures d’entraînement sur de longues années que l’on acquiert une maîtrise exceptionnelle du pinceau ; c’est donc d’une sorte de nécessité que découle le fait que  les grands maîtres de calligraphie sont âgés. Un calligraphe, tout talentueux qu’il soit mais qui disparaît « prématurément », aura fort peu de chance de rester dans les annales à cause d’un manque de maturité principalement.

Que la pratique de la calligraphie ait concrètement un effet bénéfique pour la santé… cela reste à prouver effectivement. Tout du moins, on sait que prendre de l’âge (sous réserve de vieillir normalement, entendons-nous bien) n’a pas d’incidence sur la maîtrise du pinceau ; vous progresserez jusqu’à vos derniers instants si vous ne lâchez pas la pratique. J’aurais aussi tendance à penser qu’il y a aussi une sorte d’effet « placebo » très efficace : un calligraphe un tant soit peu ambitieux qui veut faire carrière aura vite compris l’importance d’un entraînement régulier à mener sur plusieurs décennies et d’une certaine hygiène de vie à maintenir également… Tout est permis mais il vaut mieux éviter de boire trop d’alcool pour continuer à manier le pinceau avec dextérité ou pour ne pas oublier le texte que vous voulez écrire par exemple. Ce genre de motivation peut vraisemblablement contribuer à maintenir une personne en bonne santé pendant plusieurs décennies.

Pour reprendre l’exemple de nos seniors calligraphes de la période Heian, c’est un peu l’impression qui en ressort : c’étaient en règle général des personnes qui ont eu une activité calligraphique et poétique soutenue jusqu’à la fin de leur vie… à l’image du doyen, Fujiwara no Shunzei, mort de la malaria qu’il aurait probablement attrapée en assistant à un concours de poésie dans lequel il présidait le jury… c’étaient malheureusement les « risques du métier » à cette époque et je vous rassure tout de suite : aujourd’hui la calligraphie japonaise ne présente pas plus de risques qu’un traitement hormonal au DHEA.

La calligraphie japonaise tout en abstraction

Il me semble que je vous ai déjà dit que l’époque Heian était ma période préférée dans l’histoire du Japon, mais vous-ai-je déjà raconté pourquoi j’adore la calligraphie japonaise représentative de cette époque ? Non ?

Tant mieux car c’est le sujet de notre post d’aujourd’hui et je m’en voudrais de radoter et de vous raconter tout le temps les mêmes histoires (enfin du moins, je m’y efforce à défaut d’y arriver).

A l’époque Heian, on trouve les plus belles œuvres de calligraphie en kana, les caractères crées par les japonais (par opposition aux caractères kanji qui ont été  empruntés aux chinois).

Les premières traces d’écrit japonais datent du 5ie siècle, à cette époque-là, on utilisait exclusivement les idéogrammes chinois (un caractère = un concept). Ces caractères n’étaient pas vraiment adaptés à la transcription de la langue japonaise. Que ce soit pour les concepts abstraits ou rien qu’en ce qui concerne les formes grammaticales, transmettre un message uniquement à l’aide de concepts s’avère bien vite limité !

Pour pallier à ce problème, les japonais ont commencé par détourner l’utilisation des idéogrammes chinois c’est-à-dire qu’au lieu d’utiliser le concept du kanji pour la transcription, on utilisait sa sonorité. Le premier recueil de poème japonais, le Manyoshu (8ie siècle) était écrit de cette manière. Par exemple, le kanji du nombre quatre « 四 » se prononce « Shi », on écrivait donc « 四 » pour la

sonorité « Shi » sans qu’il n’y ait aucun rapport avec le sens quatre. Cela pouvait être un peu plus tarabiscoté par moment : le kanji « 蟻 » veut dire fourmi et en japonais, une fourmi se prononce « ARI »… Ari est un homonyme de l’existence. On écrivait donc « 蟻 » pour écrire le mot existence. C’étaient en réalité les mêmes principes que le rébus.

Un petit rébus pour voir si vous me suivez bien...
Un petit rébus pour voir si vous me suivez bien…

Petit à petit, les japonais sont passés à une simplification de l’écriture rébus en gardant la forme mono-syllabe uniquement, un caractère = une syllabe, on garde le quatre et on abandonne la fourmi. Ensuite, le processus de simplification s’est opéré également sur la forme du caractère ; au lieu d’écrire tous les traits du kanji un par un, ce qui peut s’avérer particulièrement long dans certains cas (19 traits pour la fourmi !), ils ont cherché à obtenir plus rapidement une forme, en un ou deux coups de pinceau. C’est ainsi que sont nés les kanas :

La naissance des kana  か"KA" et な"NA"
La naissance des deux kana か »KA » et  な »NA » à partir des kanji 加 et 奈

Au début de l’époque Heian, les japonais se sont mis à écrire de la poésie japonaise exclusivement avec les kana. Dans cette période de paix où l’on jouissait d’une stabilité propice au développement des arts, les calligraphes de la cour Heian ont ouvert de nombreuses voies de recherche esthétique.

Quelques exemples pour écrire "HITO", la combinaison des deux kanas ひ+と
Quelques exemples pour écrire « HITO », la combinaison des deux kanas ひ+と

La plus évidente des voies consista à s’efforcer de donner une belle forme au kana, et, dans la suite logique de cela, de chercher à les lier gracieusement les uns aux autres. Il n’y a rien de très mystérieux dans cette voie-là, n’est-ce pas ? Nous autres occidentaux, nous comprenons bien que pour écrire un beau mot, il faut aller au-delà d’un beau « m » suivi d’un beau « o » suivi d’un beau « t », il est tout aussi crucial (voire même bien plus important) de trouver le bon enchaînement et la bonne balance des trois lettres.

Une autre voie, qui vous semblera peut être un peu plus originale car très spécifique à la calligraphie japonaise, fut de rechercher l’esthétisme en travaillant la composition générale du manuscrit. Pour citer quelques « classiques » dans les calligraphies de l’époque Heian : les lignes verticales (on lit de haut en bas et de droite à gauche) ne sont jamais tout à fait droites mais légèrement incurvées vers la droite.

Ce n'est pas droit mais c'est fait exprès (pour une plus jolie composition visuelle)
Ce n’est pas droit mais c’est fait exprès pour obtenir une plus jolie composition visuelle (un écrit du 11-1éie siècle de Ki no Tsurayuki)

Ou les longueurs des lignes sont ajustées sur l’effet visuel de la composition finale, on pourra donc passer à une nouvelle ligne même si on est au milieu d’un vers !

Ou alors, on a longuement plongé son pinceau dans l’encre avant d’écrire certains passages et on fait des gros « pâtés » à certains endroits alors qu’à d’autres, il reste à peine d’encre si bien que les caractères en deviennent presque invisibles.

Des gros pâtés (A), des caractères qu'on ne voit pratiquement pas (B) ou des vers coupés en plein milieu... Et non, on ne se moque de personne, c'est fait exprès !
Des gros pâtés (A), des caractères qu’on ne voit pratiquement pas (B) ou des retours de ligne qui ne correspondent pas à l’endroit où l’on aurait du couper les vers du poème… Et non, on ne se moque de personne, c’est fait exprès (un écrit du 11-1éie siècle de Ki no Tsurayuki).

Ces choses ne sont pas le fait du hasard, de la maladresse ou de l’étourderie du calligraphe mais bien le résultat d’une exploration volontaire artistique, d’une recherche d’esthétisme. Ces pratiques étaient aussi des manières pour mieux exprimer et mettre en valeur le contenu du poème.

Quelque fois aussi, ces pratiques prenaient une tournure philosophique ! On commençait à dérouler les vers normalement au début de la page, c’est-à-dire en commençant en haut à droite vers le bas à gauche… puis en cours de route, on revenait sur ses premiers pas pour écrire la suite du poème. Les japonais d’autrefois, probablement sous l’influence du bouddhisme, avaient acquis l’idée d’un ordre cyclique temporaire sans réelle distinction entre le début et la fin.

L'ordre d'écriture est un peu bouleversé mais là encore, c'est fait exprès !
L’ordre d’écriture est un peu bouleversé, on est revenu sur nos pas pour écrire la 8ie et 9ie ligne… mais là encore, c’est fait exprès (un écrit du 11-1éie siècle de Ki no Tsurayuki)

Les japonais ne se sont pas seulement limités à copier le système d’écriture chinois, ils l’ont amélioré et ont surpassé le concept. D’aucuns disent que dans les premiers temps, les japonais qui ont été confrontés aux écrits chinois ne comprenaient rien de ce qu’ils écrivaient (pour le coup, c’était vraiment du chinois !!!) ; c’est ainsi qu’ils ont pu porter l’aspect visuel et esthétique au premier plan et donner à la calligraphie un caractère abstrait, chose que n’ont pas su faire leurs homologues chinois emprisonnés par le souci de transmettre avant tout le sens de ce qu’ils écrivaient.

C’est pourquoi aussi chacun (et vous bien sûr, très chers lecteurs) devrait être en mesure d’apprécier une belle calligraphie japonaise même sans être capable d’en déchiffrer le contenu.

Du moins en théorie…

Un bon claquement de porte au nez

Il me semble que je vous ai déjà parlé de cette fabuleuse période du Japon médiéval, n’est-ce pas ? Cette période où le Japon connut un apogée dans la création poétique ainsi qu’une grande liberté en ce qui concerne les relations amoureuses.. et sexuelles !

Récemment, j’ai découvert qu’il y avait aussi des belles histoires basées sur des rapports de simple amitié entre les hommes et les femmes de l’époque. Enfin au moins j’ai trouvé UNE histoire d’échanges platoniques que je vais vous conter dans le post d’aujourd’hui.

Une courtisane japonaise version Heian Jidai
Une courtisane japonaise version Heian Jidai

Dans cette histoire, entre tout d’abord en scène une éminente personne : Dame Sei Shônagon (966?-1025?) une très grande écrivaine et très grande poétesse, auteure d’écrits classés aujourd’hui dans les chefs d’oeuvre de la littérature japonaise : le « Makura no Soshi » (枕草子) littéralement « Ecrits d’oreiller ». La traduction française de ce livre porte aussi le nom « Notes de chevet », un sens qui permet de comprendre facilement qu’il s’agit d’une sorte de journal intime. Il manque malheureusement le double sens japonais de « Makura », l’oreiller : au delà de l’objet physique, il désigne aussi une figure de style en poésie.

Tout cela pour vous dire : Dame Sei Shônagon était non seulement une femme de lettres très intelligente et très cultivée mais elle avait également beaucoup d’esprit.

Dans ses notes d’oreiller, elle raconte à deux reprises les échanges qu’elle a eu avec le grand calligraphe Fujiwara Yukinari (972-1027). De parole de ce blog (de calligraphie japonaise), Yukinari était un calligraphe exceptionnel et il est monté sur le podium dans le classement officiel des plus grands calligraphes de la période Heian.

Une copie d'un manuscrit de Fujiwara Yukinari, excécutée de la blanche main de votre hôte, l'auteure du blog.
Une copie d’un manuscrit de Fujiwara Yukinari, exécutée de la blanche main de votre hôte, l’auteure du blog.

Yukinari n’était pourtant pas un jeune homme très populaire à son époque, il avait la réputation d’être plutôt barbant. Ce n’était sûrement pas un adepte des divertissement « à la mode Heian » ; par exemple, on ne lui connait pas de prestigieux tableau de chasse amoureux.

La première idée qui m’a traversé l’esprit fût que Yukinari n’avait peut être pas été gâté par la nature et qu’à défaut de plaire aux filles, il s’était donc rabattu sur la calligraphie. Cette hypothèse est toutefois réfutée par les notes de Dame Shônagon : Yukinari n’était pas si mal fait de sa personne quand même. Et surtout, il été doté d’un très bel organe… c’est-à-dire une très belle voix, restez corrects s’il vous plait !

Venons-en plutôt au cœur de l’intrigue : un soir, alors qu’ils échangent poèmes et histoires littéraires dans la villa de Dame Shônagon, Yukinari prend congé brusquement, prétextant qu’il ne peut s’attarder plus. C’est un départ impromptu et plutôt inélégant pour cette grande époque de raffinement qu’est l’époque Heian.

Qu’à cela ne tienne, attendez la suite.

Le lendemain, une lettre arrive au domicile de Dame Shônagon, une lettre de plates excuses de Yukinari qui, de sa plus belle écriture, s’explique sur les raisons de son empressement de la veille. Il avait entendu le chant d’un coq et pensant que le jour était prêt à se lever, il était hâtivement rentré chez lui car un travail important l’attendait au palais impérial. Ce n’est qu’en sortant de la villa qu’il avait alors réalisé que c’était encore le milieu de la nuit.

Et oui ! On a vite oublié ce que c’était de vivre dans une époque sans montre à quartz mais cela pouvait générer de nombreux malentendus en tout genre.

Quoiqu’il en soit, à cette gentille lettre d’excuse se doit une réponse ; Dame Shônagon prend son pinceau et, à la hauteur de sa très grande réputation (non usurpée) de femme d’esprit, elle choisit d’ironiser l’histoire. « Un coq qui chante en plein milieu de la nuit ? De quel coq s’agissait-il donc ? N’auriez-vous pas plutôt recours au subterfuge du seigneur Mengchang devant la porte de Hangu ? (A la défense de Yukinari, je me permets de préciser que si votre voisin a soudain l’idée saugrenue de faire de son jardin un poulailler comme cela est arrivé à mes parents par exemple, vous l’entendrez bien ce fameux chant du coq, au moins cinq à six fois avant que le petit matin se lève vraiment).

Dans les grands classiques chinois, on relate l’histoire du seigneur Mengchang et de ses trois mille hommes qui se retrouvèrent devant la grande porte qui bloquait l’accès au col de Hangu. C’était un point stratégique dans l’ancienne Chine car il permettait d’entrer dans le pays de Qi où sourdait la rébellion. La porte était bien gardée et il y avait un couvre-feu, les gardes postés avaient pour ordre de fermer la porte le soir et de ne la rouvrir qu’au petit matin. Là, on était en plein milieu de la nuit, le seigneur Mengchang et ses hommes étaient poursuivis et ils ne pouvaient guère se permettre de perdre de précieuses heures à attendre l’aube ! Le seigneur eut alors l’idée d’utiliser le talent d’un de ses hommes à imiter le chant du coq ; c’est ainsi qu’il dupa les gardes et qu’il provoqua l’ouverture prématurée de la porte. Ils purent alors s’échapper et chercher refuge dans leur pays natal.

Voilà comment étaient construites les vannes de l’époque Heian ! Il me semble qu’elles étaient bien plus difficiles à placer que celles d’aujourd’hui, vous ne trouvez-pas ? Elles faisaient appel à la culture générale de l’individu et les meilleures étaient envoyées par ceux qui avaient une très bonne éducation et une grande sagacité (comme ce fut le cas de notre Dame Shônagon, entre autres). Enfin, il fallait être constamment sur ses gardes car si on plaçait une vanne à votre encontre, il fallait être prêt à renvoyer la balle aussitôt !!! Par exemple, si vous ne connaissiez pas l’histoire de ce seigneur chinois, comment auriez-vous été capable de trouver la bonne répartie ?

Pas d’inquiétudes en ce qui concerne Yukinari, lui aussi est un homme de lettres et la référence ne lui a pas échappée. Dans une nouvelle missive, il se permet d’objecter : l’imitation du chant du coq était destiné à ouvrir la porte à une armée rebelle en déroute… la comparaison ne peut pas tenir ! Yukinari est venu voir Dame Shônagon avec de bien différentes intentions et s’il avait été question de franchir une porte, cela aurait été… la porte d’Osaka.

Et voilà, joli retour de vanne !!!

La porte d’Osaka marque la frontière entre deux provinces du Japon et par un jeu subtile sur les caractères chinois, elle est devenue dans les classiques de poésie japonaise l’endroit où, le soir venu, se rencontrent les amoureux.

Dame Shônagon n’est pas en reste pour autant, détrompez-vous. Pour le final, elle claquera joliment la porte au nez de ce pauvre Yukinari :

 夜をこめて鳥の空音は 謀るとも / Yo o komete Tori no sorane wa Hakaru tomo

よに逢坂の関は許さじ / Yo ni Osaka no Seki wa yurusaji

Le chant du coq en pleine nuit pourrait en tromper plus d’un,

Mais s’il s’agit des gardes de la porte d’Osaka, ils ne seront jamais dupes !

C’est par ce waka que Dame Shônagon s’est retrouvée immortalisée dans l’anthologie des cents poètes Hyakunin-isshu. Il faut reconnaître qu’il témoigne parfaitement des traits de caractère de cette grande Dame pleine d’intelligence et de sagacité !

Les deux cartes du Haykunin-isshu relatives à Sei Shônagon
Les deux cartes du Haykunin-isshu relatives à Sei Shônagon

Un peu de correction si vous le voulez bien…

Dans une ancienne version de ce blog, nous vous avions déjà parlé du grand bananier, vous vous souvenez ? Et bien aujourd’hui on y revient encore.

J’arrête ici les petits nouveaux ou les lecteurs amnésiques : aucun rapport avec une boisson chocolatée en poudre (oui je sais, elle était facile celle là), il s’agit de Bashô (芭蕉 1644-1694), une sorte de Baudelaire nippon sans l’absinthe, l’opium ni les femmes. Car si l’avis de ce blog vous intéresse, les artistes japonais semblent avoir en règle générale une vie bien plus saine que leurs homologues occidentaux. En tout cas, nous retiendrons que l’inspiration principale de Bashô, ce sont les choses de la nature, les beaux paysages et le passage des saisons… le tout en état de parfaite sobriété, s’il vous plait.

Une des nombreuses statues de commémoration du passage de Bashô dans la région Tohoku (Ishinomaki)
Une des nombreuses statues de commémoration du passage de Bashô (devant) et son fidèle disciple Sora dans la région du Tohoku (Ishinomaki)

Bashô, c’était un homme qui a révolutionné la poésie japonaise et un vrai artiste engagé comme ce blog les aime !

Alors attention sur ce que nous entendons par « engagé ». En réalité, il est resté célibataire jusqu’à sa mort même si selon certains témoignages, il « aurait » entretenu pendant de nombreuses années une relation avec une femme qui « serait » devenue mère célibataire dans la période… Le mystère restera entier sur sa descendance ; officiellement, notre poète a entièrement dédié sa vie au célibat et à la bonne cause : la poésie. Il est tout de même le papa reconnu du haiku, une version très courte de poème japonais en trois vers de 5-5 et 7 syllabes. Ou 7-5-5. Ou 5-7-5 (contrairement au tiercé, dans le haiku l’ordre importe peu tant que vous avez la combinaison « deux cinq / un sept »).

Dans sa dernière décennie, alors qu’il s’était fait un petit nom dans le milieu et qu’il aurait pu en profiter pour se la couler douce, Bashô ne s’est pas reposé sur son bananier (ha ha ha elle est bien bonne n’est-ce pas ?), il s’est mis à parcourir le Japon de long en long (la forme de l’île principale) à la recherche perpétuelle d’inspiration pour ses poèmes… tout en tentant de recruter de nouveaux disciples.

Oui mais attention ! C’était une grande prise de risque… Le voyage au Japon du 17ie siècle était bien loin de la franche rigolade d’aujourd’hui dans les trains grande vitesse avec la clim et les sièges inclinables. A l’époque, c’était un véritable défi physique et beaucoup de personnes y ont laissé leur vie… ce fut le cas pour Bashô car la maladie l’a emporté lors de ce qui devait n’être qu’une escale de son (tout dernier) voyage.

Matsushima, classé un des plus beaux paysage du Japon. Bashô a été totalement subjugué par la beauté du lieu qu'il en a eu le ver coupé... Seul ce haiku très facile à retenir lui est sorti de la bouche : Matsushima ya Ah Ah Matsushima Matsushima ya
Matsushima, classé un des plus beaux paysage du Japon. Bashô a été totalement subjugué par la beauté du lieu qu’il en a eu le ver coupé… Seul ce haiku (très facile à retenir) lui est sorti de la bouche : Matsushima ya / Ah Ah Matsushima ya / Matsushima ya

Pour ce qui concerne ce post, nous allons parler d’un autre voyage qu’il a bien fini et dont il a fait le récit dans son très célèbre journal « Oku no hoso michi« . L’étroit chemin du fond. Depuis Edo (l’ancien nom de Tokyo), il est parti dans le grand nord du Japon, cette région rendue tristement célèbre par le tsunami de 2011 mais qui, bien avant ça, contenait un nombre important de sites magnifiques dont les charmes avaient été moult fois vantés par les grands poètes classiques.

Ensuite, il est redescendu vers le sud en longeant le bord de la mer du Japon jusqu’aux environs du lac Biwako. Au total, à peu près… 2400 km !!! Et oui, c’est pourquoi ce blog se permet des prises de position sur l’hygiène de vie des artistes japonais, figurez-vous.

Il existe plusieurs versions de « Oku no hoso michi » car Bashô ne s’acharnait pas seulement sur les kilomètres mais également sur ses écrits qu’il travaillait, retravaillait et re-retravaillait… pour mieux les re-travailler ensuite ! Dans la dernière version du journal, manuscrit réalisée de sa belle main avec son plus beau pinceau, six ans après son retour de voyage, sur les 32 pages, on en compte 24 qui sont retouchées avec des patch pas très discrets… Regardez :

Le manuscrit de Oku no Hoso Michi
Un passage du manuscrit de Oku no Hoso Michi
oknohosomichi2
Un autre passage du manuscrit de Oku no Hoso Michi

Un manuscrit qui a de la correction donc !!!

Ou qui était bourré d’erreurs diront les plus pessimistes de nos lecteurs.

On trouve plusieurs sortes de corrections. Pour commencer, celles qui viennent probablement de petites fautes d’attention en recopiant son brouillon. Dans ce cas, Bashô tentait tout d’abord de les effacer en utilisant un petit bout de bois pour gratter le papier, un peu comme le principe d’une gomme. Quand le seul grattage ne suffisait pas pour masquer l’erreur ou quand le papier s’était déchiré dans la manœuvre, il collait un petit morceau de papier sur lequel il ré-écrivait le ou les bons caractères.

Dans d’autres cas, ce sont carrément des passages entiers qui ont été l’objet d’un bon copier coller à l’ancienne. Pour finir, avec des analyses poussées de radiographie et en vérifiant notamment les fils et les trous d’aiguilles sur la reliure du manuscrit, on a également découvert que cela ne coïncidait pas toujours et que certaines pages avaient été déchirées alors que d’autres avaient été rajoutées après.

Vous allez donc monter au créneau pour protester car merci mais bon on n’apprend pas grand chose de révolutionnaire : vous aussi vous faisiez ça avec votre cahier d’école sous le regard désespéré de votre maîtresse (faut dire que le tipex d’autrefois, c’était du travail de cochon garanti).

Pour la défense de ce blog, je me suis dit qu’à notre époque numérique où l’on ne garde plus aucune trace de nos corrections, un petit rappel sur les fondamentaux du couper-copier-coller ne ferait jamais de mal. Ensuite, permettez-moi de conclure que le génie ça se travaille, il n’y a pas lieu de faire de complexes ou de tergiversions « ai-je suffisamment de talent ou non ? » mais bien de relever ses manches et de se mettre au boulot.

C’est peut être aussi un mythe qui tombe pour ceux d’entre vous qui pensaient que, de part le caractère indélébile de l’encre de Chine, les calligraphes avaient pour obligation d’écrire avec beaucoup de soin sans ne commettre aucune erreur sous peine de devoir tout recommencer depuis le début ! Mais si vous voulez l’avis de ce blog qui décidément aime trancher dans le vif : Bashô avait bien plus de déontologie poétique que calligraphique.

Le vrai visage de Izumi Shikibu

Dans ce blog où l’on aime se faire plaisir, aujourd’hui, nous allons non seulement retourner à la fabuleuse période Heian (je vous ai déjà parlé de cette époque dans l’histoire du Japon, n’est-ce pas ?) et pour évoquer encore une fois une poétesse mais attention pas n’importe laquelle !!! La plus belle, la plus grande d’esprit, la plus passionnée et la plus rebelle de toutes les poétesses de son époque : j’ai nommé… (sous vos tonnerres d’applaudissement svp) :

Le visage de Izumi Shikibu ???
Le vrai visage de Izumi Shikibu ???

 IZUMI SHIKIBU  !

Pour ceux qui ne la connaissent pas, je fais les présentations. Elle serait née vers l’an 970, d’une famille de noble sans grande prétention et pourtant quel personnage exceptionnel est-elle devenue ! Mariée très tôt à un homme devenu gouverneur de la province d’Izumi (et oui, c’est là d’où vient son nom), elle donne naissance à une fille mais peu de temps après, elle quitte son mari pour retourner vivre à Kyoto, la grande capitale… où l’on s’amuse probablement bien mieux que dans la province d’Izumi !

C’est parti la grande vie et les heures de gloire : et voilà que je me fais courtisée à droite à gauche et que je te compose des poèmes d’amour passionnés et que je t’écris un journal intime qui devient un classique dans son genre… Des amants, la belle et scandaleuse Shikibu en aurait eu des tonnes !!! J’ai bien dit « aurait eu » (au conditionnel passé).

En réalité, il n’y en aurait pas tant que ça si l’on s’en tient à la liste des amants répertoriés officiellement. Heureusement, il reste une alternative un peu plus croustillante dans le constat suivant : un nombre important de ses poèmes d’amour ne sont pas adressés aux amants officiellement répertoriés… Ha ha ! Il y en aurait eu d’autres donc !!!

Pour revenir dans la version officielle, à défaut de quantité, elle aura fait au moins dans la qualité. Le premier amant est un des fils de l’empereur Reizei : un prince, la classe !!! Malheureusement le prince meurt dans la fleur de l’âge d’une étrange maladie… que les mauvaises langues auront vite fait d’attribuer à ses nombreuses escapades nocturnes pour aller retrouver la belle Shikibu.

Après une longue année de deuil et de très très beaux poèmes très très tristes, la belle se remet et la suite arrive !!! En la personne du petit frère du défunt. Je vous avais dit qu’on ne fait pas grand cas des liens familiaux à cette époque, n’est-ce pas ? Le journal intime de la belle fait le récit de cette nouvelle relation enflammée. Ainsi on apprend que le second prince est d’un naturel excessivement jaloux d’autant que les rumeurs vont bon train et prétendent que chaque jour, de nouveaux courtisans se bousculent à la porte de notre belle Shikibu.

Ha ha !!! Vous voyez…

En fait, la belle dément formellement : ce ne sont que des rumeurs de gens mal intentionnés, elle est amoureuse de son prince et d’une fidélité exemplaire.

On est un peu déçu mais bon d’accord, si elle le dit.

Comme preuve de son amour, elle accepte de s’installer chez son prince… alors que celui-ci était déjà marié mais je vous avais déjà dit qu’on ne fait pas grand cas des liens conjugaux à cette époque, n’est-ce pas ? Pour Izumi Shikibu, c’était un sacrifice tant pour l’indépendance et la liberté qu’elle perdait, que pour le nouveau statut qu’elle acquiert… une simple servante.

Izumi Shikibu et sa fille
Izumi Shikibu et sa fille

Vous imaginez que l’épouse légitime a tout de même avalé cette nouvelle de travers. Mais ses protestations n’ont eu aucun effet et elle a fini par quitter le domicile conjugal pour retourner vivre chez ses parents… en laissant la place nette pour notre belle Shikibu ??? Dans ce blog où l’on aime les spéculations à deux francs six sous, on imagine que le départ de la femme légitime n’a pas été si simple et sûrement que ça s’est fait à grands bruits et grands fracas, avec une grande partie de l’argenterie sacrifiée dans la bagarre.

Dans les faits… on n’en sait rien, c’est vrai.

Pour terminer l’histoire, nos deux tourtereaux vécurent donc heureux sous le même toit… mais pas très longtemps ! Le prince est mort plutôt jeune et de maladie lui aussi ; on était apparemment pas de constitution très solide dans la famille impériale Reizei. Dans ce blog où l’on aime bien faire la morale, on vous dira que c’est aussi ce qu’on mérite à force d’épouser ses sœurs ou ses cousines.

Finalement, la belle Shikibu s’est remariée et a quitté la capitale pour s’installer dans une province au bord de la mer du Japon. Que s’est-il passé ensuite ??? Les versions divergent. Aucune trace écrite ne subsiste après le triste poème qu’elle a composé pour l’enterrement de sa fille (snif). Certaines histoires disent qu’à la mort de son époux, la belle s’est faite nonne. Il n’y aurait rien d’étonnant à cela ; c’était dans les usages des veuves de l’époque et notre belle Shikibu était assez portée sur le bouddhisme, comme elle le confiait régulièrement dans son journal intime.

Dans ce blog où l’on aime bien se balader dans Kyoto l’après-midi quand il fait soleil, on a été d’autant plus heureux de découvrir ainsi par hasard un petit temple et un monument à la mémoire de Izumi Shikibu coincés entre un marchand de glace et une boutique de fringue de la galerie Teramachi.

Devant un monument dédié à Izumi Shikibu et derrière un bowling (Kyoto, SanJo-Teramachi)
Devant un monument dédié à Izumi Shikibu et derrière le bowling de Kyoto – SanJo

Dans ce temple, il y a tout un tas d’indication et puis ça aussi :

Une image de Izumi Shikibu (pas sous son meilleur angle)
Une image de Izumi Shikibu (pas sous son meilleur angle)

 Bon, c’est vrai qu’on fait mieux comme coupe de cheveux mais c’était donc ça les canons de beauté de l’époque ???

Enfin on a été heureux de découvrir que le temple s’appelle 誠 (sincérité) 心 (coeur, âme). Car si ce blog se devait en guise de conclusion d’expliquer le pourquoi du comment il tient en si haute estime la grande Izumi Shikibu, c’est bien parce que dans ces poèmes et dans ses écrits, elle donne cette image là :

  • => Latin sincerus « pur, naturel ». Qui est disposé à reconnaître la vérité et à faire connaître ce qu’il pense et sent réellement sans consentir à se tromper soi-même ni à tromper les autres.

Et dans notre anthologie des cents poètes (Hyaku-nin Isshu), voici celui qui immortalise la belle Shikibu :

Je sens mon dernier souffle venir mais j’aurais tant aimé emporter dans l’autre monde…
le souvenir de t’avoir revu une toute dernière fois avant de partir.

Une pièce de Nô où le fantôme d'Izumi Shikibu revient dans le monde des vivants.
Illustration d’une pièce de Nô où le fantôme d’Izumi Shikibu revient dans le monde des vivants.

あらざらむ … Arazaramu

この世の外の … Kono yo no soto no

思ひ出に … Omoide ni

今ひとたびの … Ima hitotabi no

逢ふこともがな … Au koto mo gana

Les roseaux de Dame Ise

Les fleurs du jardin botanique de Kyoto
Quelques fleurs du jardin botanique de Kyoto

Dans ce blog qui a tendance par moment à se répéter beaucoup, il me semble que je vous ai déjà parlé de l’époque Heian, n’est-ce pas ? Moi dans cette époque, ma poétesse préférée, c’est la grande Izumi Shikibu ! Je l’adooore grave mais je ne fais pas vraiment dans l’originalité en fait. Pour ceux qui connaissent un peu, Izumi Shikibu est une poétesse très célèbre et était très populaire à son époque, réputée pour sa grande beauté et son grand sens poétique… et sa vie amoureuse scandaleuse ! Elle a eu beaucoup d’amants (a priori) mais ce n’était pas pour autant une femme légère : quand elle était engagée dans une relation amoureuse, elle l’était pleinement et entièrement !!! Et elle écrivait de très beaux poèmes d’amour passionnés. Et, à la fin de sa vie, elle s’est retirée dans un monastère après la mort de son deuxième mari.

Mais passons car pour le post d’aujourd’hui, nous parlerons d’une autre grande poétesse, la dame Ise (873-938)… qui n’aurait pas grand-chose à envier à notre dame Shikibu si on y réfléchit et d’ailleurs voilà puisque c’est comme ça hop : je la mets en deuxième sur ma liste de mes poétesses préférées !

Dame Ise était une courtisane, au service de l’impératrice Yoshiko, une très belle plante parait-il ! Son talent poétique était également reconnu alors qu’elle excellait dans les exercices-compétitions de poésie de la cour impériale dès le plus jeune âge. Elle a eu elle aussi une vie amoureuse des plus remplies !!! Cela commence par un premier grand amour de jeunesse avec le beau Fujiwara Nakahira, petit frère de l’impératrice et… goujat à ses heures perdues ! Après lui avoir juré amour éternel, il la quitte pour épouser une autre femme d’un rang plus élevé. Le cœur brisé, notre dame Ise retourne chez sa mère (ou du moins dans la province Yamato que gouvernait son père) et ne revient que quelques années plus tard à la cour impériale mais c’est pour retourner directement sous le feu des projecteurs… c’est à dire encore et toujours convoitée par de nombreux courtisans soupirant ! Et parmi eux on y trouve le grand frère de Nakahira !?! Et oui, pas de tabou de ce genre à la cour impériale, en amour à l’époque Heian, on ne fait pas grand cas d’éventuels liens familiaux. On ne sait pas précisément ce qu’il est advenu de cette relation mais comme avec le petit frère, elle a fini par tourner court. Ce ne fut pas au désavantage de notre Dame Ise en réalité ! Figurez-vous qu’à la suite de cette nouvelle déconvenue, elle devient la maîtresse de l’empereur Uda et… donne naissance à un petit garçon. Un vrai moment de gloire dans cette société et à cette époque là !!!

Quelques autres fleurs du jardin botanique de Kyoto
Quelques autres fleurs du jardin botanique de Kyoto

Quelques années plus tard, l’empereur Uda se retire et laisse la place à son fils… celui issu de l’union avec l’impératrice Yoshiko. Dommage pour notre dame Ise me direz-vous ? En réalité pas vraiment car le nouvel empereur prend les mêmes largesses que son père et fait d’elle sa maîtresse. Elle donnera encore naissance à un enfant mais cette fois à une petite fille !

Les enfants de Dame Ise étaient donc non seulement frère et sœur mais également oncle et nièce ! De quoi faire pâlir de jalousie les scénaristes des feux de l’Amour, vous ne trouvez pas ?

Dans ce blog ou l’on aime bien les histoires légères et croustillantes à tendance people certes, il nous faut aussi reconnaître que la vie n’a pas été si tendre pour Dame Ise. Déjà, quand vous étiez noble et que vous mettiez un enfant au monde, c’était pour le confier à d’autres personnes qui se chargeaient de l’élever et de faire son éducation… bien loin de vous. Ensuite, son petit garçon est mort à l’âge de cinq ans, chose malheureusement très commune à l’époque également. Pour noircir le tableau, ce n’était pas non plus très facile de vieillir à ce moment de l’histoire du Japon et à la fin de sa vie, la pauvre Dame Ise qui ne pouvait plus compter sur ses charmes a eu de grosses difficultés matérielles et s’est retrouvée sans maison !

Mais dans ce blog résolument optimiste, on est content de vous dire que l’on a raison de continuer à y croire. Cela s’est plutôt bien arrangé et la grande Dame Ise est passée à la postérité de la meilleure manière qui soit avec tapis rouge et flashs des photojournalistes qui crépitent ! 23 de ses poèmes ont été sélectionnés pour apparaître dans le très célèbre Kokinshu, recueil de poèmes japonais qui fait référence en la matière ; 72 dans le Gosenshū (une autre anthologie impériale de poésie japonaise) et 25 dans le Shūishū (encore une autre anthologie impériale de poèmes). Il existe également une collection privée « Ise-shū » rassemblant tous ses poèmes… Elle devint ainsi une  vraie référence pour toutes les générations de poétesses qui ont suivi… dont celle de mon héroïne Izumi Shikibu.  

Dans le Hyakunin-ishu, on trouve un très beau poème qu’elle a écrit pour son premier goujat d’amant… Regardez et surtout rappelez vous qu’elle ne devait avoir guère plus de 16 ans quand elle l’a composé :

Et vous dites que je devrais finir ma vie sans plus jamais vous revoir, ne serait-ce que l’espace d’un instant, fût-il aussi bref que les ramifications du roseau de la baie de Namba.

難波潟 … Nambakata

みじかき蘆の… Mijikaki ashi no

ふしのまも … Fushi no ma

逢はでこの世を … Awade kono yo wo

すぐしてよとや … Sugoshite to ya

Alors, pas mal non ?

Quelques notes de traduction :
Le roseau en question
Le roseau en question
 
1-   La baie de Namba est l’actuelle baie d’Osaka.
2 – Le poème s’articule autour de l’expression « Fushi no ma » qui signifie soit l’espace joignant les sections ramifiées de la tige « type bambou » (cet espace est réputé pour être particulièrement court sur ce type de roseau), soit il s’agit d’un terme général pour désigner un très petit intervalle que ce soit d’espace ou bien de temps. Il s’agit d’une très belle structure poétique et d’un très beau jeu d’esprit difficile à rendre en français. Zannen !
 

Parlons d’amour !

Saviez-vous qu’hier, le 8 mai 2014, était un jour un peu particulier : le 100ie anniversaire de la naissance de Romain Gary. Oui, il n’y a aucun rapport avec la calligraphie ou le Japon mais dans ce blog, on se fera toujours un point d’honneur à rendre hommage aux grands écrivains même si c’est hors contexte.

Fermons la parenthèse et retournons à nos moutons (même si ce n’est pas une espèce répertoriée au Japon) et à nos belles histoires sur la grande et fabuleuse époque du Japon médiéval, l’époque Heian ! Je vous ai déjà parlé de cette époque, n’est-ce pas ? Cette semaine, chers lecteurs, nous allons traiter d’un sujet qui tient très à cœur de ce blog qui aime les petites fleurs et les oiseaux qui gazouillent : les poèmes d’amouuur ! Et attention pas n’importe quel poèmes d’amouuur car à cette époque là, c’était un sport national pratiqué par une grande partie de la noblesse qui n’avait pas de télé ni d’internet, c’était donc du haut niveau. Du très haut niveau.

Car pour obtenir les faveurs d’une femme, il était d’usage de commencer par lui composer un petit poème qu’on lui faisait parvenir par l’intermédiaire d’un fidèle valet en qui l’on avait toute confiance (et que l’on espérait d’un naturel peu bavard surtout). La dame convoitée, après avoir lu le poème, se devait d’y répondre en composant un autre poème qu’elle remettait au même valet qui pendant ce temps-là attendait bien sagement à l’entrée. La première réponse de la dame était toujours négative. « Mais pour quelle genre de femme me prenez vous ??? ». Et puis si l’homme s’acharnait un peu, après quelques poèmes, on en arrivait à des réponses un peu plus ouvertes. « C’est vrai, vous me trouvez jolie ??? ». On s’échangeait ainsi des billets doux par valets intermédiaires jusqu’à ce que la relation arrive au point où une rencontre soit envisageable. A ce moment-là, c’était habituellement l’homme qui se déplaçait, arrivait discrètement le soir à la nuit tombante dans la demeure de la dame et repartait juste avant l’aube… car ne nous leurrons pas : il y avait tromperie la plupart du temps (d’un côté comme de l’autre, on était souvent déjà marié).

Voilà pourquoi, il était absolument primordial à l’époque d’avoir de l’éducation pour espérer avoir une vie sexuelle épanouie ! Tout était extrêmement codifié, il fallait maîtriser parfaitement les standards de l’expression poétique de l’époque pour arriver à ses fins. Une super méthode pour pousser les jeunes à étudier en tout cas !!!

Dans notre anthologie de poésie hyakunin-ishu (cent poètes – un poème), sur les poèmes d’amouuur composés par des hommes, on y retrouve un style d’expression très commun. Quand il s’agit de déclarer sa flamme, l’homme utilise de préférence des mots et des images violentes permettant de démontrer l’intensité de son amour. Un exemple donné par l’Empereur Yozei :

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Mon amour pour toi est devenu aussi profond que le gouffre de la rivière Minano, où se sont déversés les flots descendants de la cime du Mont Tsukabe.

筑波ねの… Tsukubane no

峰より落つる… Mine yori otsuru

みなの川…Mina no kawa

恋ぞつもりて…Koi zo tsumorite

淵となりぬる…Fuchitonarikeru

Si dans ce blog, on se mettait à faire de la psychanalyse de comptoir, on irait presque jusqu’à dire que c’est un peu à l’image du coït masculin tout ça.

En tout cas, du côté des femmes, c’est différent ! C’est bien joli toute cette démonstration de vigueur et de fougue amoureuse messieurs mais combien de temps arriverez-vous à tenir au juste ??? Les femmes en appellent à un amour un peu plus profond mais qui s’inscrit sur la durée (surtout pour les préliminaires, svp, merci !). Un exemple donné par le waka de la Dame Taiken Mon-in no Horikawa :

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Combien de temps notre amour va-t-il durer ??? C’est ce à quoi je pense ce matin, alors que tu viens de partir et qu’il ne reste que l’enchevêtrement de mes cheveux sur l’oreiller.

長からむ … Nagakaran

心も知らず … Kokoro mo shirazu

黒髪の… Kurokami no

乱れて今朝は…Midarete kesa wa

物をこそ思へ…Mono o koso omoe

Dans ce blog, où généralement on aime pas trop la caricature et où on se plait à penser que chacun est différent, on ne prendra pas trop au pied de la lettre tout ça mais… quand même un peu, peut être qu’il y a des grandes tendances qui ressortent et qui laissent à penser que concernant les choses de l’amouuur, malgré les siècles qui ont passé depuis cette fabuleuse époque Heian… ça n’a pas tant changé que ça.

Certes cela restera un propos qui n’engagera que ce blog et personne d’autre. Et puis surtout que ça ne vous empêche pas de relire quelques grands passages de Gros Câlin et de La vie devant soi !